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Projet de Super League de football : Droit de la concurrence 1 – UEFA et FIFA 0

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution | 27/12/23 | 13 min. | Maëva Ammel Renaud Christol

Depuis les années 1990, les plus grands clubs européens de football réfléchissent à lancer une nouvelle compétition entre eux. Cette compétition serait fermée ou semi-fermée (similaire aux compétitions sportives des ligues majeures aux États-Unis (NBA, NFL, NHL, MLB) dans lesquelles les mêmes équipes se rencontrent tous les ans, sans possibilité de relégation) et leur permettrait de s’abstraire des résultats des championnats nationaux car certaines années les grands clubs européens ne parviennent pas à se qualifier pour la Champions League et, en conséquence, perdent des revenus très importants.

En 1998, le projet mené par la société italienne de gestion de droits sportifs Media Partners échoue car l’UEFA (Union des Associations Européennes de Football qui regroupe et représente toutes les fédérations nationales de football d’Europe) menace les joueurs qui participeraient à cette compétition de les priver d’équipe nationale. En parallèle, l’UEFA reforme la Champions League, notamment avec la possibilité pour les clubs classés troisièmes et quatrièmes de certains championnats nationaux d’y participer.

En 2009, le projet de compétition fermée ou semi-fermée est relancé à l’initiative de Florentino Perez, président du Real Madrid. Selon lui, il est nécessaire de mettre en place une « Super Ligue européenne qui garantit que les meilleurs jouent toujours les meilleurs, ce qui ne se produit pas en Champions League »[1].

Le projet est discuté pendant plusieurs années. À chaque fois, l’UEFA exprime son désaccord et menace de sanctions les clubs et les joueurs qui participeraient.

En août 2016, l’UEFA modifie à nouveau les règles d’accès à la Champions League. Pour le cycle 2018-2021, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne disposeront de 4 (auparavant 3) places directes en phase de la Champions League.

Cette réforme ne satisfait pas les grands clubs européens. Ils reprennent les discussions pour la création d’une compétition distincte. En novembre 2018, les Football Leaks de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel révèlent que des discussions secrètes ont lieu et que la nouvelle compétition serait lancée dès 2021.

Le 21 janvier 2021, la FIFA (Fédération Internationale de Football Association, fédération internationale de football qui regroupe toutes les fédérations nationales du monde) et les 6 confédérations continentales de football (AFC, CAF, CONCACAF, CONMEBOL, OFC et UEFA) publient une déclaration qui rejette toute forme de compétition dissidente à celles qu’elles organisent. Tout joueur qui y participerait serait banni de toute compétition organisée par la FIFA (notamment la coupe du monde) ou l’une des 6 fédérations (notamment l’euro).

Le 18 avril 2021, le New York Times révèle que 12 clubs européens[2] ont donné un accord de principe pour former une Super League européenne. Le journal ajoute que chaque club gagnerait plus de 400 millions de dollars en participant à la compétition. Le même jour, un communiqué de presse officiel annonce la formation de la Super League, présidée par Florentino Perez.

L’UEFA, les fédérations et les ligues nationales annoncent leur opposition à ce projet. L’UEFA ajoute que tout club qui y participerait serait banni de toutes compétions nationales, européennes et mondiales et que cette sanction toucherait également les joueurs.

Face à cette réaction, et aux réactions négatives des fans, entraineurs, anciens joueurs et joueurs, tous les clubs anglais, les deux clubs de Milan et l’Atlético Madrid se retirent du projet. L’UEFA annonce par ailleurs des sanctions contre les clubs sécessionnistes.

La société European Super League Company initie alors une procédure devant le Tribunal de commerce de Madrid afin de contester ces sanctions. Cette société soutenait notamment que les règles de la FIFA et de l’UEFA sur l’autorisation des compétitions et l’exploitation des droits médias violait le droit de la concurrence de l’Union européenne. Le Tribunal de commerce de Madrid a alors saisi la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, « la Cour ») d’une question préjudicielle à ce sujet.

La Cour s’est prononcée le 21 décembre 2023[3].

Dans un premier temps, la Cour constate que l’organisation des compétitions de football interclubs et l’exploitation des droits médias sont, à l’évidence, des activités économiques. Ces activités doivent respecter les règles de concurrence ainsi que les libertés de circulation, même si l’exercice économique du sport est caractérisé par certaines spécificités, comme l’existence d’associations dotées de pouvoirs de réglementation, de contrôle et de sanction. La Cour constate aussi que, parallèlement à ces pouvoirs, la FIFA et l’UEFA organisent elles-mêmes des compétitions de football.

Dans un deuxième temps, la Cour relève qu’il est loisible à des fédérations qui sont responsables d’une discipline sportive, d’adopter, de mettre en œuvre et de faire respecter des règles relatives à l’organisation et au déroulement des compétitions internationales mais que ce pouvoir doit être assorti de limites, d’obligations et d’un contrôle propre à exclure le risque d’exploitation abusive d’une position dominante, afin de ne pas violer l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après, « TFUE » ).

Elle considère que les pouvoirs accordés aux fédérations doivent être encadrés par des critères matériels transparents, clairs et précis qui permettent d’éviter qu’ils puissent être utilisés de manière arbitraire et par des modalités procédurales transparentes et non discriminatoires (pts. 134-136).

Elle ajoute qu’aucune des spécificités du football professionnel n’est susceptible de légitimer l’adoption et la mise en œuvre de règles d’autorisation préalable et de participation générales qui ne soient pas assorties de limites et de contrôle propres à exclure le risque d’exploitation abusive d’une position dominante.

