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Clarification des conditions d’application de l’article L.442-6 du Code de commerce en cas de rupture brutale d’un contrat de distribution exécuté à l’étranger

Article | 22/05/14 | 5 min. |

Par un arrêt du 25 mars 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation a admis qu’un distributeur étranger puisse se fonder sur L.442-6-I-5° du Code de commerce pour engager la responsabilité de son fournisseur français, auteur de la rupture brutale de relations commerciales, en considérant que le fait dommageable était survenu en France.

La rupture par un fournisseur français d’un contrat de distribution conclu avec un distributeur chilien

En l’espèce, une société chilienne distribuait depuis 1991 les produits d’une société française sur le territoire chilien. En 1999, un contrat de distribution a été conclu entre les parties pour une durée de trois ans, renouvelable pour une durée indéterminée. En 2003, mécontente des prestations de son distributeur, la société française lui a notifié la résiliation immédiate du contrat de distribution.

Le distributeur a alors assigné en France ladite société française en se fondant notamment sur l’article L.442-6-I-5° du Code de commerce, estimant la rupture brutale et abusive.

Confirmant le jugement de première instance, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande du distributeur chilien, considérant que la loi française, et plus particulièrement l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, était bien applicable au litige entre les parties. Sur le fondement de cet article, la Cour d’appel a estimé que la durée de préavis raisonnable que devait respecter la société française était de douze mois et, en conséquence, a condamné celle-ci au paiement de 150.000 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale du contrat de distribution, ainsi qu’au paiement de 100.000 euros au titre du préjudice moral subi par le distributeur chilien.

Formant un pourvoi à l’encontre de cet arrêt, le fournisseur français soutenait que la loi française n’était pas applicable au litige dès lors que le dommage ne s’était pas réalisé en France. Celui-ci rappelait en effet que le contrat de distribution devait être intégralement exécuté au Chili, de sorte que la rupture en cause ne pouvait affecter que le territoire chilien.

La question posée à la Cour de cassation concernait donc la détermination de la loi applicable en matière de responsabilité délictuelle, dans l’hypothèse où le fait générateur du dommage (localisé en France selon le distributeur chilien) est situé dans un Etat distinct du lieu de réalisation du dommage (selon la société française, au Chili).

La nature délictuelle de l’action intentée par le distributeur pour rupture brutale de la relation commerciale n’était en revanche contestée ni par le distributeur chilien, ni par le fournisseur français.

La localisation du fait dommageable en France

Selon la Cour de cassation, le fait dommageable s’est bien produit en France.

La Cour de cassation rappelle en effet que « la loi applicable à la responsabilité extracontractuelle est celle de l’Etat du lieu où le fait dommageable s’est produit et que ce lieu s’entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que de celui de réalisation de dernier » et précise « qu’en cas de délit complexe, il y a lieu de rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable ».

Or en l’espèce, « ces liens résultent […] de la relation contractuelle préexistant depuis plus de douze ans entre les parties, que celles-ci ont formalisé par un contrat conclu à Paris, en désignant le droit français comme loi applicable et le tribunal de commerce de Paris comme juridiction compétente ».

Compte-tenu de ces éléments rattachant de manière étroite le litige avec la France, la Cour de cassation confirme l’applicabilité du droit français et de l’article L.442-6-I-5° du Code de commerce au litige, et rejette le pourvoi formé par la société française.

Cet arrêt applique donc en la matière la règle classique de droit international privé : s’agissant de la responsabilité délictuelle, la loi applicable au litige est la lex loci delicti, lieu de survenance du fait dommageable. En présence de délits complexes, lorsque le fait générateur du dommage et le lieu de réalisation du dommage sont situés dans des Etats distincts, les tribunaux font application d’un principe de proximité, afin de départager ces deux critères qui ont égale vocation à s’appliquer. Ainsi, au moyen d’un faisceau d’indices, ils doivent rechercher la loi qui possède les liens les plus étroits avec le litige.

C’est ainsi en raison de l’existence de ces liens étroits entre les prétentions du distributeur chilien et le droit français que l’article L.442-6-I-5° du Code de commerce trouve à s’appliquer au litige.

La solution dégagée par cet arrêt, qui s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure[1], trouverait-elle à s’appliquer à l’avenir, compte-tenu de l’entrée en vigueur du Règlement n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») ? Le Règlement Rome II, non applicable au moment des faits de l’arrêt commenté, revient en effet sur la règle de conflits de lois telle qu’appliquée par la Cour de cassation : selon l’article 4.1 du Règlement, le principe général en matière de responsabilité délictuelle est désormais l’application de la loi « du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit ». Contrairement à la jurisprudence antérieure, seule la loi du lieu de réalisation du dommage gouverne le litige, indifféremment du lieu du fait générateur du dommage. Néanmoins, l’article 4.3 du Règlement prévoit à titre dérogatoire que « s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre » que celui dans lequel le dommage survient, la loi de cet autre pays s’applique. A cet égard, le Règlement précise qu’un « lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question ».

Par conséquent, même si le raisonnement est différent, la solution de l’arrêt commenté pourrait éventuellement être maintenue, en substance, sous l’empire du Règlement Rome II. Sous réserve de l’interprétation ultérieure par la jurisprudence des dispositions du Règlement, tout partenaire commercial étranger dont le contrat serait soumis au droit français pourrait donc, à l’avenir, invoquer à titre dérogatoire l’article 4.3 du Règlement Rome II pour tenter de bénéficier, en matière délictuelle, des dispositions protectrices de l’article L.442-6 du Code de commerce.

Cass. Com. 25 mars 2014, FS-P+B, n° 12-29.534

Claire Moléon, Avocat


[1] Cf. not. CA Versailles, 12e ch., 14 octobre 2004, JCP E, n° 31, 4 Août 2005, 1177

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