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Pratiques de mobilité internationale et risques de contentieux liés aux situations de co-emploi

Article | 08/09/14 | 10 min. |

La jurisprudence relative au co-emploi a évolué au cours de ces dernières années, emportant des conséquences à l’égard des sociétés, au-delà de nos frontières. Aujourd’hui de nouveaux types de contentieux engagent les sociétés au titre d’obligations de droit français et au sujet de salariés qu’elles n’ont pas directement embauchés.

En effet, dans un contexte de crise, les recours fondés sur la notion de co-emploi se multiplient devant les juridictions françaises, soit que ces recours permettent aux salariés de faire jouer la responsabilité solidaire d’une société mère au titre des obligations de sa filiale française, soit qu’ils leur permettent de faire valoir des droits directement auprès de la société les ayant accueillis en France dans le cadre d’un détachement.

Les enjeux du co-emploi sont considérables (i) puisque, outre la reconnaissance d'un nouveau débiteur, la qualification de co-employeur influe sur la détermination de la juridiction internationalement compétente et l’application du droit français au-delà des frontières et au-delà des termes contractuels initialement convenus entre les parties.

Au regard des pratiques de mobilité internationale, deux cas soulèvent particulièrement des questions : les dirigeants de filiales françaises immédiatement promus à leurs postes d’encadrement par les sociétés mères étrangères, et immédiatement encadrés par celles-ci (ii) ; et les salariés détachés depuis des sociétés étrangères vers des sociétés françaises (iii).

(i) Les enjeux du co-emploi

Avant tout, le co-emploi est un moyen de faire reconnaître l’existence d’un autre débiteur que celui avec lequel le contrat de travail est initialement conclu. Ainsi, une société mère à l’étranger pourra être tenue responsable du paiement des rémunérations des salariés d’une filiale en France, ou des conséquences de leur licenciement.

En outre, la caractérisation d'une situation de co-emploi emporte des effets sur les modalités d’application du droit français et des dispositions internationales. Par exemple, en matière de maintien des droits des travailleurs en cas de transfert total ou partiel d'entreprises ou d'établissements, la CJUE a reconnu l’existence d’un « employeur non-contractuel » pour étendre le champ d’application de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001 à une autre société[i].

Par ailleurs, la caractérisation d’une situation de co-emploi emporte des conséquences concernant la compétence des juridictions dans un cadre international puisqu’il permet de faire entorse (en l’étendant) au principe selon lequel le salarié d’une entreprise, ferait-elle partie d’un groupe, ne peut diriger une demande salariale uniquement contre son employeur[ii].

A ce sujet, les juges semblent toutefois restreindre les possibilités de recours devant les juridictions françaises en retenant, au visa de l’article 19 du Règlement n° 44/2001/CE du Conseil du 22 décembre 2000,  que les juges, saisis en référé, ne peuvent valablement se reconnaître compétents que s’ils ont caractérisé la situation de co-emploi fondée sur l’existence d’une triple confusion d’intérêts, d’activités ou de direction ou sur l’existence d’un lien de subordination[iii].

Le co-emploi a également pour conséquence l’application du droit français au-delà des frontières et des dispositions contractuelles mises en place en amont par les parties. Les sociétés étrangères peuvent donc être assujetties au droit français, malgré l’élection contractuelle d’un droit étranger. De même, une société ayant accueilli des salariés détachés en France, si elle se voit reconnaître la qualité d’employeur, devra appliquer l’intégralité des dispositions du droit du travail français et non uniquement le socle de règles impératives prévues par le Code du travail dans le cadre des détachements sur le territoire français.

On le voit, les enjeux sont importants pour les groupes internationaux et les pratiques de mobilité internationale peuvent exposer les sociétés.

(ii) Les dirigeants de filiales françaises immédiatement promus à leurs postes d’encadrement par les sociétés mères étrangères, et immédiatement encadrés par celles-ci

A l’égard des sociétés mères, les risques liés au co-emploi se sont accentués. En effet, depuis 2011, les juges ont reconnu que l’existence d’une situation de co-emploi ne tient plus seulement de la démonstration d’un lien de subordination, mais aussi d’une domination exercée par la société mère sur la filiale, démontrée par une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, elle-même caractérisée par une immixtion anormale[iv] de la société mère dans la gestion économique et la direction du personnel de la filiale, privant celle-ci de toute autonomie[v].

Au regard des pratiques de mobilité internationale, la question est de savoir si le fait pour une société étrangère de « placer » les dirigeants de sa filiale française l’expose au risque de requalification en co-employeur sur le fondement de la triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction ?