Les pouvoirs de la FIFA et de l’UEFA ne sont encadrés par aucun critère. Dès lors, les pratiques de la FIFA et de l’UEFA sont donc susceptibles de caractériser un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE.

Au regard de l’article 101 TFUE (qui prohibe les ententes anticoncurrentielles), la Cour affirme que la nature spécifique des compétitions internationales de football et les conditions qui caractérisent la structure et le fonctionnement du marché de l’organisation et de la commercialisation de ces compétitions sur le territoire de l’Union permettent de considérer comme légitimes, dans leur principe, des règles d’autorisation préalable de ces compétitions.

Elle relève que ces règles sont de nature à permettre, sinon d’exclure du marché toute entreprise concurrente, du moins de limiter la conception et la commercialisation de compétitions alternatives ou nouvelles par leur format ou leur contenu.

Dès lors, elle considère qu’en l’absence d’encadrement par des critères matériels et par des modalités procédurales propres à en garantir le caractère transparent, objectif, précis, non discriminatoire et proportionné, de telles règles présentent, par leur nature même, un degré suffisant de nocivité pour la concurrence et relèvent donc de l’interdiction énoncée à l’article 101, § 1, TFUE, sans qu’il soit nécessaire d’en examiner les effets (pt. 178).

Parallèlement, la Cour relève que les règles de la FIFA et de l’UEFA relatives à l’exploitation des droits médias sont de nature à porter préjudice aux clubs européens de football, aux entreprises actives sur les marchés des médias ainsi qu’aux consommateurs et téléspectateurs qui ne peuvent pas profiter de compétitions nouvelles (pt. 176).

Aux termes de son analyse, la Cour conclut que les règles de la FIFA et de l’UEFA qui soumettent à leur autorisation préalable la création de tout projet de nouvelle compétition de football interclubs, telle que la Super League, et interdisent aux clubs et aux joueurs de participer à celle-ci, sous peine de sanctions, sont illégales en raison de l’absence d’encadrement des pouvoirs de la FIFA et de l’UEFA.

Il en va de même des règles qui attribuent à la FIFA et à l’UEFA un contrôle exclusif sur l’exploitation commerciale des droits liés à ces compétitions, compte tenu de l’importance de ces dernières pour les médias, les consommateurs et les téléspectateurs dans l’Union européenne.

Les principes énoncés dans cet arrêt sont déclinés dans deux autres affaires jugées le même jour.

L’affaire C-680/21 du Royal Antwerp Football Club fait suite à une question préjudicielle formée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles relative aux modalités d’organisation des compétitions de football au regard des règles imposées par l’UEFA et l’Union royale belge des sociétés de football sur le nombre minimal de « joueurs formés localement ». La position de la Cour est identique à celle exprimée dans l’arrêt relatif à la Super League.

L’affaire C-124/21 qui oppose l’International Skating Union à la Commission européenne) concerne également l’application des règles de concurrence de l’Union aux prérogatives d’une fédération sportive, l’Union Internationale de Patinage (ci-après l’« UIP »). Cet arrêt fait suite à un contentieux formé par la plainte de deux patineurs et de la principale association européenne chargée de représenter les athlètes. Il était prévu que la création de nouvelle compétition par une organisation tierce soit soumise à son autorisation préalable de l’UIP et que la participation d’athlètes à une compétition non autorisée puisse être sanctionnée. La position de l’UIP est considérée comme illégale, sur les mêmes fondements que l’arrêt relatif à la Super League.

28 ans après l'arrêt Bosman qui a mis fin aux quotas de joueurs étrangers dans les clubs européens et qui a révolutionné la circulation des footballers en Europe, la Cour vient, sur le fondement du droit de la concurrence, d’initier une nouvelle ère. Elle ne se prononce pas sur le projet de Super League. Elle rappelle à l’UEFA et à la FIFA que leurs pouvoirs ne sont pas au-dessus des règles et qu’elles doivent, notamment, respecter le droit de la concurrence.

À l’instar de l’arrêt Bosman, la portée de l’arrêt Super League ne sera pas limitée au football. Toutes les disciplines sportives professionnelles et semi-professionnelles seront impactées. Toutes les fédérations nationales et internationales devront instaurer des critères matériels précis et des modalités procédurales qui garantiront caractère transparent, objectif, précis, non discriminatoire et proportionné de leurs règles relatives à l’organisation de compétitions.

En outre, l’arrêt Super League est une nouvelle illustration, notamment après les nombreuses affaires devant l’Autorité de la concurrence relatives aux droits de diffusion et les tentatives d’utilisation du FSR par la Liga de Football et le club de Virton [4], de l’omniprésence du droit de la concurrence dans tous les milieux sportifs.

 

[1] Real Madrid's Florentino Perez reveals 'European Super League' ambition », The Daily Telegraph, 5 juillet 2009.

[2] En Espagne, le Club Atlético de Madrid, le Fútbol Club Barcelona et le Real Madrid Club de Fútbol; en Italie, l’Associazione Calcio Milan, le Football Club Internazionale Milano et le Juventus Football Club; en Angleterre, l’Arsenal Football Club, le Chelsea Football Club, le Liverpool Football Club, le Manchester City Football Club, le Manchester United Football Club et le Tottenham Hotspur Football Club. 

[3] Arrêt de la Cour dans l’affaire C-333 /21.

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