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EN MATIÈRE D’ARBITRAGE ET DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ, LES ARRÊTS DE CASSATION SONT RARES ET SOUVENT RICHES D’ENSEIGNEMENTS

| 29/07/13 | Marie Danis

Les trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 28 mars 2013 et publiés au bulletin ne dérogent pas à la règle. La première chambre civile, sous la présidence du conseiller doyen Gérard Pluyette, s’y prononce notamment sur des questions qui tiennent tant à la portée du droit d’accès à la justice dans le cadre de l’arbitrage qu’à la nature du contrat d’arbitre. Ce faisant, la Haute Cour précise les contours des règles applicables à la justice arbitrale, institution contractuelle, fruit de la volonté des parties, dotée de pouvoirs juridictionnels, soumise à ce titre aux principes directeurs du procès.

Cass. Civ 1ère 28 mars 2013, n°11-2770
Dans cet arrêt très attendu par les professionnels de l’arbitrage, la Cour de cassation apporte un éclairage nouveau sur la portée du droit d’accès à la justice et du principe d’égalité entre les parties, lorsque l’une d’entre elles voit ses demandes retirées pour défaut de versement de l’avance des frais d’arbitrage.

L’arbitrage étant une juridiction privée et payante, une partie en liquidation judiciaire, tenue par une clause compromissoire risquerait de se voir interdire l’accès au juge si elle n’est pas en mesure de régler les frais entraînés par la procédure. Cette situation pourrait alors être considérée comme enfreignant l’article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme. Alors que certains droits étrangers prévoient en ce cas des solutions radicales, allant jusqu’à l’exclusion du jeu de la clause compromissoire, la jurisprudence française était relativement silencieuse dans cette hypothèse. La question demeurait donc de savoir si les demandes d’une partie impécunieuse devaient néanmoins être acceptées par le tribunal arbitral au nom du droit d’accès à la justice, peu important le règlement des frais engendrés par cette même partie.

En l’espèce, la société italienne Pirelli avait résilié le contrat de licence de marque qui la liait à la société espagnole Licensing Projects et avait mis en œuvre, quelques mois plus tard, la clause compromissoire afin d’obtenir le paiement de diverses sommes auprès de sa cocontractante espagnole, placée depuis lors en procédure d’insolvabilité puis de liquidation judiciaire. Celle-ci, dans les premières phases de la procédure avait fait valoir des demandes reconventionnelles.

La société espagnole n’ayant pas les moyens de régler sa part des frais d’arbitrage, la Cour internationale d’arbitrage de la CCI avait informé le tribunal arbitral et les parties que ses demandes reconventionnelles devaient être considérées comme retirées par application de l’article 30(4) du règlement d’arbitrage de la CCI.

Saisie d’un recours en annulation de ce chef, la Cour d’appel de Paris annulait la sentence pour atteinte au droit d’accès à la justice et au principe d’égalité entre les parties au motif que la société espagnole, en liquidation judiciaire, n’était pas en mesure de payer les avances de frais et qu’en conséquence, le rejet de ses demandes reconventionnelles constituait « une mesure excessive ayant eu pour effet de [la] priver de la possibilité de faire prononcer sur ses prétentions ». Cet arrêt, que nous avions commenté, avait suscité d’importants débats.

Si la Cour de cassation reconnaît formellement par cet arrêt que l’arbitrage ne peut s’exonérer du droit d’accès à la justice, elle donne pourtant partiellement tort à la Cour d’appel en précisant, dans un attendu de principe que « si le refus par le tribunal arbitral d’examiner les demandes reconventionnelles peut être de nature à porter atteinte au droit d’accès à la justice et au principe d’égalité entre les parties, c’est à la condition que celles-ci soient indissociables des demandes principales ». Ainsi, seules les demandes reconventionnelles qui seraient jugées indissociables des demandes principales ont la garantie d’être examinées par le tribunal arbitral, quand bien même la partie les ayant formulées ne pourrait supporter les coûts d’arbitrage.

