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Conditions d’adhésion à une institution sportive européenne : l’important, c’est de pouvoir participer

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution | 23/05/25 | 11 min. | Renaud Christol Paul Vialard

On se souvient de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 21 décembre 2023 dans l’affaire qui opposait l’UEFA et la FIFA, qui gouvernent le football européen et mondial et détiennent le monopole de l’organisation des compétitions, à la société European Superleague Company, qui projetait d’organiser une compétition alternative en dehors de ce giron institutionnel (l’ « arrêt Superleague »).

La CJUE avait jugé, sur le fondement de la prohibition des ententes anticoncurrentielles, que la prérogative dont disposent l’UEFA et la FIFA d’autoriser ou non l’organisation de compétitions de football par des tiers était légitime dans son principe, mais que son exercice devait être encadré par des critères matériels et des modalités procédurales propres à en garantir le caractère transparent, objectif, précis, non discriminatoire et proportionné[1].

L’arrêt Superleague, qui constitue un cas remarquable d’application du droit de la concurrence dans le domaine du sport, examinait ainsi la question des stratégies de contournement par les tiers des monopoles détenus par les institutions sportives internationales.

Le 7 mai 2025, la cour d’appel de Paris (la « Cour ») s’est prononcée de manière toute aussi intéressante au sujet d’une situation analogue, le refus d’adhésion opposé à une association par une instance européenne, mais cette fois pour le rugby[2].

Le litige soumis à l’appréciation de la Cour

L’association Gibraltar Rugby Football Union (« GRFU ») encourage la pratique du rugby à Gibraltar et assure le développement et l’organisation des compétitions entre ses membres et d’autres fédérations et équipes reconnues par World Rugby, l’instance dirigeante du rugby au niveau mondial.

Rugby Europe, est une association de droit français qui a pour objet la promotion, le développement, l’organisation, la gestion et l’administration du rugby en Europe et dans certains pays hors d’Europe qui lui sont rattachés. Cette activité lui est déléguée à titre exclusif par World Rugby.

À ce titre, Rugby Europe organise seule l’ensemble des championnats entre fédérations européennes, à l’exception du tournoi des Six Nations. Elle est rémunérée par des subventions, des revenus commerciaux (contrats publicitaires, sponsoring et organisation des tournois) et les cotisations de ses membres, à qui elle apporte un soutien éducatif, administratif et financier en contrepartie.

En 2010, afin de bénéficier de ce soutien, GRFU a déposé une première demande d’affiliation à Rugby Europe, qui lui a été refusée. À l’époque, les statuts de Rugby Europe réservaient l’adhésion aux fédérations reconnues en tant qu’organisme national gouvernant du rugby par le Comité National Olympique ou le conseil ou le ministère des sports du pays de la fédération, ce qui n’était pas le cas de GRFU.

GRFU présente une nouvelle demande d’adhésion en 2019, à laquelle l’Espagne était particulièrement opposée. Les statuts de Rugby Europe, modifiés en 2015, avaient ajouté un nouveau critère relatif à l’appartenance de la fédération à un État membre des Nations-Unies ou sa reconnaissance par son Comité National Olympique reconnu par le Comité International Olympique.

Or, Gibraltar n’est pas un État membre des Nations-Unies et est soumis à la souveraineté du Royaume-Uni, qui ne dispose d’aucune fédération. Les conditions posées par les statuts de Rugby Europe ne pouvaient objectivement pas être satisfaites par GRFU et l’adhésion lui a été à nouveau refusée.

Cette dernière a estimé être victime d’une discrimination qui la privait d’intégrer Rugby Europe et par conséquent, d’accéder à un marché et aux revenus dont bénéficient ses membres. Elle a assigné Rugby Europe sur le fondement notamment de l’entente anticoncurrentielle et de l’abus de position dominante. Après avoir été intégralement déboutée par le tribunal judiciaire de Paris, elle a interjeté appel devant la Cour.

Les questions successivement examinées par la Cour

Aux termes d’un arrêt particulièrement clair et structuré, la Cour examine les différentes problématiques posées par le litige :

  • elle relève d’abord que celuici relève du droit communautaire de la concurrence parce que Rugby Europe « organise les compétitions européennes de rugby à tous niveaux (hors Six Nations) […], apporte une aide administrative et technique aux fédérations européennes pour développer le rugby » et exerce ainsi son activité « sur l’ensemble du territoire de l’Union ».

Par conséquent, au regard du caractère exclusif de la mission et du caractère incontournable de Rugby Europe, « la règle en cause, qui détermine les conditions d’accès à ces compétitions, […] est par nature susceptible d’affecter sensiblement le commerce transfrontalier en le cloisonnant, constat qui fonde l’application du droit de l’Union » ;

  • elle rappelle ensuite la jurisprudence communautaire selon laquelle s’il convient de tenir compte des spécificités inhérentes à l’organisation du secteur sportif (qui repose par nature sur des règles susceptibles de restreindre la concurrence), les décisions et pratiques de ses opérateurs restent en principe soumises au droit de la concurrence.

