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Les pièces du dossier de l’autorité de la concurrence peuvent, sous certaines conditions, être obtenues par les demandeurs à une action en réparation

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 17/09/12 | 5 min. | Renaud Christol

Par deux jugements récents, le tribunal de commerce de Paris a permis aux demandeurs à une action en réparation d’avoir communication des pièces du dossier de l’Autorité de la concurrence (« l’Autorité »).

Par un arrêt du 14 juin 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne a affirmé qu’il appartient aux juridictions nationales d’apprécier au cas par cas les conditions dans lesquelles les demandes d’accès formulées par les victimes de pratiques anticoncurrentielles dans le cadre d’actions en réparation à des documents contenus dans les dossiers des autorités de concurrence peuvent être ou non satisfaites, sur la base de leur droit national.

 

En France, les demandeurs à une action en réparation devant les juridictions civiles ne peuvent pas avoir accès aux pièces du dossier de l’Autorité, que ces pièces soient élaborées par l’Autorité ou communiquées par les parties mises en cause dans le cadre d’une procédure devant elle. La confidentialité de ces pièces est assurée, d’une part, par les dispositions du Code de commerce qui prohibent la divulgation des informations communiquées par l’Autorité aux parties à une procédure devant elle et, d’autre part, par les dispositions de la loi du 17 juillet 1978, réformée par une loi du 17 mai 2011, qui prohibent la communication, à toute personne, des documents élaborés ou détenus par l’Autorité dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs d’enquête, d’instruction et de décision. L’effet de ces dispositions est double : elles protègent les défendeurs et interdisent aux demandeurs de fonder leurs prétentions exclusivement sur les pièces du dossier de l’Autorité, en l’absence de connaissance de celles-ci.

 

Cependant, dans un arrêt du 19 janvier 2010, la Cour de cassation a considéré que la protection offerte par les textes n’est pas absolue et que « [l]e principe du respect des droits de la défense ne justifie la divulgation, dans un procès civil, d’informations couvertes par le secret de l’instruction devant le Conseil de la concurrence […], que si cette divulgation, incriminée par l’article L. 463-6 du Code de commerce, est nécessaire à l’exercice de ces droits ».

 

Par deux jugements rendus le même jour, le tribunal de commerce de Paris est allé beaucoup plus loin en permettant au demandeur à une action en réparation d’obtenir communication des pièces du dossier de l’Autorité.

Pour le tribunal de commerce de Paris, cette communication ne contrevient pas aux dispositions susvisées « dans la mesure où cette divulgation est nécessaire à l’exercice [des] droits » du demandeur. En d’autres termes, alors que la Cour de cassation limitait l’exception à l’exercice des « droits de la défense », le tribunal de commerce de Paris l’étend à l’exercice de tous les « droits », y compris ceux du demandeur.

Même si ces solutions ont été rendues dans le cadre spécifique d’actions en réparation faisant suite à des décisions d’acceptation d’engagements par l’Autorité (ces décisions ne caractérisent pas d’infraction au droit de la concurrence à la différence des décisions de condamnation), force est de constater que le tribunal de commerce de Paris n’a pas limité la communication des pièces du dossier de l’Autorité à cette seule hypothèse.

Par conséquent, il apparaît désormais envisageable que les demandeurs aux actions en réparation aient accès aux pièces du dossier de l’Autorité, quelle que soit la procédure concernée, dès lors qu’ils démontreront que ces pièces sont nécessaires à l’exercice de leurs droits, ce qui devrait être fréquent.

 

Répercussions potentielles sur l'attractivité de la procédure de clémence

Une telle communication pourrait avoir des répercussions sur l’attractivité de la procédure de clémence. Dans le cadre de cette procédure, une entreprise partie à une entente anticoncurrentielle dénonce cette pratique à l’Autorité en lui fournissant des pièces et en effectuant des déclarations. La contrepartie de cette dénonciation est, sous certaines conditions, une exonération totale ou partielle de la sanction pécuniaire infligée à l’entreprise en cause.

Or comme le rappelle l’Autorité, « [l]’exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires accordée par l’Autorité à une entreprise ne la protège pas des conséquences civiles qui peuvent résulter de sa participation à une infraction ». L’entreprise qui dénonce une pratique anticoncurrentielle n’est donc pas à l’abri d’une action en réparation formée par les victimes de cette pratique. Dans ce cadre, elle n’est désormais pas non plus à l’abri d’une demande de communication des éléments transmis pour obtenir l’exonération d’amende, formée par ces mêmes victimes.

En d’autres termes, la communication effectuée par l’entreprise dénonciatrice pourrait certes lui permettre d’obtenir une exonération de sanction devant l’Autorité mais pourrait également se retourner contre elle dans le cadre de l’action en réparation, les éléments communiqués à l’Autorité constituant alors autant de preuves renforçant les demandes d’indemnisation.

Face à un tel risque, les entreprises seraient à n’en pas douter moins enclines à se lancer dans une procédure de clémence

Les autorités sont parfaitement conscientes de ce potentiel effet dissuasif. Ainsi, dans le cadre de la réforme de la loi du 17 juillet 1978 susmentionnée, le Gouvernement a rappelé qu’« [à] défaut d’avoir la garantie que [l]es documents [communiqués à l’Autorité dans le cadre de la procédure de clémence] ne risquent pas d’être divulgués, les entreprises risquent de ne pas présenter de demandes de clémence à l’Autorité de la concurrence ».

Le Réseau Européen de Concurrence (« le REC »), qui regroupe la Commission Européenne et les autorités de concurrence des États membres, a pris une position identique à la suite de l’arrêt Pfleiderer précité.

Le REC a rappelé que la protection de la confidentialité des documents communiqués dans le cadre de la clémence est « fondamentale pour l’effectivité de la lutte contre les cartels » et a affirmé que « les documents communiqués dans le cadre de la clémence doivent être protégés de toute divulgation afin d’assurer l’effectivité des programmes de clémence ». Cela étant, il ne s’agit que d’une résolution qui ne saurait lier les juridictions saisies de demandes de communication dans le cadre d’actions en réparation.

 

Christophe Clarenc - Associé

Renaud Christol - Counsel

 

 

 

 

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