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Obligation du promoteur immobilier contre obligation de délivrance du bailleur : un rappel des principes protecteurs du preneur

Article Corporate - M&A Immobilier et Construction | 15/02/18 | 8 min. |

Au terme d’un arrêt du 18 janvier 2018 [1], la Cour de Cassation est venue rappeler qu’en présence d’un promoteur immobilier dans le processus de conclusion d’un bail commercial, l’ensemble des obligations des parties demeurent et le bailleur ne saurait s’exonérer de ses propres obligations envers le preneur et même en cas de juxtaposition des obligations du promoteur et du bailleur envers le preneur.

En l’espèce, une association avait conclu un bail commercial, après avoir préalablement conclu un contrat de promotion immobilière avec un promoteur tiers afin de réhabiliter l’immeuble pour y exercer une activité de crèche.

En cours de réaménagement, le promoteur a découvert sur la toiture du bâtiment des éléments contenant de l’amiante, et a ainsi réalisé « hors forfait » des travaux de retrait de ces éléments, retardant de ce fait la livraison. L’association a alors sollicité du bailleur le remboursement du coût de désamiantage et la prise en charge du préjudice lié au retard de livraison.

La cour d’appel avait débouté l’association de ses demandes, considérant que l’obligation de résultat imposée au promoteur l’empêchait de se retourner contre le bailleur.

Sans même discuter le contenu des obligations du promoteur envers le preneur, la Cour de Cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, rappelant la propre obligation de délivrance du bailleur, et notamment la délivrance d’un bien conforme à la destination contractuelle prévue, ici l’activité de crèche stipulée dans le bail, qui couvrait dès lors la prise en charge des travaux de désamiantage, sauf clause expresse contraire.


1. Un refus de l’exonération des obligations essentielles

La Cour de Cassation rappelle encore une fois la force de l’obligation de délivrance du bailleur, obligation essentielle définie aux articles 1719 et 1720 du Code civil, qui peut se diviser en 3 branches : (i) l’obligation de mise à disposition du bien entre les mains du locataire, constituée par l’acte de délivrance à la prise de possession des lieux par le preneur, qui pèse sur le bailleur même si le preneur n’a pas versé de loyer ou de garantie[2] ; (ii) l’obligation de délivrance conforme à la destination prévue dans le bail ; et (iii) l’obligation de délivrance en « bon état de réparation »[3] qui semble progressivement absorbée par l’élargissement jurisprudentiel de l’obligation de délivrance conforme.

Ainsi, en l’espèce, la Cour de Cassation n’innove pas en intégrant les travaux de désamiantage dans l’obligation de délivrance conforme du bien loué, l’ayant déjà admis par le passé, y compris dans un cas similaire d’une découverte d’amiante pendant les travaux malgré un diagnostic technique initial stipulant le contraire[4], la conformité s’étendant aux normes légales exigées pour l’activité prévue, et donc au désamiantage[5] et aux autorisations administratives nécessaires à la conformité de l’activité[6].

Le véritable apport de cet arrêt réside dans la situation de « conflit d’obligations » entre le promoteur et le bailleur. La Cour de Cassation esquive plutôt le sujet en ne se prononçant pas véritablement sur le raisonnement des juges du fond au sujet de l’étendue et de la nature de l’obligation du promoteur, se contentant de rappeler les obligations du bailleur. On peut déduire de cette rédaction que la Cour de Cassation souhaite simplement rejeter une quelconque forme de hiérarchie et donc de classement dans l’ordre des actions ouvertes au preneur, qui peut se retourner contre le bailleur ou le promoteur, ces derniers ne pouvant pas non plus s’exonérer de leurs obligations en invoquant celles des autres.

Cette rédaction est évidemment favorable au preneur, qui aura en conséquence l’option de se retourner contre l’un ou l’autre de ses cocontractants.


2. Un élargissement des possibilités d’aménagement des obligations relatives à l’amiante ?

La Cour de Cassation rappelle également dans son attendu que la prise en charge des travaux nécessaires à l’activité imposée au bailleur du fait de son obligation de délivrance peut faire l’objet d’une exonération, par le biais d’une clause contraire.

