Article Private Equity Corporate - M&A | 27/02/18 | 8 min. | Jérôme Brosset
Face au succès croissant des levées de fonds en actifs numériques[1] et aux risques associés à ces opérations, l’AMF avait pris l’initiative en octobre 2017 d’engager une consultation publique sur les différentes régulations des ICOs envisagées afin de déterminer si cette nouvelle façon de lever des fonds nécessite ou non un aménagement de la réglementation.
La synthèse des réponses à cette consultation a été publiée par l’AMF le 22 février 2018.
L’initiative de l’AMF a remporté un vaste succès. Elle a récolté 82 réponses, émanant principalement des acteurs de l’économie numérique mais également de professionnels de la finance, des infrastructures de marchés, d’universitaires et de cabinets d’avocats, et décrit les principales orientations dégagées en matière d’encadrement des ICOs. Le document présente également les avancées du programme d'analyse et d'accompagnement "UNICORN[2]" destiné à offrir aux porteurs de projets d’ICOs un cadre permettant le développement de leurs opérations et de protéger les investisseurs.
Dans l’ensemble, les répondants rejoignent les conclusions de l’analyse juridique préliminaire de l’AMF présentée dans la consultation d’octobre 2017, notamment en ce qui concerne la difficulté à apporter une qualification unique aux jetons émis (tokens) compte tenu de la grande variété des droits qu’ils peuvent conférer.
En outre, plusieurs répondants appellent l’AMF à clarifier les critères d’appréciation permettant de qualifier un token de titre financier, dans le cadre d’une proposition ou d’une recommandation. La question de la qualification est d’autant plus complexe que les différentes autorités qui se sont exprimées au niveau international ont adopté des approches disparates : à titre d’exemple, l'organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, la Securities Exchange Commission (SEC), a pris position pour une assimilation des tokens aux titres financiers[3], tandis que l’autorité suisse (FINMA) a confirmé qu’elle adoptait une démarche au cas par cas selon la typologie des tokens[4].
Dans sa consultation, l’AMF envisageait initialement trois alternatives d’encadrement des émissions de tokens :
- un statu quo législatif associé à un guide de bonnes pratiques à droit constant ;
- un élargissement du champ des textes existants pour appréhender les ICOs comme des offres de titres au public ; ou
- une proposition de législation nouvelle, adaptée aux ICOs.
Résultat sans appel puisqu’une large majorité des répondants s’est exprimée en faveur de cette dernière option, c’est-à-dire la mise en place d’un cadre juridique spécifique aux émissions de tokens[5], et plus précisément en faveur d’une législation ad hoc à caractère optionnel pour les initiateurs d’ICOs.
Ainsi, à l’exception des rares émissions[6] où les tokens accordent des droits politiques ou financiers similaires à ceux conférés aux actions ordinaires ou de préférence, les réponses reçues par l’AMF confortent sa position première selon laquelle la qualification de titre de capital n’est pas applicable aux tokens.
De même, les observations des répondants confirment l’analyse de l’AMF concluant à l’incompatibilité des caractéristiques des ICOs avec les qualifications d’émission de titres de créance, de placements collectifs et de crowdfunding.
Il n’est donc pas surprenant que le choix d’un régime ad hoc, spécifique aux ICOs, avec visa optionnel, ait obtenu les faveurs de la majorité des répondants. Dans cette hypothèse, les initiateurs d’ICOs s’adressant au public français pourraient obtenir un visa de l’AMF, sous réserve de respecter certaines conditions et d’offrir certaines garanties aux investisseurs.
Les offres dépourvues de visa, sans être illicites, devraient cependant comporter un avertissement à l’attention des acquéreurs de tokens indiquant qu‘elles n’ont pas reçu de visa et que l’opération présente des risques. A défaut de contenir cet avertissement, les offres de tokens pourraient ouvrir la porte à des sanctions.
En ce qui concerne le document d’information, l’unanimité des répondants a estimé qu’il était indispensable à toute ICO afin d’informer les investisseurs. Le document d’information – ou whitepaper – devrait, selon la consultation, comporter a minima les informations suivantes :
- le projet financé par l’ICO, et son évolution ;
- les droits conférés par le token ;
- la juridiction à saisir en cas de litige ; et
- le traitement économique et comptable des fonds collectés dans le cadre de l’ICO.
Dans la continuité de cette nécessité d’information, la grande majorité des répondants estime qu’il est nécessaire que le document d’information permette l’identification de la personne morale responsable de l’offre, ses dirigeants ainsi que leurs compétences.
Enfin, les répondants sont favorables à l’instauration de règles permettant d’assurer le séquestre des fonds levés, et la mise en place d’un dispositif de prévention du blanchiment et du financement du terrorisme[7].
Ainsi, selon l’AMF – et les répondants – un tel cadre législatif permettrait assurément de protéger les investisseurs en attirant sur le territoire des projets innovants de qualité, en facilitant le recours aux modes de financement alternatifs sécurisé, tout en garantissant une certaine sécurité des investisseurs contre la possibilité d’offres frauduleuses.
Grace à cette synthèse, la position de l’AMF est désormais plus claire au sujet des ICOs, bien que le chemin restant à parcourir soit encore long. Le Collège de l’AMF a donc décidé de poursuivre le travail relatif à la définition d’un éventuel cadre juridique spécifique aux ICOs en précisant les informations fondamentales à communiquer aux éventuels acquéreurs et les garanties nécessaires à leur conférer.
[1] Montant total cumulé des fonds par le biais d’ICOs en 2017 : plus de 5 milliards d’euros sur environ 800 opérations (l’Agefi du 19 février 2018). En France, l’AMF a recensé à la date de publication de la synthèse plus d’une vingtaine d’opérations, la plus grosse ICO ayant donné lieu à une levée de 29 millions d’euros.
[2] Considérant que certaines formes d’ICOs pourraient à l’avenir constituer un mode de financement alternatif, l’AMF a lancé un programme de recherche des levées de fonds en actifs numériques baptisé UNICORN (pour « Universal Node to ICO’s Research & Network »).
[3] Décision de la SEC en date du 25 juillet 2017 - Release No. 81207.
[4] Guide pratique pour les questions d’assujettissement concernant les ICOs de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés suisse (FINMA) du 16 février 2018. L’approche suisse a pour l’instant été couronnée de succès puisque 4 des 10 plus importantes ICOs de 2017 ont été réalisées en Suisse.
[5] Deux tiers des répondants s’étant dit favorable à cette dernière option.
[6] Selon les observations effectuées dans le cadre du programme UNICORN, basées sur les échanges avec 15 porteurs de projets ICO au cours de la période de consultation.
[7] La France est par ailleurs en avance sur ce point avec l’adoption de l’article L561-2, 7° bis du Code monétaire et financier par ordonnance du 22 juin 2017, soumettant « toute personne qui, à titre de profession habituelle, soit se porte elle-même contrepartie, soit agit en tant qu'intermédiaire, en vue de l'acquisition ou de la vente de tout instrument contenant sous forme numérique des unités de valeur non monétaire pouvant être conservées ou être transférées dans le but d'acquérir un bien ou un service, mais ne représentant pas de créance sur l'émetteur » aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.