Dès lors, « le simple fait que l’association Rugby Europe organise un sport n’est pas de nature à exclure ses décisions et pratiques du champ d’application du droit de la concurrence » ;

  • en réponse aux arguments de Rugby Europe qui contestait la qualification d’entreprise afin d’échapper à l’application des règles de concurrence, la Cour s’appuie à nouveau sur les précédents de la CJUE et de l’Autorité de la concurrence[3] et souligne que Rugby Europe « exerce une activité économique consistant en la vente de billets [et] la perception des droits de diffusion audiovisuels ainsi que des droits publicitaires et marketing » générés par les compétitions et matchs qu’elle organise.

Elle relève également que « le caractère économique d’une activité ne dépendant pas de sa rentabilité[4] […] l’argument de l’association Rugby Europe tenant à la faiblesse de ses résultats n’est pas pertinent » et conclut que Rugby Europe est bien une entreprise au sens du droit de la concurrence ;

  • dans le prolongement de l’arrêt Superleague, qui avait retenu que l’article 101 du TFUE était applicable à la FIFA et l’UEFA en ce que ces institutions ont pour membres des associations nationales de football qui peuvent ellesmêmes être qualifiées d’entreprises, l’arrêt retient que Rugby Europe se trouve dans une situation identique.

Il en résulte que ses membres « étant réputés avoir adhérés à ses statuts », la disposition contestée par GRFU qu’ils contiennent « constitue en soi une décision d’association d’entreprises » qui peut alors être examinée sur le fondement de la prohibition des ententes anticoncurrentielles.

Le caractère anticoncurrentiel des conditions d’adhésion définies par Rugby Europe

À l’issue de cette démonstration préalable, la Cour examine le caractère anticoncurrentiel de la règle érigée par Rugby Europe qui a justifié le refus d’adhésion opposé à GRFU.

Elle rappelle d’abord que les contraintes liées à l’organisation des compétitions sportives ne peuvent pas « légitimer l’absence de critères matériels et de modalités procédurales propres à garantir le caractère transparent, objectif, précis et non discriminatoire de telles règles ».

En l’espèce, en raison de sa situation particulière rappelée ci-dessus, la condition d’appartenance de la fédération qui sollicite l’adhésion à Rugby Europe à un État membre des Nations-Unies ou sa reconnaissance par son Comité National Olympique reconnu par le Comité International Olympique, « interdit inéluctablement toute affiliation de l’association GRFU », qui ne peut pas non plus intégrer World Rugby faute de pouvoir adhérer à une organisation régionale.

Pour la Cour, cette « impossibilité dirimante », qui verrouille l’accès de GRFU au marché et au soutien de Rugby Europe, la « prive de visibilité et de marge de progression sur la scène internationale, et partant d’attractivité ». Les équipes de GRFU, qui supportent des coûts importants non pris en charge par Rugby Europe, se trouvent ainsi désavantagées vis-à-vis de leurs rivales européennes, ce que Rugby Europe a d’ailleurs elle-même admis.

Or, cette dernière n’a pas été en mesure d’expliquer en quoi les conditions posées par ses statuts était justifiée par une logique sportive et non économique.

Par conséquent, la Cour conclut que si le critère d’adhésion dénoncé par GRFU « est prima facie objectif et transparent, […] il ne sert aucun objectif sportif identifié et ne répond à aucune logique économique légitime ».

Elle juge que ce critère est « arbitraire, purement discrétionnaire et […] discriminatoire » et « anticoncurrentiel par objet » parce qu’il prive GRFU de tout accès au marché.

En raison de son caractère anticoncurrentiel, la disposition des statuts concernée est frappée de nullité. La Cour précise qu’elle ne dispose pas du pouvoir d’ordonner elle-même l’adhésion de GRFU à Rugby Europe et rejette la demande de GRFU à cette fin. Cette dernière devra donc effectuer une nouvelle candidature auprès de Rugby Europe, qui doit désormais corriger ses conditions d’adhésion.

Cet arrêt est un nouvel exemple particulièrement concret d’application du droit de la concurrence dans le secteur du sport. Il illustre également comment ses règles peuvent être efficacement mobilisées pour contester les stratégies d’exclusion du marché d’acteurs émergents et concurrents potentiels.
 

[2] Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 7 mai 2025, n° 23/08517.

[3] En particulier l’arrêt de la CJCE du 1er juillet 2008, Motosykletistiki Omospondia Ellados NPID, C-49/07 et la décision n° 09-D-31 du 30 septembre 2009 de l’Autorité de la concurrence au sujet de la Fédération française de football.

[4] CJUE, 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughahen AG, C-288/11.

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