Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 20/02/20 | 8 min. | Renaud Christol
CJUE, 30 janvier 2020, Generics [UK] – C307/18
Cette affaire concerne la paroxétine, un antidépresseur commercialisé et protégé par GlaxoSmithKline (ci-après « GSK »). Les laboratoires génériques ont préparé l’arrivée de leurs produits sur le marché anglais après expiration du brevet qui protégeait le produit et l’expiration de la protection règlementaire.
GSK a tenté une approche nouvelle et a conclu avec ces laboratoires génériques des accords de distribution, d’approvisionnement et de sous-distribution de son principe actif dans un contexte de contentieux sur un brevet secondaire.
Plus précisèment, GSK a conclu avec Ivax, Guk et Alpharma des accords qui prévoyaient que leur entrée sur le marché avec des quantités prédéfinies de paroxétine fabriquée par GSK mais vendues sous la marque de chaque laboratoire générique. Ces accords, de distribution avec GSK pour Ivax, d’approvisionnement Guk-Ivax, ou de sous-distribution Alpharma-Ivax, s’accompagnaient du paiement par GSK à chacun des acteurs d’indemnités promotionnelles, entre autres[1].
Ils ont été conclus dans contexte où GSK détenait des brevets secondaires, et en particulier un brevet de polymorphes. Ivax a conclu son accord avec GSK hors de tout contentieux brevet, mais Guk a fait l’objet d’une interdiction provisoire sur la base de l’un de ces brevet (l’accord étant intervenu la veille de l’audience au fond), et un contentieux avait été initié par GSK contre Alpharma lorsque l’accord Ivax-Alpharma a été conclu.
Le brevet secondaire en question, qui couvrait 4 polymorphes de la paroxétine et leurs procédés de synthèse a été reconnu partiellement valide quelques mois avant la conclusion de l’accord Ivax-Alpharma (seules deux revendications de procédé remplissant les critères de validité), et non contrefait un an plus tard par un autre acteur du marché.
Avant ces accords, le marché anglais était fourni à 30-40% par des importations parallèles, vendues un peu moins chères que le produit de GSK. Les trois laboratoires génériques qui ont conclu des accords avec GSK ont vendu leurs produits à peu près au prix des importations parallèles. Cela a entraîné la disparition quasiment totale des importations parallèles et une diminution du prix moyen de la paroxétine de 4%.
Cela étant, selon l’autorité de concurrence britannique, la Competition and Markets Authority (ci-après « CMA »), cette baisse était incomparable avec celle constatée lors de l’entrée effective de laboratoires génériques sur des marchés comparables et qui aurait donc dû être constatée pour la paroxétine lors de l’arrivée des génériques[2].
Le 12 février 2016, la CMA a sanctionné GSK et deux des trois laboratoires génériques à hauteur de 44,99 millions de livres. La CMA a estimé que ces accords avaient pour objet d’inciter les fabricants de génériques à abandonner leurs efforts pour entrer sur le marché de manière indépendante pendant la durée convenue et s’apparentaient donc à des accords d’exclusion du marché interdits par l’article 101 TFUE. La conclusion de ces accords par GSK constituait également un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE.
GSK a formé un recours contre cette décision devant le Competition Appeal Tribunal.
Ce dernier a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après « CJUE ») d’une demande de décision préjudicielle.
Une décision marquante en droit des brevets….
La CJUE s’est penchée dans cette affaire sur l’impact d’un contentieux brevet dont l’issue n’est pas connue au moment de l’accord entre un laboratoire princeps et un laboratoire générique. Elle a estimé qu’un brevet de procédé n’était pas une barrière insurmontable pour les laboratoires génériques qui seraient prêts à contester la validité du brevet et à être confronté à une action en contrefaçon (§ 46). La CJUE a également balayé l’argument tiré de la présomption de validité des brevets (§ 48), et a insisté sur le fait que « l’insécurité sur la validité des brevets couvrant des médicaments est une caractéristique fondamentale du secteur pharmaceutique » (§51).
Elle a également modéré l’impact que devait avoir une décision d’interdiction provisoire, qui ne préjuge pas le caractère fondé ou non d’une action en contrefaçon (§53). Enfin, elle a insisté sur le fait qu’il est indifférent que des accords soient conclus pour mettre fin à un contentieux existant, ou pour éviter l’introduction d’un tel contentieux (§ 158).
La CJUE a précisé en outre que les accords de fin de litige n’étaient pas « dépourvus de toute réalité », et en ce sens acceptables (§ 76). Elle a rappelé qu’un transfert de valeurs du princeps au générique n’est pas forcément restrictif de concurrence, par exemple si ces sommes sont la compensation de sommes liées au litige, ou la rémunération de biens ou services effectifs (§ 86). Par contre, un transfert de valeurs qui n’aurait pour contrepartie que la non-contestation du brevet et la non-entrée sur le marché est restrictif de concurrence : ce n’est pas la force du brevet mais la perspective du transfert de valeur qui inciterait dans ce cas les génériques à conclure cet accord (§89).
La CJUE a également noté que les quantités de paroxétine prévues dans les différents contrats ne correspondait à aucune contrainte technique (§109).
… et en droit de la concurrence
La CJUE a été saisie de dix questions préjudicielles, notamment sur la concurrence potentielle entre les génériques non encore entrés sur le marché et le princeps, sur la restriction de la concurrence par objet ou par effet, ou encore sur la définition du marché pertinent et la notion d’abus de position dominante. En substance, la CJUE a estimé :
En définitive, plus que le contentieux brevet aussi sérieux soit-il, c’est la détermination et la capacité du générique à entrer sur le marché qui importe pour le droit de la concurrence. Dans ce cadre, un accord qui met fin à un litige brevet peut être restrictif de concurrence si les bénéfices accordés par le princeps au générique ou les transferts de valeur entre princeps et générique (par exemple compensation de frais effectifs, fourniture effective de bien ou de services) s’expliquent exclusivement par le seul intérêt commercial des parties à ne pas se faire concurrence.
Pour aller plus loin