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Bail commercial – Loyer révisé transitoire et déplafonnement

Article Corporate - M&A Immobilier et Construction | 04/04/18 | 7 min. |

Par un arrêt à la solution particulièrement opérationnelle (Cass. 3e civ., 15 févr. 2018, n° 17-11.866), la Cour de Cassation rappelle un point d’attention sensible pour les preneurs à un bail commercial désireux d’entamer en amont leur discussion sur le renouvellement de ce dernier : en cas d’accord conventionnel sur le loyer, ce dernier s’apparente à une modification notable des obligations respectives des parties et permet donc d’échapper au plafonnement normalement admis pour les loyers renouvelés[1].

Le cas en l’espèce est fréquent : deux sociétés parties à deux baux commerciaux conclus le 3 juin 2003 et portant sur des locaux contigus ne s’entendent pas sur les loyers révisés au moment des renouvellements. La bailleresse engage alors le 17 janvier 2012 une procédure en fixation des loyers révisés tandis que la preneuse lui oppose à partir du 21 février 2013 une procédure en renouvellement des deux baux aux conditions antérieures à compter du 1er avril 2013.

Dans un instant de raison, les deux parties se mettent d’accord sur un loyer réajusté pour la période entre le 1er janvier 2012 et le 31 mars 2013, en échange de l’arrêt des procédures, et deux avenants en date du 7 mars 2014 sont conclus.

La bailleresse entend toutefois faire fixer le loyer postérieur à la valeur locative, soit à compter du 1er avril 2013, et engage une nouvelle procédure en ce sens.

Les juges du fond donnent raison à la bailleresse, considérant que la fixation d’un loyer révisé par les deux avenants en date du 7 mars 2014 s’apparentait à une modification notable des obligations respectives des parties permettant dès lors d’exclure le système de plafonnement prévu à l’article L. 145-34 du Code de commerce.

L’argumentaire du preneur qui se pourvoit en cassation tombe fatalement devant les juges du droit : la Cour de Cassation rejette le pourvoi et approuve chaudement la cour d’appel qui a « exactement retenu que la fixation conventionnelle du loyer librement intervenue entre les parties emportait renonciation à la procédure de révision judiciaire du loyer et constituait une modification notable des obligations respectives des parties intervenue en cours de bail dans des conditions étrangères à la loi et justifiant, à elle seule, le déplafonnement. »

Ainsi, cet arrêt doit servir de mise en garde pour les preneurs : attention à ne pas trop vite accepter un loyer révisé « transitoire » en cas de mésentente avec le bailleur lors du renouvellement, car ce véritable « cheval de Troie » pourrait bien permettre au bailleur de contourner le plafonnement et exposer le preneur à des hausses parfois significatives.

Pour rappel, l’article L. 145-33 du Code de commerce pose pour principe que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative, qui doit prendre en compte cinq éléments précisés par décret : (i) les caractéristiques du local considéré ; (ii) la destination des lieux ; (iii) les obligations respectives des parties ; (iv) les facteurs locaux de commercialité et (v) les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

L’article L. 145-34 du même code pose cependant une exception de poids : encore faut-il que les quatre premiers éléments listés ci-dessus aient fait l’objet d’une modification notable en cours de bail pour appliquer cette valeur locative, les autres cas étant soumis à un plafonnement[2].

En ce qui concerne le changement notable des obligations respectives des parties justifiant le déplafonnement, l’article R. 145-8 du Code de commerce apporte des précisions en se rapportant aux charges et sujétions imposées au preneur : la valeur locative doit être d'autant moins élevée que ces dernières sont lourdes et toute modification notable fera sauter le plafonnement.

Appliqué au loyer, la Cour de cassation a entre autres posé le principe selon lequel il doit s'agir d'une modification conventionnelle du loyer au cours du bail, à la hausse comme à la baisse, en dehors des périodes de révision triennales, dans des conditions étrangères tant à la loi qu'au bail initial[3].

Il a alors été jugé que la majoration du loyer à l'occasion de la cession du fonds[4], la diminution conventionnelle du loyer intervenue au cours du bail afin de tenir compte du contexte économique[5], ou bien la forte augmentation de l'impôt foncier à la charge du propriétaire[6] constituaient bien des cas de modification notable justifiant un déplafonnement.

La solution ne pouvait que s’appliquer au cas d’espèce, le loyer transitoire ayant été conclu en cours de bail renouvelé (qui a été reconduit tacitement), en dehors des périodes de révision, dans des conditions étrangères (i) à la loi, les parties ayant semble-t-il accepté le déplafonnement et décidé de fixer un loyer conventionnel, et (ii) au bail initial dont le loyer était contesté.

Qui plus est, les deux « avenants de révision du loyer » étaient destinés à mettre fin aux litiges existants et constituaient dès lors renonciation à la procédure de révision judiciaire du loyer, pouvant également s’apparenter à la lecture de l’arrêt à une modification notable des obligations respectives des parties.

Reste à rappeler au preneur certainement déçu qu’il subira certes le déplafonnement, mais pourra toujours compter sur le fameux « plafonnement du déplafonnement » de la loi Pinel qui permet d’amortir les fortes hausses de loyer déplafonné sur plusieurs années.

Néanmoins, cet arrêt rappelle aux preneurs qu’il ne faut pas succomber à certaines sirènes faciles d’un bailleur proposant un loyer réduit par rapport à la valeur locative « le temps de trouver un arrangement », car à défaut d’arrangement, le rapport de forces judiciaire sera profondément défavorable[7].

A l’inverse, sous le regard d’un bailleur optimisateur, la proposition d’un loyer révisé « d’appel » avant le renouvellement et pour une durée courte, permettra de gagner en puissance de négociation en cas de hausse significative de la valeur locative, sauf si la manœuvre est grossière et donc frauduleuse, entraînant notamment un vice du consentement du preneur.

Enfin, dans un cas plus conciliant, deux parties à un bail commercial qui a vu sa valeur locative fortement augmenter pourront convenir d’un loyer transitoire afin de mettre en place une période tampon chargée d’assurer la transition vers la valeur locative (quoique l’imagination débordante du législateur et son « plafonnement du déplafonnement » puisse déjà faire l’affaire !), le bailleur ayant assez de garanties avec cette jurisprudence pour accepter tout en sachant que le prochain loyer sera proche de ses attentes.



[1] L. 145-34 du Code de commerce

[2] Art. L.145-34 : « la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. »

[3] (Cass. 3e civ., 4 avr. 2001, n° 99-18.899, Cass. 3e civ., 27 juin 2001, n° 99-18.190, Cass. 3e civ., 24 mars 2004, n° 02-16.933)

[4] (Cass. 3e civ., 4 avr. 2001, n° 99-18.899)

[5] (Cass. 3e civ., 24 mars 2004, n° 02-16.933)

[6] (Cass. 3e civ., 25 juin 2008, n° 07-14.682)

[7] A ce titre, la Cour de cassation a confirmé par un arrêt du même jour (Cass. 3e civ., 15 février 2018, n°17-11.329) que le bail commercial n’était pas soumis aux dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce qui sanctionne les déséquilibres significatifs en matière commerciale.



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