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Mesures d’instruction in futurum : le secret des affaires est dans la balance

Article | 12/07/17 | 6 min. |

Par son arrêt du 22 juin 2017, la Cour de cassation apporte des précisions utiles sur la place du secret des affaires dans la mise en œuvre des mesures d’instruction in futurum. Les juges doivent ainsi rechercher un équilibre entre la nécessité de préserver ou recueillir des preuves avant un procès et les atteintes au secret des affaires.

L’article 145 du Code de procédure civile (CPC) permet de pallier l’absence de dispositif efficace au cours de la procédure judiciaire pour recueillir des preuves. D’autres systèmes juridiques connaissent des obligations de transparence plus ou moins poussées, telles la discovery américaine ou, dans une moindre mesure, la disclosure britannique. Par contraste, la procédure française laisse les parties libres, en principe, de ne révéler que ce qui leur convient. Le juge saisi d’un litige a le pouvoir d’ordonner la production de documents, mais le processus est long et d’une efficacité relativement limitée face à un plaideur résistant.

Les mesures in futurum, prévues par l’article 145 du CPC, offrent un mécanisme efficace pour collecter des preuves avant un procès. Le demandeur doit justifier d’un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Il doit donc démontrer l’existence d’une situation litigieuse et un intérêt probatoire.

Ce mécanisme doit nécessairement être mis en œuvre avant d’initier une procédure au fond. La demande de mesures probatoires est souvent faite sur requête, auquel cas le demandeur doit également démontrer que l’effet de surprise est nécessaire à l’efficacité de la mesure. Le débat contradictoire n’a alors lieu qu’une fois la mesure exécutée.

Eviter l’instrumentalisation de l’article 145 pour commettre des abus est un enjeu essentiel. Il ne s’agit pas d’aller à la pêche aux informations au moyen d’une « mesure générale d’investigation »[1] : les mesures demandées doivent donc être ciblées et identifier de manière suffisamment précise les données à recueillir. De la même manière, le litige potentiel doit être caractérisé : le demandeur ne peut invoquer des faits purement hypothétiques[2].

Lorsque les mesures ont été ordonnées sur requête, les données sont de plus en plus souvent mises sous séquestre, dans l’attente d’un débat contradictoire. Elles ne sont remises au demandeur qu’après un tri, qui peut être réalisé par le juge ou de manière contradictoire entre les conseils des parties.

Toutes ces restrictions sont particulièrement nécessaires dans le domaine de prédilection des mesures in futurum : la concurrence déloyale. Les mesures demandées peuvent alors avoir pour objet ou pour effet d’appréhender des données commerciales, financières ou techniques d’un concurrent qui relèvent du secret des affaires.

Le secret des affaires n’est pas en soi un obstacle à l’exercice d’une mesure d’instruction in futurum[3]. L’atteinte au secret des affaires ne fait donc pas obstacle à la caractérisation de l’intérêt légitime du demandeur si les autres critères (invocation de faits pertinents et précis, impossibilité d’établir la preuve par ses propres moyens) sont satisfaits.

En pratique, le secret des affaires était donc rarement un frein à la saisie de documents pourtant sensibles d’une entreprise. Cependant, dans un contexte de réitération régulière, par les arrêts récents, de l’exigence de proportionnalité des mesures d’instruction[4], la Cour de cassation semble vouloir réaffirmer la place du secret des affaires dans la mise en œuvre de l’article 145.

Même en présence d’un motif légitime, les juges doivent vérifier la proportionnalité de la mesure envisagée au regard de l’atteinte au secret des affaires de la partie qui la subit.

L’arrêt du 22 juin 2017 de la Cour de cassation a été rendu dans une affaire où un agent général d’assurance démissionnaire était soupçonné par son ancien mandant de se livrer à des actes de concurrence déloyale. Ce dernier l’a assigné en référé pour obtenir la communication de ses fichiers clients depuis 2010. Deux autres compagnies, avec lesquelles l’agent continuait d’exercer ses activités, sont intervenues à la procédure et ont proposé la substitution d’une mesure d’expertise, confiée à un tiers soumis au secret, à la mesure de communication sollicitée par les demandeurs. Elles soutenaient qu’une telle mesure était de nature à remplir le demandeur dans ses droits, tout en évitant l’atteinte à leurs secrets d’affaires.

Forts de la jurisprudence antérieure selon laquelle le secret des affaires n’est pas un obstacle aux mesures d’instruction in futurum, les premiers juges ont rejeté cette proposition au motif que « ni le secret d’affaires ni la circonstance qu’elles soient propriétaires du « fichier clients » constitué par leur agent général ne suffisent » à s’opposer à la mesure d’instruction justifiée par l’intérêt légitime de la demanderesse.

L’arrêt est censuré par la première chambre de la Cour de cassation. Selon elle, les juges du fond devaient rechercher si la mesure proposée « n’était pas proportionnée au droit des sociétés [demanderesses] d’établir la preuve d’actes de concurrence interdite ou déloyale (…) et à la préservation des secrets d’affaires des sociétés [intervenantes volontaires] ».

La Cour de cassation confirme ainsi que les juges du fond doivent examiner la proportionnalité de l’atteinte au secret et en justifier par une motivation soignée. Et même en présence d’un motif légitime de recourir à une mesure d’instruction in futurum, le choix de la mesure doit tenir compte d’un équilibre nécessaire entre ce motif légitime et les intérêts, tout aussi légitimes, de la partie qui la subit.

Les parties visées par des mesures d’instruction portant atteinte à leurs secrets d’affaires ont donc désormais tout intérêt, à défaut d’obtenir la rétractation de l’ordonnance, à proposer des mesures alternatives permettant d’éviter que leurs contradicteurs soient mis directement en possession de leurs informations sensibles.


[1] Cass. Civ. 2ème, 7 janvier 1999, n° 97-10831.

[2] Cass. Civ. 2ème, 5 février 2009, n° 08-11626.

[3] Cass. Civ. 2ème, 7 janvier 1999, Véricar, n° 95-21934 ; Cass. Civ. 1re, 3 novembre 2016, n° 15-20495.

[4] Cass. Com., 6 décembre 2016, n° 15-12437.

 

 

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