Article | 09/11/16 | 10 min. |
L’Assemblée nationale a définitivement adopté hier, mardi 8 novembre 2016, la loi Sapin II, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Ce texte, annoncé au cours de l’été 2015 et débattu depuis le mois de juin 2016 au Parlement, s’inscrit dans une volonté affichée de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux en matière de détection et de lutte contre la corruption. Cette loi crée notamment une obligation de prévention de la corruption pour certaines entreprises, un dispositif de transaction pénale ainsi qu’un contrôle des procédures de mise en conformité directement inspiré par le monitorship américain. L’obligation de prévention entrera en vigueur le 1er jour du 6ème mois suivant la promulgation du texte, qui devrait intervenir dans les tous prochains jours. En outre, des textes d’applications sont attendus.
I. La création de l'Agence française anticorruption
Le dispositif mis en place repose sur la création de l’Agence française anticorruption (« l’Agence »), investie de nombreuses missions et dotée d’une commission des sanctions. En premier lieu, la loi Sapin II prévoit que l’Agence participe à la coordination administrative, centralise et diffuse les informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme (aussi appelées « atteintes à la probité »). L’Agence est également chargée d’élaborer des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption et d’atteintes à la probité. Elle assure une mission de contrôle de la qualité et de l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein notamment des administrations, collectivités et établissements publics. Elle joue également un rôle important dans le suivi de l’application de la nouvelle obligation de prévention de la corruption et des éventuelles peines de mise en conformité qui pourraient être prononcées, ainsi que dans la mise en œuvre des nouvelles mesures relatives à la compensation judiciaire d’intérêt public (cf. nouvel article 441-1-2 du Code de procédure pénale). En outre, l’Agence est chargée – sur le modèle de ce qu’avait déjà fait à deux reprises le Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC) – de veiller au respect de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères (dite « loi de blocage »). Plus particulièrement, elle contrôle la nature des informations et des documents transmis aux autorités étrangères lorsque ces dernières imposent à une société française de se soumettre à une mise en conformité de ses procédures internes de prévention et de détection de la corruption. Enfin, l’Agence devra aviser le procureur de la République compétent – et le cas échéant le procureur de la République financier – des faits dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses missions et qui sont susceptibles de constituer un crime ou un délit. Le texte précise que l’Agence élabore chaque année un rapport d’activité rendu public.
Dans le cadre de ces missions, les agents de l’Agence peuvent être habilités à se faire communiquer par les représentants de l’entité contrôlée tout document professionnel, quel qu’en soit le support, ou toute information utile. Le cas échéant, ils peuvent en faire une copie. Ils peuvent procéder sur place à toute vérification de l’exactitude des informations fournies. Ils peuvent s’entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité de leurs échanges, avec toute personne dont le concours leur paraît nécessaire. Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende le fait pour quiconque de s’opposer à l’exercice des missions de contrôle de ces agents.
II. L'instauration d'une obligation de prévention contre les risques de corruption
La loi Sapin II crée une obligation de prévention contre les risques de corruption. Elle s’imposera aux présidents, directeurs généraux et gérants de sociétés ainsi qu’aux membres des directoires des sociétés anonymes employant au moins 500 salariés, ou appartenant à un groupe dont la société mère a son siège social en France et employant au moins 500 salariés, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros.
Les présidents et directeurs généraux d’établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) employant au moins 500 salariés, ou appartenant à un groupe public employant au moins 500 personnes, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros, seront également tenus par cette nouvelle obligation.
Les sociétés sont également responsables en tant que personne morale en cas de manquement aux obligations par les personnes susvisées.
Ces personnes devront prendre des mesures « effectives » destinées à prévenir et détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence à savoir :
Cette disposition entrera en vigueur le 1er jour du 6ème mois suivant la promulgation de la loi Sapin II.
À cette fin, et comme évoqué ci-avant, l’Agence émettra des recommandations, publiées au journal officiel, destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et détecter les faits de corruption et d’atteinte à la probité. Ces recommandations seront adaptées à la taille des entités concernées et à la nature des risques identifiés et seront régulièrement mises à jour. L’Agence sera en outre chargée de contrôler le respect de cette obligation de prévention. En cas de manquement constaté, elle pourra adresser un avertissement au contrevenant ou saisir la commission des sanctions afin que soit enjoint à la société d’adapter ses procédures de conformité interne. La commission des sanctions pourra également prononcer des sanctions pécuniaires (jusqu’à 200.000 euros pour les personnes physiques et 1.000.000 euros pour les personnes morales), éventuellement assorties de mesures de publication.
