
Article | 16/03/11 | 5 min. |
Depuis le 1er mars 2010, les justiciables peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il statue sur un dispositif législatif dont ils estiment qu’il porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Les contribuables et leurs conseils n’ont pas manqué d’utiliser cette nouvelle procédure, qui s’avère des plus redoutables en cas de succès. La matière fiscale est sans surprise et de loin la plus sollicitée puisqu’elle représentait près des 2/3 des questions enregistrées en matière administrative après 6 mois d’application seulement.
Le premier anniversaire de l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) paraît le bon moment d’établir un premier bilan de cette procédure en matière fiscale. Si elle n’est pas et ne sera sans doute pas l’œuvre d’une véritable révolution fiscale, elle n’est pas dénuée d’intérêt et mérite toute notre attention.
Comment se pose une QPC ?
Présentée dans un écrit motivé et distinct des conclusions du fond, la QPC peut être soulevée devant les juge du TA, mais également pour la première fois en appel ou en cassation. Une procédure de double filtre a été mise en place faisant en sorte que le Conseil constitutionnel soit seulement saisi des questions les plus pertinentes. Le juge saisi de la QPC doit la transmettre sans délais à la juridiction suprême (le Conseil d’Etat généralement ou la Cour de cassation s’agissant d’ISF ou de droit d’enregistrement par exemple) dès lors que trois conditions sont réunies : (i) la disposition contestée est applicable au litige, (ii) elle n’a pas déjà été déclarée constitutionnelle, (iii) la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux.
Le Conseil d’Etat dispose d’un délai de trois mois afin de saisir le Conseil constitutionnel. Il effectuera pour cela un second filtrage en vérifiant à son tour les trois conditions énoncées ci-dessus. Ainsi saisi, le Conseil constitutionnel disposera alors de trois mois pour rendre sa décision. La procédure est donc relativement rapide.
Une fois rendue, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent donc tant aux contribuables qu’aux pouvoirs publics ou à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Toute disposition déclarée inconstitutionnelle est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Ce dernier peut toutefois prévoir que l’abrogation prendra effet à une date ultérieure, notamment lorsque des considérations financières ou budgétaires trop importantes sont en jeu.
Pour le passé, le Conseil constitutionnel doit déterminer pour chaque affaire les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. Le juge constitutionnel peut notamment limiter les effets de la déclaration « aux instances en cours » ce qu’il n’a pas manqué de faire en pratique. Nous manquons encore de recul quant à cette définition, mais il semblerait dans ce cas, que la décision d’inconstitutionnalité ne pourrait alors être invoquée que par les contribuables qui ont été suffisamment avisés pour introduire au moins une réclamation préalablement à la décision du Conseil constitutionnel.
En tout état de cause, la décision de non-conformité emporte la décharge de l’imposition contestée par le contribuable à l’origine de la question, que l’abrogation soit différée ou non.
Un des premiers cas de non-conformité intéressant en matière fiscale
La décision qui est certainement la plus marquante en pratique a été rendue le 10 décembre 2010 (QPC n° 2010-78, Sté Imnoma) s’agissant de la constitutionalité des lois fiscales dites de validation qui ont pour effet de valider une règle imposition pour une période antérieure à son entrée en vigueur. Par nature dérogatoire, ces lois ne sont admises que si elles répondent à « un impérieux motif d’intérêt général » (tel que le respect du principe d’égalité entre les contribuables).
Dans le contexte, la loi de finances rectificative pour 2004 était intervenue après un revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat, non seulement pour légaliser une règle d’assiette (celle de l’intangibilité du bilan d’ouverture) à compter du 1er janvier 2005 mais également pour valider les impositions établies avant cette date sur le fondement de cette règle rétablie mais uniquement lorsque cela était favorable à l’administration. Cette validation rétroactive et asymétrique a fait l’objet de nombreuses tentatives de contestations dont aucune n’avait aboutit.
A l’origine de l’affaire Imnoma, le contribuable a contesté les redressements mis à sa charge par l’administration en invoquant, avant la publication de la LFR 2004, la décision rendue par le Conseil d’Etat qui prévoyait justement l’abandon de cette règle d’imposition (CE, Ass., 7 juill. 2004, n° 230169, SARL Ghesquières Equipement). Pour rejeter la demande du contribuable, le TA de Paris s’est fondé sur la LFR 2004 en vigueur à la date du jugement qui validait rétroactivement l’application de cette règle. Le contribuable a soulevé une QPC devant la Cour d’appel de Paris en invoquant rien de moins qu’une atteinte aux principes d’égalité devant la loi et devant l’impôt, de non-rétroactivité de la loi, des droits de la défense et de l’égalité des armes ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif.
In fine, c’est sur le terrain de l’équilibre des droits des parties dans un procès (autrement dit, l’égalité des armes) que le Conseil constitutionnel s’est placé pour censurer la loi de validation relative à l’intangibilité du bilan d’ouverture. Le premier des effets d’une telle décision est l’abrogation de la loi censurée. Mais il s’agit d’un effet de plume puisqu’une loi de validation n’a qu’un effet sur le passé. En revanche, le Conseil constitutionnel a prévu que l’abrogation des dispositions censurées de la LFR 2004 pouvait être invoquée dans les instances en cours à la date du 10 décembre 2010 et dont l’issue dépend de l’application desdites dispositions.
La vraie question reste donc de savoir quelle est la portée pratique de cette décision. Si l’on peut retenir le principe que, dorénavant, toute loi fiscale rétroactive et asymétrique sera censurée par le Conseil constitutionnel, il est encore difficile d’anticiper quelles seront les applications possibles. Peut-on notamment tirer la conclusion que toute loi fiscale asymétrique par d’autres aspects que la rétroactivité devrait également être censurée ? Peut-on notamment y voir un commencement de réflexion sur l’alignement des délais de réclamations du contribuable et ceux accordés à l’administration dans l’exercice de son droit de reprise ? La question mériterait d’être posée.
La procédure des QPC doit être suivie avec attention dans les mois qui viennent car le Conseil constitutionnel continue d’être saisi de questions fiscales pertinentes et les juges vont devoir faire face aux premières applications de déclarations d’inconstitutionnalité. Nous attendons notamment avec intérêt que soit tranchée la question relative au pouvoir de modulation du juge s’agissant des pénalités fiscales.
Of Counsel