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La class action à la française pour la réparation des dommages concurrentiels

Competition, Retail and Consumer Law Commercial and International Contracts | 17/03/14 | Renaud Christol

La loi relative à la consommation, qui devrait être promulguée très rapidement, introduit l’action de groupe en droit français et plus particulièrement en droit de la concurrence.

L’article 1er de la loi permettra aux consommateurs qui auraient subi un préjudice causé par des pratiques anticoncurrentielles d’en obtenir réparation dans le cadre d’une action de groupe avant même que l’intégralité de la décision de l’Autorité de la concurrence (« l’ADLC ») ne soit devenue définitive.

Un apport indéniable

Le projet de texte initial prévoyait que seules les associations de consommateurs pouvaient engager une action de groupe et qu’elles ne pouvaient le faire « que sur le fondement d’une décision constatant les manquements, qui n’est plus susceptible de recours et qui a été prononcée à l’encontre du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de l’Union européenne compétentes ».

Certaines voix se sont élevées[1] pour déplorer que les PME ne bénéficient pas de l’action de groupe. En effet, ces entreprises subissent souvent un préjudice en raison de pratiques anticoncurrentielles, notamment lorsqu’elles produisent ou commercialisent des biens intermédiaires. La rédaction initiale du projet de texte était également critiquée en ce qu’elle aurait pu avoir pour conséquence de dissuader les consommateurs d’engager des actions de groupe face au délai relativement long (parfois jusqu’à une dizaine d’années) pour obtenir une décision définitive de l’ADLC.

Le texte finalement adopté répond à une seule de ces deux préoccupations car les PME ne sont pas incluses dans son champ d’application.

La rédaction sur le point de départ de l’action a en revanche été amendée : l’action de groupe peut être engagée immédiatement après le prononcé d’une décision par l’ADLC, soit parce qu’aucun recours n’a été exercé dans les délais légaux[2], soit parce qu’un recours a été engagé mais qu’il ne porte que sur la détermination de la sanction et non pas sur l’existence de pratiques anticoncurrentielles et sur la participation des entreprises condamnées à cette pratique. Dans tous les cas, la loi présume irréfragablement que les infractions au droit de la concurrence caractérisées par la décision et qui ne font pas l’objet de recours constituent des manquements ouvrant droit à indemnisation.

Des difficultés de mise en œuvre

Cette rédaction aura à tout le moins deux conséquences.

En premier lieu, les actions de groupe ne seront possibles que sur le fondement d’une décision de l’ADLC constatant une infraction au droit de la concurrence. Aucune action de groupe ne pourrait être engagée sur le fondement d’une décision acceptant et rendant obligatoires les engagements proposés par une entreprise[3], ni a fortiori sur le fondement d’un avis rendu par l’ADLC. En effet, dans ces deux types de procédures, l’ADLC ne caractérise pas de pratiques anticoncurrentielles[4].

En second lieu, cette rédaction pose certaines difficultés d’ordre pratique.

Si l’existence d’un recours contre une décision de l’ADLC est publique grâce à l’indication qu’en fait l’ADLC sur son site internet, les moyens soulevés et les motifs avancés dans le cadre du recours ne sont en revanche pas connus des entités qui ne sont pas parties à la procédure de recours. En d’autres termes, il n’apparait en l’état actuel pas possible pour une association de consommateurs qui ne serait pas partie à la procédure de recours de savoir si le recours en question porte sur la caractérisation des pratiques anticoncurrentielles ou sur la détermination de la sanction, et donc de savoir si elle peut engager une action de groupe immédiatement ou si elle doit attendre que la décision devienne définitive.

Dans ces conditions, les associations de consommateurs pourraient être tentées d’intervenir volontairement dans toutes les procédures de recours contre des décisions de l’ADLC afin de connaître l’objet et le champ dudit recours. La recevabilité de telles interventions fera certainement l’objet de débats.

Par ailleurs, et en toute hypothèse, afin de retarder l’introduction des actions de groupe à leur encontre, il ne peut être exclu que les entreprises condamnées par l’ADLC décident de former systématiquement un recours contre l’intégralité de ladite décision, et ce, même si leurs critiques portent exclusivement sur les éléments de détermination de la sanction.

 

 

Renaud Christol, Counsel

Elsa Pinon, Avocat

 

 


[1] Voir notamment l’audition du président de l’ADLC par la Commission des affaires économiques du Sénat le 03.07.2013.

[2] Le futur article L. 423-17 du code de la consommation prévoit que « la responsabilité du professionnel ne peut être prononcée (…) que sur le fondement d’une décision prononcée à l’encontre du professionnel (…) qui constate les manquements et qui n’est plus susceptible de recours pour la partie relative à l’établissement des manquements ».

[3] Article L. 464-2 I du code de commerce.

[4] Communiqué de procédure de l’ADLC du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence, §7 et CA Paris, 19.12.2013.