Par un récent arrêt, la Cour de cassation a  précisé que « le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et que la société mère ait pris dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de la filiale et se soit engagée à fournir les moyens nécessaires au financement des mesures sociales liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois, ne pouvait suffire à caractériser une situation de co-emploi »[vi].

La pratique n’expose donc pas à elle seule les sociétés mères, mais elle peut participer à la démonstration d’une situation de co-emploi fondée sur la triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction.

(iii) Le cas des sociétés françaises accueillant des salariés étrangers dans le cadre d’un détachement

La fin du détachement (correspondant à la fin du versement des avantages liés à la mission) peut être l’occasion pour les salariés détachés de tenter de faire valoir l’existence d’une situation de co-emploi avec la société qui les a accueillis en France.

Selon la jurisprudence constante « l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité de l'intéressé »[vii].

Il est donc inutile pour les sociétés d’accueil en France d’invoquer l’existence d'un avenant de mission du salarié ou même, une déclaration préalable de détachement[viii] adressée aux services de l’inspection du travail et restée sans réponse de leur part.

En matière de mobilité internationale, l’article L1262-1 du Code du travail rappelle expressément que pour qu’il y ait détachement, il est nécessaire que le lien avec l’employeur d’origine se poursuive. Il ne faut donc pas que le lien de subordination se déplace entre le salarié et l’entreprise d’accueil.

Une certaine confusion peut pourtant naître des situations de détachement puisque, lorsqu’un salarié se voit confier une mission au sein d’une entité d’accueil en France, il est bien souvent difficile de délimiter les pratiques tenant du contrôle opérationnel du salarié de celles tenant de son contrôle hiérarchique – dont seul l’employeur peut détenir les prérogatives.

En pratique, les juges vérifient si une personne, morale ou physique[ix], exerce conjointement à une autre, les pouvoirs attachés à l’état de subordination du salarié, c’est-à-dire les pouvoirs « de contrôle et de direction de l’activité » du salarié (directives sur le travail à accomplir, contrôle de cette activité, fixation et versement de la rémunération, fixation des augmentations, décision d’attribuer certaines primes, décision des affectations successives et d'une manière générale, décision concernant la carrière de l'intéressé, fixation des congés payés, décision de mettre fin au contrat de travail)[x].

Bien entendu, il est admis que les contraintes opérationnelles engendrent des relations plus ou moins étroites avec les salariés en ce qui concerne sa gestion quotidienne (hiérarchie opérationnelle), néanmoins, plus la société sera impliquée dans la gestion du salarié plus elle prendra le risque d'une requalification.

Notons enfin que les juges ont également reconnu la qualité d’employeur à « la personne pour le compte de laquelle le travailleur accomplit pendant un certain temps, en sa faveur et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles elle verse une rémunération »[xi]. Dans ces conditions, la société d’accueil qui supporte intégralement les coûts des rémunérations versées au salarié s’exposerait davantage à la requalification en co-employeur.

En conclusion, il nous paraît opportun d’alerter les sociétés mères étrangères sur les risques générés par leurs pratiques de gestion du personnel dirigeant de leurs filiales en France, qui devraient être analysées en tenant compte des pratiques globales de gestion financière et sociale établies entre la société mère et sa filiale. Par ailleurs, les situations de détachement  pourraient être revues afin d’anticiper une requalification éventuelle de la société d’accueil en co-employeur.

 

Suzanne Seran, counsel

 


[i]   CJUE 21 octobre 2010, aff. C-242/09, Albron Catering BV

[ii]   Cass. soc. 12 juill. 2006, n° 04-40.331

[iii]   Cass. soc. 18 déc. 2013, FS-P+B, n° 12-25.686, et également sur le sujet CJUE 21 oct. 2010, n° C-242/09, Albron Catering, RDT 2011. 35.

[iv]   Cass. soc., 28 septembre 2011, n°10-12.278 D

[v]    Cass.soc., 18 janvier 2011, n0 09-69.199 P

[vii]   Cass. soc, 26 sept. 2002, no 00-44.402

[viii] Obligation codifiée à l’article L 1262-2-1 CT par la Loi Savary du 10 juillet 2014.

[ix]   Cass. soc. 24 juin 2014, FS-P+B, n° 10-19.776 La Cour de cassation admet ainsi que le co-emploi n’est pas réservé aux personnes morales

[x]    Cass. soc. 31 oct. 1989, n° 86-42.549

[xi]   Cass. soc., 19 juin 2007, no 05-42.551

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