Article Droit européen Droit de la concurrence, consommation et distribution | 12/10/23 | 11 min. | Renaud Christol
Depuis le 12 juillet 2023, conformément au Règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur (en anglais « Foreign Subsidies Regulation » ou « FSR »), la Commission européenne (la « Commission ») peut ouvrir des enquêtes afin de contrôler toute opération d’investissement ou de soutien par laquelle tout pays tiers à l’Union européenne (« l’UE ») finance, directement ou indirectement, une entreprise active sur le marché intérieur et lui permet de bénéficier d’un avantage concurrentiel.
La Commission n’a pas tardé à mettre en œuvre ce pouvoir. Elle a déjà annoncé l’ouverture d’une enquête sur les subventions accordées par le gouvernement chinois dans le secteur des véhicules électriques et pourrait également examiner les mesures de soutien ou de financement que ce gouvernement octroie à ses constructeurs nationaux d’éoliennes dans le but de remporter des contrats sur le marché intérieur.
Le 12 octobre 2023 marque l’entrée en vigueur du second volet du FSR : la notification et l’autorisation préalables de certaines opérations de concentration[1].
Les seuils de notification
Les opérations de concentration devront être notifiées à la Commission avant leur réalisation au titre du FSR lorsque :
Le second seuil n’est pas limité aux « subventions étrangères » perçues par un pays mais suppose au contraire d’additionner toutes les « subventions étrangères » reçues au cours des trois dernières années.
Le FSR est susceptible d’appréhender de très nombreuses opérations, partout dans le monde
Originellement, l’objectif du FSR était d’appréhender les situations où des entreprises originaires d’États hors de l’Union européenne et qui bénéficient de subventions de la part de leur État d’origine utilisent cette facilité pour venir concurrencer les entreprises localisées dans l’Union européenne.
Mais le champ final d’application est beaucoup plus large. En réalité, les obligations contenues dans le FSR vont concerner toutes les entreprises, peu importe leur localisation d’origine, dès lors qu’elles perçoivent des « subventions étrangères » de la part de pays tiers à l’Union européenne.
Cela signifie que toutes les entreprises qui ont une activité dans l’Union européenne sont potentiellement concernées par le FSR.
En outre, la notion de « subvention étrangère » est très vaste.
Les « subventions étrangères » sont toutes les contributions financières octroyées directement ou indirectement par un pays à une ou plusieurs entreprises ou à un ou plusieurs secteurs : les prêts et garanties de prêts ; les apports en capital, compensations de pertes d’exploitation, compensations de charges financières imposées par les pouvoirs publics ; les annulations ou conversions de dettes en capital ou rééchelonnement de dettes ; l’achat de biens ou services (par exemple dans le cadre de marchés publics) ; les abandons de recettes tels que les incitations ou les exonérations fiscales.
La contribution peut avoir été versée par le gouvernement, une collectivité locale, une entreprise publique contrôlée par un pays et même par une entité privée si les décisions de cette entité peuvent être attribuées au pays tiers. En outre, ce champ d’application n’est pas restreint à certains pays : tous les pays non-membres de l’Union européenne sont concernés.
En d’autres termes, le second seuil de 50 millions d’euros au cours de trois ans est susceptible d’être très aisément franchi.
La procédure de notification au titre du FSR s’ajoute à celle au titre du contrôle des concentrations
Les modalités d’application du FSR sont précisées dans un règlement d’exécution adopté le 10 juillet 2023 (le « Règlement d’exécution »)[2]. La notification des opérations qui franchissent les seuils s’effectue au moyen d’un formulaire de FS-CO, dont la structure et le contenu sont très proches de ceux du Formulaire CO utilisé dans le régime de contrôle des concentrations.
Le FSR impose également une suspension de la réalisation de l’opération jusqu’à la délivrance de la décision d’autorisation, qui est évidemment susceptible d’avoir un impact sur les opérations de croissance externe[3].
