Article | 03/06/16 | 5 min. |
Dans un arrêt très attendu du 31 mars 2015[1], la Cour d’appel de Paris a tranché le litige qui opposait les sociétés Vente-privee.com et Showroomprive.com portant sur la validité de la marque verbale « vente-privee.com ». Derrière cette bataille entre les deux géants du secteur des ventes évènementielles à prix réduits sur Internet, il y avait celle du référencement. La société Vente-privee.com accusait son concurrent, Showrooprive.com, de profiter de la notoriété de sa marque pour attirer des clients sur son site via l’utilisation du mot clé « vente-privee.com ».
Pour rappel, dans son jugement du 28 novembre 2013, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait annulé la marque verbale française « vente-privee.com » pour certains services de la classe 35 (notamment les services de ventes promotionnelles permettant aux clients d’acheter en ligne des produits et services de tiers) au motif que celle-ci était dépourvue de caractère distinctif à l’égard de ces services.
La Cour d’appel de Paris est venue infirmer cette décision, annonçant ainsi un assouplissement de la position française en matière de distinctivité des marques.
La question à laquelle a répondu la Cour d’appel, était de savoir si le caractère distinctif d’une marque devait s’apprécier au jour de son dépôt, comme l’a fait le Tribunal, ou au jour où le juge statue.
La Cour opte pour la seconde option : si elle reconnaît que la marque « vente-privee.com » était dépourvue de caractère distinctif à la date de son dépôt car elle est composée de termes usuels ou descriptifs pour désigner un service de ventes promotionnelles en ligne, cette marque a néanmoins acquis un caractère distinctif de par son usage.
Afin de justifier une telle position, la Cour d’appel se fonde (i) sur l’article 3 § 3 de la Directive 2008/95/CE sur les marques qui prévoit la possibilité d’acquisition du caractère distinctif par l’usage pour des marques qui en étaient dépourvues au moment du dépôt et (ii) sur l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle qui est rédigé dans des termes généraux et qui n’exclut pas une telle possibilité.
La Cour d’appel explique ainsi que les termes de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, parce qu’ils sont généraux et interprétés à la lumière de l’article 3 § 3 précité, permettent d’apprécier l’acquisition par une marque, initialement dépourvue de caractère distinctif, de sa distinctivité, en prenant en compte l’usage qui en a été fait après l’enregistrement.
Il restait donc à Vente-privee.com à prouver un usage intense de sa marque permettant de démontrer qu’elle était devenue distinctive aux yeux du public.
L’appréciation des preuves d’usage du caractère distinctif de la marque « vente-privee.com »
Après avoir apprécié globalement les éléments de preuves pertinents et notamment la continuité, l’intensité, la durée, l’étendue géographique de l’usage, la part de marché détenue par la marque, un sondage prouvant la notoriété du site et de la marque, et la proportion des consommateurs intéressés qui, grâce à la marque, identifie le produit ou service provenant de la société, la Cour d’appel juge que ces preuves d’usage démontrent que la marque « vente-privee.com » avait indéniablement acquis un caractère distinctif par l’usage.
Selon la Cour, tous ces éléments permettent de démontrer une exploitation intensive de la marque entraînant un processus de « familiarisation » auprès du public concerné qui en aura une nouvelle perception. L’usage qui en a été fait permet à la marque « vente-privee.com » d’exercer sa fonction de garantie d’identité d’origine, c’est-à-dire qu’« une fraction significative » du public concerné est en mesure d’identifier les produits ou services comme provenant de la société Vente-privee.com, et ainsi de les distinguer de ceux des concurrents.
Un assouplissement à manier avec précaution
Cet arrêt est une bonne nouvelle pour les titulaires de marques qui peuvent pallier le défaut de distinctivité en prouvant l’usage intensif de leurs marques. En pratique, à partir du moment où un signe n’a pas été refusé à l’enregistrement pour défaut de distinctivité, le titulaire pourra prouver la distinctivité de sa marque en apportant les preuves de son usage jusqu’au jour où le juge statue.
Cependant, les déposants de marques doivent rester particulièrement vigilants.
Il faut en effet garder à l’esprit que l’appréciation des preuves d’usage est laissée à la seule discrétion des juges. Les titulaires qui déposent une marque descriptive prennent ainsi le risque que les juges ne considèrent pas comme suffisant l’usage qui a pu être fait de leur marque. Il faut aussi souligner que cet arrêt a été rendu à propos d’une marque particulièrement notoire, dont l’usage intensif a, en pratique, été relativement aisé à rapporter. Nous pouvons en effet nous demander dans quelle mesure les juges exigent en réalité, de manière implicite, des preuves de notoriété, et par conséquent de la possibilité de prouver l’usage intensif d’une marque qui n’est pas notoire.
La société Showroomprive.com a annoncé se pourvoir en cassation, donc affaire à suivre…
August & Debouzy sera présent à l’INTA (International Trademark Association) qui aura lieu du 02 au 06 mai 2015 à San Diego.
Véronique Dahan, Counsel
[1] Arrêt CA de Paris, 31 mars 2015, n° 13/23127
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