III. La création d'une peine complémentaire de mise en conformité
La peine complémentaire de mise en conformité prévue par le nouvel article 131-39-2 du Code pénal, d’une durée de cinq ans maximum, consistera en une obligation de mettre en œuvre un programme de conformité sous le contrôle de l’Agence. Les frais engendrés par cette mesure seront mis à la charge du condamné (sans toutefois pouvoir excéder le montant de l’amende encourue au titre de l’infraction ayant justifié le prononcé de la peine). Cette peine complémentaire pourra être prononcée en cas de condamnation pour des délits de corruption ou de trafic d’influence. En cas de violation de l’obligation de mise en conformité, de lourdes sanctions sont également prévues (deux ans d’emprisonnement et 50.000 euros d’amende pour les personnes physiques, ou 250.000 euros pour les personnes morales, ces sanctions pouvant être portées aux montants prévus pour l’infraction à l’origine du prononcé de la peine complémentaire de mise de conformité). Des peines complémentaires d’affichage et de diffusion de la décision pourront également être prononcées.
IV. La convention judiciaire d'intérêt public
La loi Sapin II instaure une forme de Deferred prosecution agreement à la française. Tant que l’action publique n’aura pas été mise en mouvement (i.e. jusqu’à l’issue de l’enquête préliminaire) ou, dans l’hypothèse d’une information judiciaire, à la suite de la mise en examen de la personne morale à condition que cette dernière reconnaisse les faits et accepte la qualification pénale retenue, le Procureur de la République pourra proposer aux personnes morales mises en cause pour des faits de corruption ou de trafic d’influence (au niveau national ou international) une convention imposant la ou les obligations suivantes :
Si la personne morale accepte l’accord proposé, le procureur de la République saisira le président du Tribunal de grande instance aux fins de validation de la convention, en audience publique. La personne morale aura dix jours pour se rétracter après la validation. L’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention seront publiés (avec un communiqué du parquet) sur le site internet de l’Agence. La réparation du préjudice des éventuelles victimes sera intégrée dans la convention. La loi exclut expressément les personnes physiques de l’accord passé.
V. La protection des lanceurs d'alerte
La loi Sapin
II crée également un statut des lanceurs d’alerte définit comme celui qui révèle
ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une
violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement
ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation
internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du
règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont il
a eu personnellement connaissance. Sa protection est renforcée contre les
représailles, il pourra bénéficier de l'appui du Défenseur des droits. Les
entreprises de plus de 50 personnes, les administrations de l’État et les
communes de plus de 10 000 habitants,
notamment, devront mettre en place des procédures de recueil des alertes qui
garantissent une stricte confidentialité de l’identité des auteurs du
signalement, des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies.
Faire obstacle à la transmission d’un signalement aux personnes et organismes
compétents est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
VI. Autres mesures
À côté de ces mesures phares de lutte contre la corruption, la loi Sapin II instaure un délit de trafic d’influence d’agent public étranger et vise à favoriser la poursuite des délits de trafic d’influence et de corruption commis à l’étranger puisqu’elle en supprime certaines conditions préalables : (i) la nécessité que les délits soient réprimés dans le pays de commission des faits et (ii) la nécessité d’une plainte préalable du parquet. Elle prévoit également la création d’un répertoire national des représentants d’intérêts (dont les dispositions entreront pour la plupart en vigueur le 1er jour du 6ème mois suivant la publication du décret en conseil d’État qui fixera les modalités d’applications de cette nouvelle réglementation et au plus tard le 1er octobre 2017).
VII. Et maintenant, que faut-il faire ?
Il est expressément prévu par le texte adopté que l’obligation de prévention de la corruption entrera en vigueur le 1er jour du 6ème mois suivant la promulgation de la loi. En théorie les autres nouveautés prévues par ce texte en matière de lutte contre la corruption – et notamment la convention judiciaire d’intérêt public – entrera en vigueur le lendemain de la publication du texte, qui devrait intervenir dans les tous prochains jours. Précisons que, conformément aux dispositions de l’article 112-2 du Code pénal, les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur.
Si un certain nombre de textes d’application sont attendus (notamment des décrets en Conseil d’État précisant les conditions de fonctionnement de l’Agence, les modalités de désignation des membres de la commission des sanctions, ou encore les pouvoirs d’enquêtes des agents habilités, etc), il est d’ores et déjà primordial d’engager une vérification des procédures internes (cartographie des risques, chartes éthiques, formations, « KYC »), et de s’assurer de leur conformité aux exigences de cette loi, qui constitue une véritable mutation de la législation française relative à la détection et à la poursuite de la corruption, et qui met à la charge des entreprises des obligations lourdes en matière de process et de sensibilisation.