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Surveillance accrue sur les clauses de non-concurrence dans les contrats de cession

Article Private Equity Corporate - M&A Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 01/07/16 | 5 min. | Julien Wagmann Renaud Christol

Les contrats de cession prévoient très généralement que le vendeur sera tenu par un engagement de non-concurrence. Cet engagement vise à assurer à l’acquéreur une jouissance paisible des titres de la société ou des actifs faisant l’objet de l’acquisition.

Ces clauses, qui restreignent la liberté d’entreprendre du vendeur, occasionnent très souvent de longues négociations et requièrent parfois des compromis significatifs, voire difficiles, des parties. Il convient à l’occasion de ces négociations de conserver en permanence à l’esprit les grands principes et règles fondamentales qui encadrent ce type d’engagement et qui ne peuvent se limiter à des précautions rédactionnelles. Le Tribunal de l’Union Européenne (le « Tribunal ») est venu rappeler avec fracas que ces clauses doivent également respecter le droit de la concurrence.

Lorsqu’une clause de non-concurrence est insérée dans un contrat de cession, il convient de déterminer dans quelle mesure cette clause est objectivement directement liée et nécessaire à la réalisation de l’opération d’acquisition/de cession (on parle de « restriction accessoire »[1]). En d’autres termes, il convient de répondre à la question suivante : est-ce qu’objectivement l’opération principale pourrait être réalisée, dans des conditions économiques favorables pour le vendeur et l’acheteur, sans la clause de non-concurrence ?

Si la réponse est positive, et sous réserve que le champ d’application matériel, géographique et temporel n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire afin de garantir le transfert à l’acquéreur de la valeur totale des actifs cédés, la clause est automatiquement couverte par la décision d’autorisation de l’opération. Si la réponse est négative, la clause doit être analysée au regard du droit commun des clauses de non-concurrence, notamment des principes de limitation et de proportionnalité.

Une clause objectivement sans rapport avec l’opération principale n’est pas accessoire à celle-ci

C’est exactement la situation sur laquelle s’est prononcé le Tribunal dans son arrêt du 28 juin 2016.

Vivo, un des principaux opérateurs de télécommunications mobiles au Brésil, était contrôlé conjointement par Portugal Telecom et Telefónica. En 2010, ces deux sociétés ont conclu un contrat d’acquisition d’actions qui avait pour objet le contrôle exclusif de Vivo par Telefónica. Dans cet accord, les opérateurs ont inséré une clause de non-concurrence par laquelle ils s’engageaient, « dans la mesure autorisée par loi, à s’abstenir de participer ou d’investir, directement ou indirectement, par l’intermédiaire de toute filiale, dans tout projet relevant du secteur des télécommunications (y compris les services de téléphonie fixe et de téléphonie mobile, les services d’accès à Internet et les services de télévision, à l’exception de tout investissement ou de toute activité en cours au jour de la signature du présent accord) susceptible d’être en concurrence avec l’autre société sur le marché ibérique ». En d’autres termes, cette clause obligeait les parties à ne pas se concurrencer en Espagne et au Portugal. Elle devait s’appliquer entre le 27 septembre 2010 (date de conclusion définitive de la transaction) et le 31 décembre 2011.

En janvier 2011, la Commission européenne (la « Commission »), après avoir été alertée de l’existence de cette clause par l’autorité de concurrence espagnole, a engagé une procédure contre Portugal Telecom et Telefónica. En février 2011, ces deux sociétés ont supprimé la clause.

Dans sa décision du 23 janvier 2013, la Commission a considéré que la clause constituait une entente anticoncurrentielle contraire à l’article 101 du TFUE et a infligé des amendes de 66,894 M€ à Telefónica et 12,290 M€ à Portugal Telecom.

Selon elle, la clause ne pouvait être considérée comme une restriction accessoire à l’opération Vivo, étant donné qu’une obligation de non-concurrence couvrant la totalité de la péninsule ibérique ne pouvait en aucune façon être considérée comme directement liée et nécessaire à la mise en œuvre du contrat d’acquisition d’actions de Vivo au Brésil.

La clause est une infraction par objet et la précaution rédactionnelle est inopérante

Pour la Commission, la clause de non-concurrence avait exclusivement pour objet d’opérer une répartition de marché entre les parties (Portugal Telecom était protégé sur le marché portugais et Telefónica était protégé sur le marché espagnol) et, en conséquence, de restreindre la concurrence sur le marché intérieur. La Commission a ajouté que le membre de phrase « dans la mesure autorisée par la loi » ne contredisait pas cet objet anticoncurrentiel.

Dans son arrêt du 28 juin 2016, le Tribunal confirme l’illégalité de la clause de non-concurrence (il renvoie uniquement à la Commission sur la question très limitée de la méthode de calcul des amendes).

Afin de contrer le raisonnement développé par la Commission dans sa décision, les opérateurs avaient soutenu que la clause était liée à une option de rachat, par Portugal Telecom des actions qu’il cédait à Telefónica (qui figurait dans les deuxième et troisième offres) et à la démission des membres du conseil d’administration de Portugal Telecom nommés par Telefónica, démission notamment destinée à garantir que ces membres ne communiqueraient pas d’informations confidentielles à Telefónica. Ces arguments sont inefficaces pour le Tribunal car (i) l’option de rachat ne figurait pas dans la version finale de l’accord et (ii) le droit des sociétés portugais interdisait aux membres du conseil d’administration visés d’utiliser des informations confidentielles pour concurrencer Portugal Telecom. La clause n’était donc en toute hypothèse pas accessoire à l’opération Vivo.

Le Tribunal confirme ensuite que la clause, conclue entre concurrents potentiels, avait pour objet d’organiser un partage de marchés. Enfin, le Tribunal confirme que le membre de phrase « dans la mesure autorisée par la loi » n’avait pas pour conséquence de mettre en place une obligation d’auto-évaluation dont aurait dépendu l’entrée en vigueur de l’obligation de non-concurrence. En d’autres termes, face à une restriction de concurrence par objet, cette précaution rédactionnelle était parfaitement inopérante.

Les parties aux contrats de cession sont averties : la Commission est et sera particulièrement vigilante quant à l’étendue des clauses de non-concurrence insérées dans de tels accords.


[1] Voir la Communication de la Commission relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentrations de 2005. Cette communication est utilisée comme guide d’analyse par l’Autorité de la concurrence.

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