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La couverture sociale des salariés détachés et expatriés : les enjeux liés à l’obligation d’information de l’employeur et au maintien de l’affiliation au régime français

Article | 29/04/14 | 8 min. |

Les journaux se sont récemment faits l’écho de quelques-uns des nombreux litiges qui opposent des salariés  à leur employeur en France au sujet de leur couverture sociale pendant leur mission plus ou moins longue à l’étranger. En effet, à l’issu de la relation de travail, certains salariés prétendent devoir obtenir réparation d’un préjudice né de l’absence de maintien de leurs garanties sociales pendant leur mission à l’étranger.

L’occasion de faire le point sur les obligations de l’employeur en matière de protection sociale concernant les salariés occupés à l’étranger.

Rappel détachement/expatriation

Ces deux notions n’ont pas la même signification en droit du travail et en matière de protection sociale.

En droit du travail

On parle de détachement de Droit du travail lorsqu’il y a maintien du lien de subordination avec l’employeur d’origine. On parle sinon d’expatriation pour recouvrir deux cas : la mise à disposition (suspension du contrat de travail d’origine et transfert temporaire du lien de subordination vers la société bénéficiaire pendant la durée de la mission) ou le transfert en contrat local (lien de subordination et contrat de travail exclusivement avec la société d’accueil).

L’expatriation n’est pas définie en tant que telle en Droit du travail ce qui peut créer des confusions et générer des contentieux entre les parties, particulièrement en fin de contrat (en France ou localement).

En effet, les droits et obligations du salarié et de l’employeur ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agisse de détachement ou d’expatriation et notamment, l’employeur en France devra rapatrier le salarié en fin de détachement ou même d’expatriation s’il s’agit d’une société mère en France (L 1231-5 CT).

La jurisprudence tend à ce titre à élargir les obligations des sociétés françaises à l’égard des salariés occupés à l’étranger et nombre de ces sociétés découvrent tardivement qu’elles ont encore des obligations à l’égard de salariés qu’elles ne gèrent parfois plus depuis parfois plusieurs dizaines d’années.

En matière de protection sociale

Ici encore, le détachement et l’expatriation peuvent être distingués dans le cadre des opérations de mobilité internationale.

On parle de détachement au titre des situations dans lesquelles le salarié est maintenu au régime de protection sociale obligatoire de son pays d’origine.

L’expatriation recouvre quant à elle, les cas dans lesquels le salarié n’est plus affilié au régime obligatoire de son pays d’origine et est donc soumis à la législation du pays d’accueil en matière de protection sociale.

L’application de l’un ou l’autre des régimes n’est pas toujours un choix, en effet, le détachement n’est possible que sous certaines conditions, et notamment, un accord de sécurité sociale doit exister entre les pays d’origine et d’accueil et être applicable au cas par cas. Lorsque le détachement est possible en application d’un accord international, les cotisations dans le pays d’accueil peuvent être évitées.

Lorsqu’un choix est offert à l’employeur ou au salarié, c’est le plus souvent les considérations économiques qui emporteront la décision de maintenir ou non l’affiliation au régime français obligatoire de sécurité sociale, d’autant que dans le cadre de l’expatriation, il est possible d’assurer au salarié une protection « française » en souscrivant aux régimes volontaires d’assurance maladie et de retraite de base (Caisse des Français à l’étranger - CFE) et de la retraite complémentaire (Groupe Humanis pour la CRE-IRCAFEX).

Notons que le maintien aux régimes volontaires de Sécurité sociale française ne permet pas d’être dispensé du paiement des cotisations locales de Sécurité sociale. Par ailleurs, la prise en charge des cotisations volontaires par l’employeur en France est bien souvent considérée localement comme un avantage chargeable en matière de sécurité sociale et d’impôt.

Les obligations de l’employeur relatives à la couverture sociale du salarié expatrié

Le législateur n’a pas expressément prévu d’obligation générale des employeurs français de maintenir leurs salariés au régime français de protection sociale pendant la durée de leur mission à l’étranger.

En effet, le principe de territorialité est applicable en matière de sécurité sociale française et l’article L 111-2-2 du Code de la sécurité sociale prévoit que toute personne exerçant sur le territoire français doit être affiliée à un régime obligatoire de Sécurité sociale. A contrario, une personne exerçant son activité hors de France ne devrait pas être affiliée au régime obligatoire français.

Le maintien au régime de Sécurité sociale peut néanmoins découler de l’application des conventions collectives ou de l’interprétation donnée par les juges quant à l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail.

Obligations conventionnelles de maintien de garantie

Certaines conventions collectives telles que la convention collective des travaux publics, des bureaux d’études (Syntec) ou de la métallurgie, comportent des dispositions spéciales en matière de mobilité des salariés à l’étranger.

