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Application dans le temps des dispositions de la loi PACTE sur la prescription de l’action en contrefaçon : une clarification bienvenue

Article Droit de la propriété intellectuelle, média et art Brevets | 27/05/21 | 7 min. | Océane Millon de La Verteville Grégoire Desrousseaux

Une ordonnance du Tribunal Judiciaire de Paris du 6 mai 2021[1] est venue clarifier la méthode de computation du délai de prescription de l’action en contrefaçon postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi PACTE.

La loi PACTE introduit deux modifications au régime de la prescription des actions en contrefaçon :

le point de départ du délai devient subjectif, puisqu'il faut considérer le moment où le demandeur à l'action « a connu ou aurait dû connaître » le fait incriminé, conformément au régime général de l'article 2224 du Code civil ;

mais la loi précise en outre qu'il faut considérer « le dernier fait » permettant d'exercer l'action.

Ces modifications sont entrées en vigueur le 24 mai 2019.

L'ordonnance du 6 mai 2021 rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la loi nouvelle ne peut avoir pour effet de modifier le point de départ du délai de prescription qui a commencé à courir selon la loi ancienne.

Ainsi, les actes de contrefaçon intervenus avant le 24 mai 2019 restent soumis à une prescription quinquennale qui court à compter de la commission de l'acte.

Autrement dit, la loi PACTE n'aura pas d'effet pratique avant le 24 mai 2024. Ce n'est qu'à compter de cette date que le tribunal pourra pleinement appliquer les dispositions relatives au point de départ de la prescription, énoncées à l'article L.615-8 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi PACTE.


L’affaire oppose la société américaine Assia Inc. à Orange et Alcatel-Lucent International. Assia prétend qu’une solution logicielle permettant la gestion de réseau DSL, qu’Alcatel aurait fournie à Orange en mai 2010 et que cette dernière utiliserait depuis sur ses lignes et réseaux, mettrait en œuvre la technologie d’optimisation du haut débit couverte par deux de ses brevets.

Dans son assignation du 6 août 2020, Assia fait remonter les actes de contrefaçon alléguée à mai 2010. Dans le cadre d’un incident secret des affaires introduit par Assia pour faire lever les scellés réalisés lors de la saisie-contrefaçon, Orange et Alcatel ont soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes d’Assia relatives aux actes antérieurs au 6 août 2015.

Le juge fait droit aux demandes d’Orange et Alcatel en rappelant qu’entre mai 2010 et l’assignation, trois versions de l’article L615-8 du CPI[2], régissant la prescription des actions en contrefaçon de brevet, se sont succédées :

- celle issue de la loi n°92597, en vigueur du 3 juillet 1992 au 13 mars 2014, prévoyait un délai de prescription de l’action en contrefaçon de 3 ans à compter des faits de contrefaçon qui en sont la cause ;

- celle issue de la loi n°2014315, en vigueur du 13 mars 2014 au 24 mai 2019, faisait passer ce délai à 5 ans, toujours à compter des faits de contrefaçon qui en sont la cause ;

- celle issue de la loi PACTE[3], en vigueur depuis le 24 mai 2019, modifie le point de départ du délai de 5 ans, en le faisant désormais courir « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l'exercer ». Le juge relève que cette modification du point de départ a incontestablement eu pour effet d’allonger la durée de la prescription, comme l’avaient d’ailleurs clairement précisé les travaux parlementaires.  

Aucune de ces lois ne prévoyant de dispositions transitoires concernant les articles relatifs à la prescription, ces derniers sont soumis au principe de l'article 2 du code civil, selon lequel la loi n'a point d'effet rétroactif, et à celui de l'article 2222 du code civil selon lequel « La loi qui allonge la durée d'une prescription (…) est sans effet sur une prescription (…) acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription (…) n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé ».

En application de ces dispositions, le juge distingue en l’espèce :

- Les demandes fondées sur des faits commis entre mai 2010 et le 12 mars 2011, soit 3 ans avant l’entrée en vigueur de la loi n°2014-315 : pour ces faits, la prescription était déjà acquise au moment de l’entrée en vigueur de la loi n°2014-315 en application de la loi antérieure n°92-597 ;

- Les demandes fondées sur des faits commis entre le 13 mars 2011 et le 23 mai 2014, soit 5 ans avant l’entrée en vigueur de la loi PACTE : pour ces faits, la prescription était déjà acquise au moment de l’entrée en vigueur de la loi PACTE. Cette prescription était acquise en application de la loi n°2014-315, laquelle était d’application immédiate non seulement aux demandes fondées sur des faits intervenus après son entrée en vigueur mais également aux demandes fondées sur des faits pour lesquels le délai de 3 ans de la loi antérieure n’était pas expiré au jour de son entrée en vigueur ;

- Les demandes fondées sur des faits commis entre le 24 mai 2014 et le 5 août 2015, soit 5 ans avant l’assignation : pour ces faits, la prescription était déjà acquise au moment de la délivrance de l’assignation. Pour cette dernière série de faits, le juge transpose une jurisprudence constante de la cour de cassation relative à l’application dans le temps de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, selon laquelle la loi de 2008 n’a pas eu pour effet de modifier le point de départ du délai de la prescription extinctive ayant commencé à courir antérieurement à son entrée en vigueur[4]. De la même manière, le juge constate en l’espèce que la loi PACTE, quoique applicable immédiatement, n’a pu avoir pour effet de modifier le point de départ de la prescription ayant commencé à courir antérieurement à son entrée en vigueur (dans le sens d’un allongement).

On précisera que les demandes fondées sur les faits commis à partir du 6 août 2015 ne sont quant à elles pas prescrites pour les raisons suivantes :  

- Celles fondées sur les faits commis entre le 6 août 2015 et le 23 mai 2019 ne sont pas prescrites car le délai de prescription, à compter de la commission de l’acte (en application de la loi antérieure), n’était pas expiré au jour de l’assignation ;  

- Celles fondées sur les faits commis à compter du 24 mai 2019 ne sont pas prescrites car le délai de prescription, qui se calcule cette fois-ci en application de la loi PACTE, n’est pas non plus expiré.  

En définitive, comme illustré par l’exemple représenté dans le schéma ci-dessous, cette ordonnance nous apprend que :

- les actes de contrefaçon intervenus avant le 24 mai 2019 restent soumis à une prescription quinquennale (ou triennale si c'est la loi de 1992 qui s'applique) qui court à compter de la commission de l'acte ;

- seuls les actes de contrefaçon intervenus à compter du 24 mai 2019 sont soumis à une prescription quinquennale qui court à compter du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant d’exercer l’action en contrefaçon ;

- avant le 24 mai 2024, la nouvelle prescription prévue par la loi PACTE n’aura donc pas d’effet réel puisqu’aucune action en contrefaçon ne pourra en pratique être prescrite sur ce fondement.

[1] La décision est disponible iciGrégoire Desrousseaux, auteur du présent article, représentait l’un des défendeurs dans cette affaire.

[3] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE » : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038496102/

[4] Cass. Civ. 1ère, 10 janvier 2018, pourvoi n°17-10.560 ; Cass. Civ. 1ère, 13 mai 2014, pourvoi n°13-13.406, Bull. 2014, I, n°83 ; Cass. Civ. 3ème Civ., 24 janvier 2019, pourvoi n° 17-25.793, P+B

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