La Haute Cour rappelle que la justice arbitrale, institution juridictionnelle, est soumise à ce titre aux principes fondamentaux du procès. Elle impose cependant, assez curieusement, à l’arbitrage une distinction supplémentaire, en termes de demande reconventionnelle, par rapport au droit commun de la procédure civile, qui, à l’alinéa 1 de l’article 70 du Code de procédure civile, dispose que la demande reconventionnelle n’est recevable que si elle présente un lien suffisant avec la demande initiale. En arbitrage, désormais, les demandes reconventionnelles présentées par une partie impécunieuse devront non seulement avoir un lien suffisant, mais également être indissociables de la demande initiale.

L’affaire n’est, en tout état de cause, pas encore terminée : il revient en effet à la Cour de renvoi, la Cour d’appel de Versailles, de préciser quelle distinction il conviendra de faire entre indissociabilité des demandes et lien suffisant.

Cass. Civ 1ère 28 mars 2013, n°11-23801 et 11-25123
Dans ce deuxième arrêt, la Cour de cassation décide que le juge, saisi d’une demande d’exequatur d’une décision étrangère, doit vérifier que celle-ci ne se heurte pas à l’autorité de la chose jugée attachée à une transaction conclue antérieurement entre les parties.

La société émiratie Etisalat et sa filiale Atlantique Télécom ont cédé à la société Planor Afrique une participation importante dans le capital de l’opérateur téléphonique burkinabé Telecel Faso. Après plusieurs modifications du capital, Etisalat et Planor Afrique ont conclu le 5 septembre 2007 un protocole d’accord aux termes duquel elles convenaient, d’une part, de mettre un terme à leurs différends relatifs à la société Telecel Faso et, d’autre part, d’une cession réciproque de parts sociales. Il était prévu que les différends résultant du protocole seraient soumis au règlement d'arbitrage de la CCI.

Saisi par Planor Afrique du litige, le Tribunal de grande instance de Ouagadougou, par un jugement du 9 avril 2008 confirmé par la Cour d’appel de Ouagadougou dans un arrêt du 19 juin 2009, ordonnait la cession forcée des actions d’Etisalat et Atlantique Télécom à Planor Afrique (« les décisions burkinabées »).

Mettant alors en œuvre la clause compromissoire contenue dans le protocole d’accord, Etisalat obtenait une sentence le 9 septembre 2010, rendue à Paris, reconnaissant la violation par Planor Afrique de ses obligations contractuelles. Celle-ci saisissait simultanément le Président du Tribunal de grande instance de Paris - curiosité procédurale de l’Accord franco-burkinabé de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 (« l’Accord franco-burkinabé ») - d’une demande d’exequatur des décisions burkinabées, bien plus favorables à son égard.

Les dispositions de l’Accord franco-burkinabé relatives à l’appréciation de la régularité internationale d’un jugement étranger étant largement similaires aux règles prétoriennes de droit commun, le Président du Tribunal de grande instance de Paris procédait alors à la vérification (i) de la compétence indirecte du juge burkinabé, (ii) de la conformité à l’ordre public international des décisions rendues et (iii) de l’absence de contrariété de celles-ci avec une décision judiciaire antérieure possédant l’autorité de la chose jugée. Après un tel examen, le Tribunal de grande instance de Paris déclarait ainsi exécutoires sur le territoire français les décisions burkinabées par une ordonnance du 29 juin 2011.

Saisie de pourvois d’Etisalat et d’Atlantique Télécom contestant la recevabilité de la demande d’exequatur des décisions burkinabées, la Cour de cassation casse et annule pour partie l’ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Paris, en ce qu'il a déclaré recevable la demande d’exequatur des décisions burkinabées, « sans rechercher, ainsi qu’il le lui était demandé, si la demande d’exequatur ne se heurtait pas à l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction du 5 septembre 2007 ». Ainsi, la Cour de cassation confirme que l’existence d’une transaction conclue entre les parties, en vertu de l’article 2052 du Code civil  doit entraîner nécessairement la vérification, lors de l’examen de la demande d’exequatur d’une décision étrangère, que l’autorité de chose jugée attachée à ladite transaction ne rend pas irrecevable la requête.

