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Utilisation d'enregistrements téléphoniques comme preuve d'une entente anticoncurrentielle

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 02/09/16 | 4 min. | Renaud Christol

L’arrêt rendu le 8 septembre 2016 par le Tribunal de l’Union Européenne[1] (« le Tribunal ») dans l’affaire du cartel des crevettes de la mer du Nord vient affirmer, à rebours de la position exprimée par la Cour de cassation en 2011, que les enregistrements secrets de conversations téléphoniques constituent un moyen de preuve admissible pour établir une violation de l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne qui prohibe les ententes anticoncurrentielles.

La lutte contre les ententes anticoncurrentielles constitue une priorité commune et absolue des autorités de concurrence, nationales et communautaire. Dans ce contexte, la collecte des indices, voire des preuves, des pratiques que l’autorité de concurrence pourra utiliser pour établir l’existence d’une pratique anticoncurrentielle est cruciale. C’est une des raisons qui explique la promotion des procédures de clémence (par laquelle une entreprise partie à une pratique anticoncurrentielle la dénonce à une autorité de concurrence, en contrepartie d’une réduction, voire d’une immunité, d’amende) par les autorités de concurrence. C’est également une des explications du renforcement significatif des moyens d’action, matériels et juridiques, des autorités de concurrence au cours des dernières années. La présente affaire est une illustration de cette tendance.

L’entreprise Klaas Puul a déposé le 26 janvier 2009 une demande de clémence auprès de la Commission Européenne (« la Commission ») dans laquelle elle dénonçait l’existence d’une entente anticoncurrentielle entre négociants de crevettes de la mer du Nord. À la suite de ce dépôt, des opérations de visite et saisie avaient été menées dans les locaux de l’entreprise Kok Seafood. La Commission y avait saisi des enregistrements audio de conversations téléphoniques réalisés par un membre du personnel de Kok Seafood à l’insu de son interlocuteur au sein de la société concurrente Heiploeg, ainsi que des notes de conversations téléphoniques avec cet interlocuteur.

Dans sa décision du 27 novembre 2013[2], la Commission a considéré qu’entre juin 2000 et janvier 2009, Heiploeg et Klass Puul se sont entendues sur la fixation des prix et la répartition des volumes de ventes de crevettes de la mer du Nord en Belgique, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Elle a ajouté que Kok Seafood avait pris part à cette entente à partir de février 2005 au moins, tandis que Stührk avait participé à l’accord sur la fixation des prix en Allemagne de mars 2003 à novembre 2007. La Commission a infligé à Heiploeg, Stührk et Kok Seafood un montant total d’amende de 28 716 000 euros. Klaas Puul a bénéficié d’une immunité totale d’amende.

Le recours formé par Heiploeg contre la décision de la Commission faisait notamment valoir que les enregistrements secrets de conversations téléphoniques ne constituaient pas un moyen de preuve légal pour établir l’existence d’une entente anticoncurrentielle.

Le Tribunal, dans sa décision du 8 septembre 2016, considère que dès lors que l’entreprise sanctionnée n’a pas été privée d’un procès équitable, ni de ses droits de la défense[3] et que les enregistrements litigieux n’ont pas constitué le seul moyen de preuve retenu pour motiver la condamnation, la Commission est fondée à les utiliser pour établir l’existence d’une entente. Le Tribunal ajoute que, si les enregistrements ont été réalisés illégalement par un tiers en violation du droit au respect de la vie privée[4], il n’en demeure pas moins, qu’en l’espèce, cet élément de preuve a été obtenu régulièrement par la Commission, et que sa crédibilité n’est pas remise en question. Sur ce dernier point, le Tribunal souligne que la Commission a vérifié la concordance des enregistrements en cause avec les autres éléments de preuve contenus dans le dossier.

En d’autres termes, peu importe comment les enregistrements sonores ont été réalisés, de tels enregistrement peuvent valablement être utilisés par la Commission pour établir l’existence d’une entente anticoncurrentielle dès lors que la Commission les a obtenu régulièrement. Cela signifie que les enregistrements recueillis lors d’opérations de visite et saisie, comme c’était le cas en l’espèce, peuvent être utilisés. Cela signifie également que la communication spontanée de tels enregistrements par un plaignant ou par un demandeur de clémence serait admissible.

Cette position est contraire à celle retenue en France. La Cour de cassation dans son arrêt du 7 janvier 2011[5] avait affirmé que les enregistrements téléphoniques effectués par une personne, à l’insu de l’auteur des propos captés et, produits à titre de preuve devant l’Autorité de la concurrence, devaient être déclarés irrecevables car recueillis de façon déloyale. Dans cette affaire, les enregistrements avaient été produits à l’appui d’une saisine du Conseil de la concurrence (devenu l’Autorité de la concurrence) par une entreprise qui souhaitait dénoncer des pratiques qu’elle estimait anticoncurrentielles sur le marché des produits électroniques grand public.

Cet arrêt a été utilisé par Heiploeg au soutien de son argument. Le Tribunal le rejette car il s’agit « du seul exemple concret » au soutien de l’argument selon lequel « l’utilisation de pareilles conversations serait interdite au titre de preuve dans le droit de plusieurs États membres ».

En d’autres termes, il serait nécessaire que des juridictions suprêmes d’États membres rallient la position de la Cour de cassation pour que la solution dégagée par le Tribunal dans son arrêt du 8 septembre 2016 soit remise en cause. Dans l’attente de cet hypothétique revirement, les enregistrements secrets de conversations téléphoniques seront admis par la Commission.


[1] Arrêt du Tribunal de l’Union Européenne n° T-54/14 du 8 septembre 2016, Goldfish e.a. / Commission.

[2] Décision de la Commission Européenne n°39633 du 27 novembre 2013, Crevettes.

[3] Article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

[4] Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

[5] Décision de la Cour de cassation, Assemblée plénière, du 7 janvier 2011, Philips France et Sony France c/ Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi e.a., n° 09-14316 et 09-14667.

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