Cet article s’appuie sur les échanges d’un atelier dédié aux critères ESG qui s’est tenu le 17/09/2024, organisé par August Debouzy. Les participants étaient François Molins, procureur général honoraire près la Cour de cassation, Alexandre Menais, directeur juridique, L’Oréal, Astrid Mignon Colombet avocat associée August Debouzy et Vincent Brenot, avocat associé August Debouzy.
Le paysage des contentieux environnementaux évolue rapidement, bouleversant la manière dont les entreprises doivent envisager leur responsabilité. Ce qui n'était auparavant qu'une question secondaire est devenu un enjeu majeur, encadré par des régulations toujours plus complexes. Les entreprises, particulièrement celles aux activités internationales, sont désormais au cœur des débats environnementaux et doivent anticiper les changements en cours. Face à cette transformation, il est impératif de comprendre les dimensions stratégiques de ces contentieux, au-delà des seuls risques juridiques, afin de les intégrer dans une approche durable et innovante.
Les nouveaux contentieux environnementaux reflètent une modification profonde dans la perception des entreprises. Ces dernières sont de plus en plus perçues comme des acteurs sociaux, tenus d’intégrer les préoccupations environnementales dans leurs activités. La notion d'intérêt social de l'entreprise, notamment encadrée par la loi Pacte en France, illustre cette évolution. Désormais, les entreprises doivent non seulement poursuivre des objectifs économiques, mais aussi prendre en compte les enjeux sociétaux et environnementaux dans leurs décisions stratégiques.
Cela implique de repenser la gouvernance des entreprises, en intégrant des considérations non financières au plus haut niveau de décision. Les débats sur la « raison d’être » des entreprises montrent qu’elles doivent répondre à des attentes bien au-delà du profit, en contribuant activement à la préservation de l’environnement. Cette transformation s'accompagne d'une redéfinition du rôle des parties prenantes, incluant non seulement les actionnaires et les employés, mais aussi la société civile et les générations futures. La justice environnementale pénale, notamment, souligne cette évolution, en mettant de plus en plus en avant la réparation plutôt que la répression.
L'un des défis majeurs des contentieux environnementaux réside dans le caractère évolutif du droit qui les encadre. L'inflation normative, observée tant au niveau national qu'international, place les entreprises face à une complexité croissante. Le code de l'environnement en France, qui est passé de 1 000 à 7 000 articles en deux décennies, symbolise cette prolifération législative. Cette augmentation des normes s’accompagne d’une transversalité des juridictions compétentes et d’une fragmentation des textes législatifs ; il devient alors difficile de naviguer dans cet environnement juridique incertain.
Ce cadre en constante évolution entraîne un décalage entre le dispositif normatif et la pratique des entreprises ainsi. Le droit pénal de l'environnement se construit par des ajouts successifs de nouvelles infractions, qui visent à protéger les générations futures. Ces concepts souvent imprécis créent des zones d’incertitude juridique pour les entreprises.
L'un des exemples les plus marquants est l’infraction de mise en danger de l'environnement, inspirée de la mise en danger de la personne. Ce concept, bien que pertinent dans une approche préventive, est difficile à appréhender pour les entreprises, tant il repose sur des notions larges et évolutives.En dépit de ces défis, les contentieux environnementaux peuvent être source de nouvelles des opportunités. Ils forcent les entreprises à innover et à repenser leurs modèles d'affaires pour mieux répondre aux exigences réglementaires. Cette contrainte peut devenir un levier de transformation stratégique. Par exemple, L'Oréal, leader mondial de la cosmétique, a intégré les enjeux environnementaux dès 2012 en développant une stratégie de croissance durable. L'entreprise a su faire de ces contraintes réglementaires un moteur d'innovation, notamment en reformulant ses produits pour limiter son impact environnemental et en repensant sa chaîne de valeur.
Ce type d’approche proactive montre que les entreprises peuvent tirer profit de ces nouveaux cadres en adoptant une vision à long terme. L'intégration de la traçabilité des matières premières et la transparence dans les relations avec les fournisseurs sont devenues des axes incontournables de la gouvernance d’entreprise. Le rôle des parties prenantes s'élargit, ouvrant la voie à une coopération accrue entre entreprises, ONG, régulateurs et consommateurs.