Bien qu’il repose sur une logique et un fonctionnement proches du contrôle des concentrations (les sanctions en cas de non-respect sont d’ailleurs analogues[4]), le FSR ne s’y substitue pas mais s’applique de manière parallèle. Certaines opérations pourraient donc être contrôlables au titre du contrôle des concentrations au niveau de la Commission et dans d’autres États hors UE, au titre du FSR ou encore au titre d’un contrôle des investissements étrangers nationaux.
En outre, les informations que les entreprises concernées devront communiquer à la Commission sont particulièrement étendues : les entreprises devront notamment, pour les contributions financières étrangères considérées comme les plus susceptibles de fausser le marché intérieur[5], fournir des informations détaillées sur toutes les contributions financières d'un montant individuel d'au moins un million d'euros, octroyées aux parties à la transaction au cours des trois dernières années. La collecte de ces informations va constituer un enjeu majeur et impliquer un travail très important, en particulier pour les groupes internationaux.
Premiers dossiers
Toutes les obligations instaurées par le FSR, et tous les mécanismes de contrôle dont la Commission dispose pour en contrôler le respect sont désormais applicables.
D’après un chef d’unité de la Direction générale de la concurrence de la Commission, qui s’est exprimé le 10 octobre, 17 opérations de concentration auraient déjà été prénotifiées à la Commission au titre du FSR. De nombreuses autres seraient aussi susceptibles d’être concernées. Tel serait notamment le cas de l’acquisition par le laboratoire pharmaceutique français Cooper de la quasi-totalité de l’activité de médicaments en vente libre de l’entreprise américaine Viatris. Des opérations sans lien immédiat avec le marché unique, comme la prise de contrôle de Capri par Tapestry, deux groupes actifs dans le secteur du luxe et basés aux États-Unis, devront également obtenir l’autorisation de la Commission avant d’être réalisées.
Sans nul doute, le FSR sera une contrainte supplémentaire dans les opérations de croissance externe ou de constitution de filiale commune. Fort heureusement, les outils d’analyse employés en matière de contrôle des concentrations et d’aides d’État seront objectivement utiles pour apprécier si une « subvention étrangère » n’est pas problématique au sens du FSR.
[1] Les obligations de notification de passation de certains marchés publics ou concession entrent également en vigueur.
[2] Règlement d’exécution (UE) 2023/1441 de la Commission du 10 juillet 2023 relatif aux modalités détaillées des procédures mises en œuvre par la Commission en vertu du règlement (UE) 2022/2560 du Parlement européen et du Conseil relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur. Voir notre précédent flash à ce sujet : https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1982-la-commission-europeenne-precise-les-modalites-de-controle-des-subventions-etrangeres#_ftn4.
[3] La durée d’examen de la notification est de 25 jours ouvrés à compter de la réception d’une notification complète. En cas de doute sur la compatibilité avec le marché intérieur des « subventions étrangères » reçues, une phase d’enquête approfondie est ouverte. Sa durée est de 90 jours, avec des possibilités de prolongations.
[4] En cas de réalisation de l’opération avant autorisation ou d’absence de notification, la Commission peut prononcer une amende dont le montant maximum est de 10 % du chiffre d’affaires total de l’exercice précédent. En cas de fourniture de renseignements inexacts ou dénaturés dans la notification, le montant maximum de l’amende est de 1 % du chiffre d’affaires total de l’exercice précédent. Elle peut également imposer des engagements particulièrement lourds (par exemple la cession de certains actifs), voire remettre en cause la réalisation de certaines opérations a posteriori.
[5] Sans que cette liste prévue à l’article 5 du FSR ne soit limitative, cela vise notamment les subventions accordées à une entreprise en difficulté, les garanties illimitées (montant et/ou durée) des dettes ou des passifs de l’entreprise, les subventions qui facilite directement l’opération de croissance externe, ou les subvention non conforme aux règles de l’OCDE sur les crédits à l’exportation qui bénéficient de soutiens publics.