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Brexit – Le Royaume-Uni adopte un régime inédit de sanctions anti-corruption à portée extraterritoriale

Article Contentieux des affaires | 18/06/21 | 8 min. | Olivier Attias Manon Krouti

Le 26 avril 2021, le Royaume-Uni a adopté un nouveau régime de sanctions économiques internationales, le Global Anti-Corruption Sanctions Regulations (le « règlement GAC »), conçu pour cibler les personnes impliquées dans des affaires de corruption d’agent public[1]. L’adoption de ce texte marque le franchissement d’une nouvelle étape dans l’arsenal juridique de lutte contre la corruption internationale qui, pour la première fois, s’adosse à l’arme diplomatique des sanctions unilatérales, c’est-à-dire des sanctions décidées indépendamment de toute décision du conseil de sécurité des Nations Unies. Ce nouveau règlement est, en outre, susceptible d’entraîner des obligations nouvelles pour les filiales britanniques de groupes français mais aussi pour les succursales de groupes britanniques établies en France en raison de l’extraterritorialité de cette réglementation.

Ce nouveau programme sanctionne les individus et sociétés désignés par le Département du Trésor britannique comme ayant été « impliqués » dans des affaires de corruption graves. Parmi les mesures de rétorsion économiques, figurent le gel de leurs avoirs et de leurs fonds. Il est ainsi interdit, sous peine de sanctions pénales, de fournir des services financiers aux personnes et entités faisant l’objet des sanctions et, plus largement, de réaliser toute opération impliquant des mouvements de fonds envers ou au profit de ces personnes, ou pouvant avoir un quelconque effet sur leurs ressources économiques, sauf à avoir préalablement obtenu du Trésor une licence les y autorisant, pour les raisons précisément listées à l’annexe 2 du règlement (telles que pour subvenir aux besoins essentiels ou dans le cadre d’activités humanitaires).

Mais cette nouvelle réglementation soulève certaines difficultés. Il est en effet difficile de comprendre les critères de désignation du Trésor britannique tant ces notions d’« implication » et de « corruption grave » ne renvoient à aucune référence juridique précise dans le vocabulaire de notre propre procédure pénale.

La lecture de l’article 6 du règlement GAC apporte tout de même quelques précisions sur la notion d’implication puisqu’on y comprend qu’est susceptible d’être sanctionnée toute personne à l’encontre de laquelle il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elle aurait pris part à des faits de corruption grave, ou qu’elle aurait profité ou obtenu des avantages résultant de ces faits de corruption grave, blanchi leurs produits ou encore qu’elle aurait recouru à des menaces ou à l’intimidation en vue de perturber une procédure judiciaire en lien avec des faits de corruption grave. Si l’emploi du conditionnel est de rigueur, c’est que le Royaume-Uni n’a pas souhaité limiter les possibilités de sanctions offertes par la diplomatie coercitive unilatérale aux seules personnes ayant déjà fait l’objet d’une condamnation définitive par une juridiction étrangère pour de tels faits.

En ce sens, le policy paper publié par le gouvernement indique effectivement qu’un des critères à prendre en compte pour la désignation d’une personne en application du règlement GAC est la probabilité que cette personne ne fasse l’objet de poursuites ni par les autorités et juridictions de l’État de sa nationalité ni par celles de l’État sur le territoire desquels les faits ont été commis[2].

Ont ainsi été désignées par le Royaume-Uni 22 personnes soupçonnées d’avoir pris part à des schémas corruptifs en Russie, en Amérique latine, au Soudan ou en Afrique du Sud, sans toutefois avoir été condamnées pour ces faits. Parmi ces 22 personnes, 13 faisaient d’ores et déjà l’objet de programmes de l’OFAC américain dans le cadre des sanctions dites Magnitsky en écho au système frauduleux russe mis en lumière par l’avocat du même nom.