La plupart des règles concernant le bail étant supplétives, les aménagements conventionnels sont dès lors fréquents, n’étant limités que par le droit commun des obligations et, par le régime des clauses abusives pour le cas des baux avec un consommateur.

Ainsi, dans le cas d’un bail commercial, la limite aux aménagements conventionnels s’applique aux obligations essentielles qui couvrent, pour le bailleur, et comme évoqué plus haut, l’obligation de délivrance, mais aussi l’obligation d’assurer au preneur une jouissance paisible en cours d’exécution[7], et pour le preneur, l’obligation de payer le loyer.

Les autres obligations du bailleur peuvent faire l’objet d’un aménagement, et notamment l’obligation d’entretien[8], de garantie contre les vices cachés[9], mais aussi la charge des réparations qui ne rentreraient pas dans le champ de l’obligation essentielle de délivrance conforme, et l’obtention de certaines autorisations administratives non nécessaires à l’exercice de l’activité prévue au bail, sauf dol ou faute lourde.

En ce qui concerne plus particulièrement le désamiantage, et depuis le décret n°2001-840 du 13 septembre 2001 qui a durcit les obligations du bailleur, le régime jurisprudentiel semble faire la distinction entre deux cas de figure : (i) soit la présence d’amiante est révélée avant l’entrée en jouissance du preneur et le bailleur doit alors supporter le coût du désamiantage au titre de son obligation de délivrance[10], toute clause contraire étant interdite ; (ii) soit la présence d’amiante est révélée en cours de bail, les parties pouvant dès lors inclure une clause faisant supporter ces travaux au preneur.

Cependant, considérant les articles R.1334-14 et s. du Code de la santé publique comme relevant du « risque contractuel », une partie de la doctrine était d’avis qu’un aménagement conventionnel était possible a priori[11].

La formulation de la Cour de Cassation semble pencher pour cette possibilité, précisant que la prise en charge des travaux nécessaires –ici le désamiantage– à l’activité stipulée au bail aurait pu faire l’objet d’une clause expresse contraire faisant peser les risques financiers sur le preneur. La découverte s’étant faite pendant les travaux, une telle solution va directement à l’encontre de la solution précédemment donnée par la même chambre et rappelé plus haut et pourrait donc constituer une bonne nouvelle pour le bailleur.

Toutefois, la formulation reste trouble, la prise en charge des travaux nécessaires à l’activité stipulée au bail rentrant en principe dans l’obligation de délivrance conforme du bien loué et n’étant donc pas susceptible d’aménagements conventionnels. Cette formulation peut probablement être expliquée par le contexte lié à la découverte par le promoteur d’amiante dans les locaux loués et les débats actuels sur la possibilité d’aménager conventionnellement le régime.

On peut dès lors considérer que la formulation de l’arrêt est plutôt favorable à un élargissement des possibilités d’aménagement des obligations relatives à l’amiante, mais il faudra attendre un arrêt plus clair pour se faire une meilleure idée de l’étendue de ces possibilités, le présent arrêt ne résolvant de toute façon pas les hésitations actuelles qui existent s’agissant de l’aménagement de l’obligation de désamiantage.



[1] (Civ. 3e, 18 janvier 2018, N°16-26.011)

[2] (Civ. 3e, 28 juin 2006, N°05-10.137)

[3] Art. 1720 al.1er du Code civil

[4] (Civ. 3e, 2 juillet 2003, N°01-16.246)

[5] Ce qui démontre bien l’actuel élargissement de la notion, quitte à déborder sur le champ du « bon état de réparation »

[6] De nombreux arrêts de Cour d’Appel sont venus préciser le champ des autorisations administratives incluses dans l’obligation de délivrance, et il en ressort une certaine confusion, la frontière étant particulièrement ténue.

[7] (Civ. 1ere, 23 février 1994, N°92-11.378)

[8] (Civ. 3e, 11 décembre 1991, N°90-17.720)

[9] (Civ. 3e, 31 octobre 2006, N°05-14.123)

[10] (Civ. 3e, 2 juillet 2003, N°02-14.642 et 01-16.246)

[11] L'article 1720 du Code civil n'est ni de l'essence du bail, ni d'ordre public, v. F. Collard-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 6e éd., nos 503 et s. – Petites affiches – 11/10/2004 n°203 – page 5


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