Cet article s’appuie sur les échanges d’un atelier dédié aux critères ESG qui s’est tenu le 17/09/2024, organisé par August Debouzy. Les participants étaient Patrick de Cambourg, président du Sustainable Reporting Board de l’EFRAG, Sabine Lochmann, présidente de Ascend, Bernard Cazeneuve, associé August Debouzy et Marc Mossé, Senior Counsel August Debouzy.

Dans un contexte de mutations profondes, les entreprises sont confrontées à une pression croissante pour intégrer les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leur stratégie. À cet égard, les récentes évolutions législatives européennes, notamment la directive concernant la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D), vont marquer une transformation majeure des pratiques d’entreprise. Ces textes représentent non seulement des défis en termes de conformité, mais aussi des leviers stratégiques pour les entreprises et leurs conseils juridiques.

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Les mutations du cadre réglementaire

La CSRD et de la CS3D s’inscrivent dans la dynamique plus large du du Green Deal européen. Ces deux directives visent à renforcer la transparence et à assurer une meilleure gestion des risques ESG. La CSRD impose aux entreprises de publier des rapports de durabilité, tandis que la CS3D introduit des obligations renforcées en matière de vigilance sur les chaînes d’activité.

Comme le souligne Patrick de Cambourg, président du Sustainability Reporting Board de l’EFRAG, l’un des objectifs fondamentaux de la CSRD est de créer un deuxième pilier d’information normée, en complément des rapports financiers traditionnels, afin de fournir des données robustes et comparables sur la durabilité. Or, la qualité des données ESG actuelles laisserait encore à désirer, une problématique majeure que la CSRD vise à résoudre.

Gouvernance et enjeux organisationnels : le rôle central des juristes

Sabine Lochmann, ancienne directrice juridique et fondatrice d’une société spécialisée dans la régulation et la conformité, met en lumière les défis de gouvernance auxquels les entreprises sont confrontées face à ces nouvelles exigences. Les questions de gouvernance et d’organisation interne sont centrales. La mise en œuvre de la CSRD et de la CS3D nécessite une approche collaborative impliquant à la fois les conseils d’administration, les directions exécutives et les juristes d’entreprise.

Elle estime que « dans certaines entreprises, la gouvernance n’est pas encore prête à répondre à ces exigences ». Le rôle des juristes s’étend désormais bien au-delà du simple suivi réglementaire. Ils doivent anticiper, structurer et accompagner les entreprises dans cette transformation profonde. La CSRD et la CS3D introduisent un changement de paradigme, passant d’une logique de responsabilité « ex post » à une responsabilité « ex ante », c’est-à-dire une anticipation et une gestion proactive des risques.

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Le rôle stratégique des données ESG

Un autre point crucial est la gestion des données ESG. Dans un contexte où les investisseurs, les régulateurs et les consommateurs exigent de plus en plus de transparence, les entreprises doivent s’assurer de la qualité, comparabilité et pertinence des données ESG qu’elles publient. Comme l’a exprimé Patrick de Cambourg, « il n’existe pas de stratégie d’entreprise sérieuse sans données objectives et robustes ». La transparence devient un élément déterminant pour les décisions d’investissement et la crédibilité des entreprises.

Cependant, Sabine Lochmann insiste sur le fait que cette transparence ne doit pas se limiter à une simple conformité. Il s'agit de créer une véritable dynamique de dialogue entre les différentes parties prenantes de l’entreprise, y compris les investisseurs, les clients et les régulateurs. Le processus de reporting ESG est également une opportunité de redéfinir la stratégie de durabilité et de renforcer la résilience des entreprises face aux risques futurs.

Des défis d’application

Le défi d’une application rigoureuse est également omniprésent. Comme l’a rappelé Bernard Cazeneuve, l’un des risques majeurs pour les entreprises réside dans l’imprécision de certaines des notions incluses dans la loi française relative au devoir de vigilance (notamment la notion « d’atteintes graves ou de relations commerciales établies ») ont pu créer un contexte d’insécurité juridique dont les entreprises ont pâti. Il est à souhaiter que la loi de transposition de la directive CS3D contribuent à y mettre un terme.

L’exemple de la notion d’« atteinte grave » dans la loi relative au devoir de vigilance montre à quel point certaines définitions manquent encore de clarté, ouvrant la voie à de nombreuses interprétations juridiques. Ces incertitudes peuvent exposer les entreprises à des risques contentieux majeurs, en particulier lorsque des ONG ou des parties prenantes cherchent à faire appliquer ces lois dans des cas de violation des droits humains ou de l’environnement.

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Vers une responsabilisation extraterritoriale

La dimension extraterritoriale des nouvelles régulations ESG est un autre point stratégique. Avec la CS3D, les entreprises européennes pourraient être tenues responsables non seulement de leurs actions directes, mais aussi de celles de leurs partenaires et fournisseurs tout au long de la chaîne de valeur. Cela soulève la question de la responsabilité extraterritoriale et des défis liés à l’harmonisation des normes ESG à l’échelle internationale.

Bernard Cazeneuve avertit que « nous devons être conscients des effets potentiellement négatifs de l’extraterritorialité sur la compétitivité européenne ». En exigeant des partenaires non européens de se conformer aux standards ESG européens, l’Union européenne risque de créer des désavantages compétitifs pour ses propres entreprises face à des concurrents internationaux qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences.

Un enjeu de cohérence et de trajectoire

Ces deux directives doivent être interprétées et mises en œuvre en tenant compte de leur nécessaire articulation. Pour Marc Mossé, l’exigence de cohérence entre les actions de conformité est fondamentale. Ainsi, le lien établit entre les obligations prévues par CSRD et CS3D s’agissant, par exemple, du plan de transition climatique doit inciter les entreprises concernées par ces deux textes, à établir une approche commune. A n’en pas douter les parties prenantes seront attentives à cet égard.

Le rapport d’information de durabilité constitue un véritable document probatoire tant pour l’entreprise qui pourra montrer sa rigueur et le travail effectué, que pour les parties prenantes qui pourraient y rechercher des éléments d’une approche critique. C’est pourquoi, les informations de durabilité ne sont pas qu’un exercice d’audit mais aussi une gestion des risques juridiques. Marc Mossé a souligné à propos notamment des questions climatiques que l’exigence vise particulièrement les engagements sur la trajectoire.

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Une opportunité à saisir

CSRD et CS3D représentent plus qu'une simple adaptation réglementaire pour les entreprises. Elles constituent une opportunité stratégique pour repenser la gouvernance, améliorer la transparence et renforcer la résilience des entreprises. Cependant, pour réussir cette transition, il est essentiel que les entreprises, et en particulier leurs conseils juridiques, prennent un rôle actif dans l'élaboration de stratégies ESG cohérentes et innovantes.

En conclusion, ces nouvelles régulations posent des défis importants, mais elles offrent également une opportunité unique de transformer les pratiques d'entreprise dans un sens plus durable et responsable.