L'innovation ne se limite pas à la production. La gouvernance des entreprises se réinvente également, avec une attention accrue à la cohérence des actions et des engagements pris en matière environnementale. Le risque de eco-blanchiment « greenwashing » est réel, mais il peut être atténué par une approche sincère et transparente, alignant les objectifs économiques et environnementaux. Les entreprises sont de plus en plus jugées sur leur cohérence à travers toute la chaîne de valeur, et les entreprises leaders dans ce domaine se distinguent par leur capacité à concilier innovation, conformité et engagement environnemental. Une attention doit toutefois être portée aux nouveaux entrants : plus la réglementation s’accroît et se complexifie, plus les barrières à l’entrée sont nombreuses.
La justice joue un rôle croissant dans la régulation des comportements des entreprises face aux enjeux environnementaux. Le cadre juridique a considérablement évolué avec l'introduction en 2020 dans notre procédure pénale française de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIPE) dans le domaine environnemental. Cet instrument, inspiré de la CJIP utilisé en matière financier, permet aux entreprises d’éviter des poursuites pénales en acceptant de payer une amende et en prenant des mesures correctives. Ce système offre une alternative au procès, tout en incitant les entreprises à se conformer rapidement aux normes en vigueur.
Le développement de la justice négociée dans le domaine environnemental présente plusieurs avantages. D'une part, il permet d'accélérer la résolution des conflits, évitant des procès longs et coûteux. D'autre part, il renforce la prévention en incitant les entreprises à adopter des comportements conformes, bien plus tôt que si un procès devait se tenir. Toutefois, pour que cette approche soit pleinement efficace, il est nécessaire d'accompagner la CJIP d'une harmonisation des pratiques entre les juridictions et d'une meilleure spécialisation des juges sur les questions environnementales.
Cette spécialisation est essentielle pour garantir une application cohérente et efficace du droit de l'environnement. Les contentieux environnementaux requièrent une compréhension fine des enjeux scientifiques, économiques et sociaux sous-jacents, et les juges doivent être formés pour répondre à ces défis. Le recours aux Amicuscuriae et aux consultations extérieures aide à éclairer les jugements sur des questions particulièrement complexes.
Les nouveaux contentieux environnementaux poussent également les entreprises à revoir leur approche de la gouvernance. Au-delà de la conformité réglementaire, les entreprises sont invitées à jouer un rôle proactif dans la gestion de leurs écosystèmes. Cela implique non seulement de respecter les normes en vigueur, mais aussi de contribuer à la création de normes plus élevées en matière de durabilité. Le rapport entre les entreprises et leurs sous-traitants, par exemple, devient un enjeu stratégique : comment s’assurer que toute la chaîne de production respecte des standards élevés, tout en maintenant la compétitivité sur les marchés mondiaux ?
Cette gouvernance élargie s'accompagne d'une réflexion sur la manière de concilier les objectifs économiques et environnementaux. Pour une entreprise comme L'Oréal, qui ne produit pas de matières premières mais dépend de nombreux partenaires pour distribuer ses produits, la coopération avec les fournisseurs et la transparence vis-à-vis des parties prenantes sont devenues des priorités. Cette approche collaborative permet d’instaurer une confiance entre les différents acteurs et de limiter les risques liés à des pratiques irresponsables.
Les sanctions pénales jouent un rôle clé dans cette gouvernance. Bien que la justice pénale soit souvent perçue comme répressive, son rôle peut également être préventif. En encourageant les entreprises à corriger leurs comportements avant qu’ils ne deviennent problématiques, la justice peut servir de levier pour améliorer la conformité et favoriser une gestion responsable des risques environnementaux.Les nouveaux contentieux environnementaux constituent un défi majeur pour les entreprises, mais ils offrent également une opportunité unique de repenser leur modèle économique et leur gouvernance. Loin de se limiter à un cadre répressif, ces contentieux poussent les entreprises à adopter une approche proactive et à innover pour répondre aux attentes sociétales. La complexité croissante du cadre juridique, associée à une incertitude normative, nécessite une adaptation rapide et une coopération accrue entre les parties prenantes.
Les entreprises doivent désormais intégrer les enjeux environnementaux et sociétaux dans leurs stratégies de long terme, non seulement pour se conformer aux nouvelles régulations, mais aussi pour se distinguer sur des marchés de plus en plus compétitifs. La justice environnementale, à travers des outils comme la CJIP, joue un rôle clé dans cette transformation en créant un cadre plus flexible et préventif, incitant les entreprises à adopter des pratiques durables avant que des sanctions ne deviennent nécessaires.