Cass. Civ 1ère 28 mars 2013, n°11-11320
Dans ce dernier arrêt, également très attendu, la première chambre civile de la Cour de cassation décide que c’est le juge du contrat d’arbitre, et non le juge d’appui de la procédure arbitrale, qui est compétent pour connaître de l’action en nullité de ce contrat, et cela même après que le tribunal arbitral a été définitivement constitué.

S’il tranche la question de la compétence du juge qui doit connaître de l’action en nullité du contrat d’arbitre, cet arrêt, très attendu par la doctrine, s’inscrit selon nous dans un contexte plus large d’émancipation du régime juridique du contrat d’arbitre par rapport au tribunal arbitral, à rapprocher de l’autonomie que connaît la clause compromissoire.

En l’espèce, deux sociétés, l’une française et l’autre russe, avaient convenu du recours à l’arbitrage avec Stockholm pour siège et le règlement CNUDCI comme loi de procédure. Afin de représenter la société française, dissoute cinq années plus tôt, dans la procédure arbitrale engagée par sa cocontractante, le Président du Tribunal de commerce de Nanterre désignait un mandataire ad hoc, par ordonnance du 28 juillet 2009.

Chacune des parties désignait alors son arbitre ; ceux-ci nommaient à leur tour le président et le tribunal arbitral était ainsi constitué le 4 septembre 2009.

Toutefois, le Président du Tribunal de commerce de Nanterre rétractait, deux semaines plus tard, sa décision désignant le mandataire ad hoc, pour une irrégularité procédurale - un défaut d’indication du nom du magistrat sur l’ordonnance -, avant de procéder à la désignation d’un nouveau mandataire ad hoc.

Ayant à juger de la contestation soulevée par la société française de la validité du contrat conclu entre l’arbitre et la société française représentée par le premier mandataire ad hoc, la Cour d’appel de Paris considérait dans un arrêt en date du 6 janvier 2011  qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge étatique de statuer, avant le prononcé de la sentence, « sur la régularité de la composition du tribunal arbitral », dès lors que le tribunal arbitral « n’a pas son siège en France et ne fait pas application des règles de procédure françaises ».

Il ne faisait ici aucun doute que le tribunal arbitral ne pouvait connaître de la question en dépit du principe compétence-compétence. Celui-ci porte en effet exclusivement sur l’application de la convention d’arbitrage et non sur celle du contrat d’arbitre, sans quoi l’arbitre serait à la fois juge et partie, comme l’avait déjà relevé une partie de la doctrine.

La Cour d’appel renvoyait donc à la compétence du juge étatique suédois, dans la mesure où le juge français n’était pas, en l’espèce, le juge d’appui de la procédure d’arbitrage. En effet, les deux critères de compétence internationale, posés par l’ancien article 1493, alinéa 2, du Code de procédure civile, à savoir la localisation en France du siège de l’arbitrage ou l’application de la loi de procédure française, n’étaient pas réunis.

Ce raisonnement est cassé par la Cour de cassation au motif que « la juridiction étatique du lieu du domicile de [l’arbitre] était seule compétente pour connaître de l’action en nullité de cette désignation ». Autrement dit, la Cour de cassation affirme ici la compétence du juge français, non en sa qualité de juge d’appui, mais en sa qualité de juge du contrat et en vertu de la règle du domicile du défendeur à l’action, puisque l’arbitre est domicilié en France.

Au final, la Cour de cassation fait ainsi prévaloir une conception contractualiste de l’acte de désignation de l’arbitre, dont l’autonomie réaffirmée le fait échapper à la compétence des juridictions classiques de l’arbitrage. D’aucuns pourraient également y voir une nouvelle étape dans l’extension de la compétence du juge étatique français en matière d’arbitrage international, à laquelle la Cour de cassation se montre très favorable depuis la jurisprudence NIOC de 2005 .