Sous réserve des nuances propres à chacune de ces conventions, l’employeur doit alors maintenir le salarié occupé hors de France à un régime de protection sociale équivalent à celui dont il bénéficiait en France. Les extensions de garanties aux ayants droits doivent dans ce cas être également maintenues (le plus souvent concernant la mutuelle). En outre, le salarié ne peut être amené à supporter une charge totale de cotisations supérieure à celle qu’il aurait supportée en France. Les juges ont pu préciser que cette limite ne restreignait pas la nécessité de garantir une protection sociale similaire à celle dont le salarié aurait bénéficié en France[i].

L’objet des contentieux liés à l’application de ces dispositions conventionnelles porte principalement sur l’appréciation du caractère « équivalent » de la couverture et des droits à la retraite. Sur ce point, la Cour d’appel de Paris a récemment considéré qu’ « […] Il résulte de ces dispositions conventionnelles que l'employeur doit s’efforcer de maintenir des garanties équivalentes et non nécessairement identiques, à celles qu'aurait eu son salarié s'il était resté en France », le régime de retraite devant, selon les juges, être apprécié de manière globale[ii].  La Cour a ainsi considéré que la souscription auprès de la CRE (Caisse de Retraite des Etrangers – pour la retraite complémentaire) était suffisante. Cependant, cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi et l’interprétation à donner à la notion de « garanties équivalentes » reste encore floue à ce jour.

En outre, si les garanties offertes par la CFE et la CRE-IRCAFEX sont admises comme « équivalentes » aux régimes obligatoires, la question de la base de calcul de ces cotisations aux régimes volontaires français demeure problématique. Pour garantir une protection sociale « équivalente » à celle dont le salarié aurait bénéficié en France, faut-il cotiser sur l’intégralité de la rémunération ou peut-on limiter les cotisations à un salaire minimum en France ? A ce sujet, doit-on raisonner comme en matière d’assurance chômage dont la base des cotisations peut être limitée si l’employeur obtient l’accord de la majorité des salariés concernés[iii]?

Certains salariés entendent aujourd’hui aller plus loin et faire reconnaître un préjudice né d’une perte de droits à la retraite en France alors, même lorsqu’aucune convention collective ne prévoit le maintien du régime de protection sociale « à la française ».

Les juges auront ici à déterminer s’il existe une obligation contractuelle à charge des employeurs de maintenir un niveau de protection sociale « à la française » pour leurs salariés occupés à l’étranger, sachant que sur ce point les juges ont d’ores et déjà admis le dédommagement des préjudices nés d’un manque d’information du salarié.

Obligation d’information

Sur le fondement du principe d’exécution de bonne foi des contrat et du contrat de travail (article 1134 du Code civil et L. 1221-1 du Code du travail), la Cour de Cassation considère que l’employeur est débiteur envers son salarié d’une obligation d’information sur l’étendue de sa protection sociale avant son départ et pendant la durée de son expatriation[iv]. La Cour a précisé que l’employeur doit délivrer une information claire et exhaustive permettant d’apprécier l’étendue de la couverture sociale. En outre, il doit informer le salarié sur la nécessité, le cas échéant, de recourir volontairement à des garanties non couvertes (exemple : CFE).

Par ailleurs, les juges précisent que, conformément à l’article 1315 du Code civil, il revient au débiteur de l’obligation d’information (ici, l’employeur) de prouver qu’il a respecté cette obligation.

On constate à la lecture de ces arrêts que les juges se sont récemment montrés enclins à faire droit aux demandes de dédommagement des salariés lorsqu’ils font valoir un préjudice lié aux pertes de droits à la retraite. Or, il s’agit d’un réel enjeu économique pour les employeurs dont la maîtrise des coûts de mission serait fortement restreinte si un principe général d’obligation de maintien de couverture « à la française » devait être prochainement érigé.

 

[i] Cass. soc., n° 1225., 26 juin 2013, n° 12-19.745. Rejet - inédite. (CCN Métallurgie)

[ii] CA Paris, PÔLE 06 CH. 04, 25 juin 2013 n° 11/09442

[iii] Article 55 de l’annexe IX du règlement Unédic de 2001 et  Cass. soc., 19 juin 2013, n°12-17.980, rappelant que le seul accord individuel du salarié ne suffit pas.

[iv] Cass. soc., 19 juin 2013, n°12-17.980, n°1150 F-D (CCN applicable au personnel des sociétés d’assurance) ; Cass. soc., 26 juin 2013, n° 12-13.046, n° 1186. Cassation – inédite (CCN Syntec)

 

 

Suzanne Seran, counsel

 

 

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