Aucune n’était cependant désignée sur les listes de sanctions financières tenues par l’Union européenne, ce qui démontre – s’il en était encore besoin – la volonté du Royaume-Uni de se distinguer de ses anciens partenaires. Les Britanniques soulignent ainsi leur indépendance diplomatique et juridique vis-à-vis de l’Union européenne, laquelle ne peut adopter de mesures restrictives similaires qu’à l’unanimité de ses 27 membres, ce qui tend à rendre l’exercice particulièrement difficile, à l’image du veto-ultimatum imposé par Chypre l’automne dernier lors du vote des sanctions contre la Biélorussie, ou des difficultés récurrentes provoquées par la Hongrie s’agissant des relations de l’UE avec la Chine ou la Russie.

Le programme adopté par le Royaume-Uni témoigne, par la même occasion, de son ambition de se rapprocher des États-Unis, considérés comme les acteurs principaux de la lutte contre la corruption et aficionados de la méthode des sanctions économiques internationales pour donner du poids à leur politique étrangère. Le Secrétaire d’État aux Affaires étrangères britannique a d’ailleurs affirmé de façon non équivoque son désir d’agir de concert avec les Américains[3] ; ce dont ces derniers se sont rapidement félicités par l’intermédiaire d’un communiqué de presse de leur Secrétaire d’État au Trésor Janet Yellen[4].

 

Enfin, le règlement GAC permet au Royaume-Uni d’élargir considérablement son imperium grâce à sa portée, par essence, extraterritoriale.

D’une part, les individus ou entités sanctionnées pourront l’être à raison de faits supposés qui pour la plupart se seront déroulés bien loin du territoire britannique, mais surtout, le règlement prévoit que des sanctions pénales pourront être prononcées en cas de violation des interdictions qu’il contient, y compris si ces violations résultent d’opérations réalisées entièrement à l’étranger. Pour réprimer ces violations, le gouvernement britannique a en effet opté pour le critère unique et exclusif de la compétence personnelle, ce qui lui permettra en application de l’article 3 du Règlement GAC de poursuivre tous les manquements commis par les personnes physiques de nationalité britannique, les sociétés qui y sont immatriculées, mais également les succursales étrangères de ces dernières indépendamment du lieu où ils ont été commis.

À titre de comparaison, les modalités d’application extraterritoriale de la loi pénale française sont bien souvent limitées. Hormis l’exception prévue depuis la loi Sapin II [5] pour les faits de corruption d’agent public étranger ou de trafic d’influence, des personnes françaises ne peuvent être poursuivies sans restriction en France pour des faits commis entièrement en dehors du territoire national [6].

Si la portée extraterritoriale de la nouvelle réglementation britannique est sans commune mesure avec celle de ses cousins américains qui tendent à interpréter de façon extensive les critères des compétences personnelle et territoriale, il existe une incertitude quant à son application aux filiales françaises des groupes britanniques. Il reste que, pour éviter de se voir infliger des amendes voire, pour les personnes physiques, des peines d’emprisonnement, ces sociétés établies en France devront vérifier dans leurs opérations de due diligence que leurs clients et partenaires commerciaux n’ont pas fait l’objet de sanctions en application de ce règlement ou, pour le cas de sociétés, ne comptent pas de telles personnes parmi leurs bénéficiaires effectifs.

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[1] https://www.legislation.gov.uk/uksi/2021/488/contents/made

[2] https://www.gov.uk/government/publications/global-anti-corruption-sanctions-factors-in-designating-people-involved-in-serious-corruption/global-anti-corruption-sanctions-consideration-of-designations

[3] https://www.gov.uk/government/news/uk-sanctions-22-individuals-involved-in-serious-international-corruption

[4] https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy0146

[5] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

[6] Hors les crimes, les autres infractions commises entièrement à l’étranger doivent pour la grande majorité soit répondre à l’exigence de réciprocité d’incrimination par la législation du pays où elles ont été commises, soit avoir été commises au préjudice de victimes françaises pour être poursuivies en France et sont, en tout état de cause, soumises au monopole du ministère public et à l’exigence d’une plainte préalable de la victime.

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