Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 19/07/21 | 10 min. | Renaud Christol Marc-Antoine Picquier
Google n’a pas respecté les injonctions prononcées à son encontre par l’Autorité de la concurrence (« l’Autorité ») dans le dossier du droit voisin des éditeurs de presse.
Cette décision est la sixième décision de sanction de Google depuis 2019 par l’Autorité ou la Commission européenne. Le montant total d’amendes dépasse les 9 milliards d’euros et rien n’indique que ce montant ne cesse d’augmenter dans les prochains mois.
Dans sa décision du 9 avril 2020[1], l’Autorité avait constaté qu’à la suite de l’adoption de la loi du 24 juillet 2019 qui a créé un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse[2] (transposition la directive européenne du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique[3]), Google avait décidé unilatéralement de ne plus afficher au sein de ses différents services les extraits d’articles, les photographies et les vidéos des éditeurs et agences de presse qui avaient refusé l’exploitation de leurs contenus protégés à titre gratuit.
L’Autorité a considéré que ce comportement était susceptible de constituer un abus de position dominante et portait une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse. Elle a, par conséquent, prononcé sept injonctions à l’encontre de Google dans l’attente d’une décision au fond[4], notamment :
Google n’a pas respecté ces quatre injonctions.
Pour l’injonction n°1, l’Autorité a considéré que Google avait imposé aux éditeurs et agences de presse que les négociations portent sur un partenariat global dénommé « Publisher Curated News » qui concernait notamment un nouveau service appelé « Showcase ». À travers ce partenariat, Google a cherché à obtenir une licence générale sur l’intégralité des contenus des éditeurs, licence générale qui ne comportait aucune valorisation financière spécifique du droit voisin créé par la loi du 24 juillet 2019.
En outre, Google a réduit de manière significative le champ d’application de cette loi car il a refusé (i) de rémunérer les contenus issus d’éditeurs ou d’agences de presse qui ne disposait pas d’une qualification « information politique et générale » (IPG) et (ii) de rémunérer les contenus des agences de presse repris par les éditeurs pendant la quasi-totalité des négociations (afin vraisemblablement de limiter la durée de celles-ci).
Enfin, Google a retenu une conception excessivement restrictive de la notion de revenus tirés de l’affichage de contenus de presse au titre de l’article L. 218-4 du CPI. Afin de déterminer l’assiette de rémunération, Google retenait uniquement les seuls revenus publicitaires (Google Ads) des pages Google Search sur lesquelles s’affichent les contenus protégés, à l’exclusion de toute autre forme de revenus indirects générés par la présence de contenus protégés sur Google Search ou sur les autres services de Google tel que Google Actualités ou Discover.
Pour l’injonction n°2, l’Autorité a constaté que les informations communiquées par Google aux éditeurs et agences de presse étaient, soit partielles au sujet du périmètre des services et des revenus de Google, soit tardives par rapport à l’échéance des négociations, soit non spécifiques aux contenus protégés de l’entité à laquelle les informations étaient communiquées. Au surplus, les informations concernaient uniquement Google Search, à l’exclusion des autres services de Google et de tout autre revenu indirect généré par l’exploitation des contenus protégés.
Ces informations étaient insuffisantes pour permettre aux éditeurs et aux agences de presse d’évaluer la proposition financière de Google.
Pour l’injonction n°5, l’Autorité a estimé que la rémunération globale inhérente à Showcase violait l’obligation de neutralité car ce mécanisme incitait fortement les éditeurs et agences de presse à accepter les conditions imposées par Google sous peine de voir leur visibilité dégradée.
L’obligation d’accepter la rémunération globale, et donc l’obligation d’adhérer aux conditions imposées par Google, a également été considérée comme une violation de l’obligation de neutralité au titre de l’injonction n°6.
En définitive, le projet « Publisher Curated News » qui était critiqué par l’ensemble des éditeurs et agence de presse, a également été stigmatisé par l’Autorité.
Pour elle, Google n’a absolument pas tenu compte de la décision de mesures conservatoires et des injonctions prononcées à son encontre.
Elle estime que les non-respects de ces injonctions relevaient « d’une stratégie délibérée, élaborée et systématique de non-respect de l’injonction 1 et apparaî[ssait] comme la continuation de la stratégie d’opposition de Google, mise en place depuis plusieurs années pour s’opposer au principe même des droits voisins ».
Face à l’entêtement de Google, l’Autorité a choisi la sévérité et a prononcé une sanction pécuniaire de 500 millions d’euros.
Elle lui a également enjoint :
tout cela sous astreinte de 300 000 euros par jour de retard à l’expiration du délai de deux mois qui court à compter de la demande formelle de réouverture des négociations formulées par chacune des saisissantes.
Pour assurer le suivi, Google doit chaque mois justifier à l’Autorité qu’il respecte les injonctions.
L’Autorité a manifestement été profondément agacée par le comportement de Google. Elle a également souhaité adresser un message fort par cette décision : lorsqu’elle prononce des injonctions, elles doivent être strictement respectées.
Pour Google, l’histoire est loin d’être terminée. L’Autorité doit rendre sa décision au fond. Les éditeurs et agences de presse peuvent parfaitement demander réparation du préjudice subi en raison du non-respect des injonctions. Et certaines autres de ses pratiques sont actuellement sous enquête de plusieurs autorités de concurrence.------------------------------------------------------