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Les filiales d’un même groupe peuvent désormais présenter des offres distinctes à un même appel d’offres sans risquer de condamnation pour entente anticoncurrentielle

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 26/11/20 | 7 min. | Renaud Christol Marc-Antoine Picquier

Dans sa décision n°20-D-19 du 25 novembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des marchés de fourniture de produits alimentaires de l’établissement public national France AgriMer[1] (la « Décision »), l’Autorité de la concurrence (l’« Autorité ») prononce un non-lieu à l’encontre de plusieurs filiales d’un même groupe qui ont présenté des offres apparemment distinctes et autonomes en réponse à un appel d’offres public, offres qui étaient en réalité coordonnées.

Avec cette Décision, l’Autorité modifie totalement sa pratique décisionnelle pour l’adapter à la jurisprudence communautaire.

Les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce prohibent les accords ou pratiques concertées conclus entre des entreprises, c’est-à-dire entre des unités économiques distinctes. De manière constante, la pratique décisionnelle considère que la prohibition des ententes n’est pas applicable aux accords ou pratiques mis en œuvre au sein d’une même unité économique.

La Décision rappelle à cet égard, que « dans le cas où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d’une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale, elle est présumée, de façon réfragable, exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale et former avec elle une unité économique »[2].

Les lignes directrices de la Commission sur les accords de coopération horizontale du 14 janvier 2011 précisent qu’«[i]l en va de même pour des sociétés sœurs, c’est-à-dire des sociétés sur lesquelles la même société mère exerce une influence déterminante. Elles ne sont, par conséquent, pas considérées comme concurrentes même si elles opèrent toutes les deux sur les mêmes marchés de produits et les mêmes marchés géographiques en cause »[3].

Cela étant, de manière constante, l’Autorité et les juridictions françaises avaient considéré que cette règle ne s’appliquait pas dans le cadre d’un appel d’offres. Si les sociétés du même groupe décidaient de soumissionner de façon séparée par le dépôt d’offres distinctes, elles constituaient des entreprises différentes et pouvaient être susceptibles de mettre en œuvre une entente anticoncurrentielle, par exemple si elles coordonnaient le contenu de leurs offres.

La Cour d’appel de Paris avait relevé que « les juridictions communautaires n’ont jusqu’alors jamais eu à connaître de pratiques mises en œuvre par des entreprises liées entre elles ayant pour objet ou pour effet de fausser la procédure d'appel d'offres en présentant des offres séparées dont l’indépendance n’était qu’apparente »[4].

En 2018, les juridictions communautaires se sont prononcées.

Le 17 mai 2018, la Cour de justice de l’Union européenne[5] (la « CJUE ») a rendu l’arrêt « Ecoservice projektai » UAB, dans lequel elle a estimé que des filiales d’un même groupe qui se sont coordonnées pour formuler des réponses distinctes à un même appel d’offres constituent une seule et même entreprise au sens du droit européen de la concurrence. Il n’est donc pas possible de sanctionner une entente dans un tel cas de figure.

En 2020, le changement est transposé en France.

L’affaire devant l’Autorité mettait en cause des filiales d’un même groupe qui avaient toutes soumissionné de manière coordonnée aux appels d’offres organisés par France AgriMer. Elles avaient signé un accord commercial cadre qui avait pour but de confier à l’une d’entre elles l’élaboration des candidatures aux appels d’offres privés et publics pour l’ensemble des sociétés signataires. La coordinatrice préparait les offres pour l’ensemble des sociétés signataires puis, chacune avait remis son offre à l’acheteur comme si elle l’avait « personnellement » élaborée.

Dans une telle situation, au regard de sa pratique décisionnelle et de la jurisprudence française, l’Autorité aurait normalement sanctionné ces pratiques au titre de la prohibition des ententes anticoncurrentielles[6]. On constate d’ailleurs à la lecture de la Décision, qu’une procédure de transaction avait été mise en œuvre, preuve que les pratiques avaient bien été constatées par l’Autorité et que les sociétés en cause étaient engagées sur la voie d’une absence de contestation des faits et de leur qualification.

Cela étant, la transaction n’est pas arrivée à son terme.

L’arrêt de 2018 de la CJUE a été pris en compte par l’Autorité (la Décision ne permet pas de déterminer les modalités de cette prise en compte).

Les sociétés visées par la Décision sont détenues presque intégralement par une autre société, tête de groupe. Ces filiales et leur mère constituent donc, selon l’arrêt de la CJUE, une même unité économique au sens du droit de la concurrence. Aucune entente anticoncurrentielle ne pouvait en conséquence être caractérisée.

L’Autorité a prononcé un non-lieu.

Elle souligne tout de même dans son communiqué de presse que l’absence de condamnation au titre du droit des ententes ne place pas les entreprises qui souhaiteraient mettre de telles pratiques en œuvre dans une situation d’impunité.

La jurisprudence applicable en matière de marchés publics prévoit que le principe d’égalité de traitement serait violé si des sociétés soumissionnaires qui appartiennent au même groupe proposent des offres coordonnées ou concertées susceptibles de leur procurer des avantages injustifiés. Le pouvoir adjudicateur, les concurrents évincés et les tiers lésés par une pratique de dissimulation des soumissionnaires peuvent, dans certaines circonstances, former un recours en référé devant le juge administratif pour obtenir que soient ordonnées des mesures de régularisation de la procédure.

 

[2] Décision, §58.

[3] Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne aux accords de coopération horizontale, 2011/C 11/01, JO n° C 11 du 14.01.2011, p. 1 à 72, point 11.

[4] CA Paris, 28 octobre 2010, n° 2010/03405, p. 13.

[6] Voir décisions n° 03-D-01 du 14 janvier 2003 relative au comportement de sociétés du groupe l’Air liquide dans le secteur des gaz médicaux, paragraphes 123 et s. ; n° 03-D-07 du 4 février 2003 relative à des pratiques relevées lors de la passation de marchés d’achat de panneaux de signalisation routière verticale par des collectivités locales, paragraphes 64 et s. confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 novembre 2003, Signaux Laporte, n° 2003/04154, p. 4 à 6.

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