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Réforme des retraites – Employeurs – Salariés : que restera-t-il de ces beaux jours ?

Article Droit du travail et de la protection sociale | 13/04/23 | 9 min. | Isabelle Hadoux-Vallier Boris Léone-Robin

La phase préalable à la présentation du projet de loi aura été tumultueuse – écrivions-nous en janvier dernier. La suite ne nous a pas déçus. Même si le caractère se forme dans le tumulte du monde - écrivait Goethe, le talent se développe dans la retraite – disait-il aussi dans « Torquato Tasso ».

Nous en aurons appris des choses sur le fonctionnement de nos institutions, assisté à moults débats sur la méthode utilisée et sur les stratégies politiques autour de ce texte. Nous aurons vu défiler dans la rue ceux qui se veulent le peuple et ceux qui se prennent pour la foule. Mais nous n’avons pas encore tout vu : la fin de l’histoire n’est pas tout à fait écrite

En attendant l’issue, les salariés et les employeurs doivent s’intéresser au contenu de ce texte. Et même si le fond venait encore à être amendé, il est impératif de se demander : que restera-t-il de tout cela ? que ressortira-t-il de tout cela ?

Les employeurs verront-ils leurs salariés partir plus tard ?

Les articles les plus polémiques de cette loi sont ceux qui ont été le moins modifiés et pour cause : prises par le calendrier et le jeu parlementaire, les deux chambres ne les auront soit pas votés soit les auront validés à la hâte.  

A ce jour, l’âge légal de la retraite sera bien porté progressivement vers 64 ans à partir de la génération des salariés nés à compter du 1er septembre 1961. Parallèlement, l’objectif d’une durée de cotisations pour bénéficier d’une pension dite « à taux plein » à 43 ans demeure mais sera atteint plus rapidement, dès 2027.

Ces deux paramètres conjugués vont nécessairement entraîner un glissement des départs en retraite des salariés à une date plus tardive – générant des conséquences sur les organisations des entreprises, l’aménagement des fonctions et postes ainsi que de manière certaine des coûts financiers restant à évaluer (rémunérations, conséquences sur les régimes de prévoyance et complémentaire santé, ancienneté plus grande pour les indemnités liées à la fin de carrière, adaptations des dispositifs de préretraites ou équivalents).

Mais les employeurs devront aussi tenir compte – et c’est tout le paradoxe – de l’augmentation probable du nombre de leurs salariés pouvant désormais bénéficier d’un départ en retraite anticipée pour carrière longue, le texte adopté ayant en effet élargi le dispositif actuel.

Les employeurs auront-ils les moyens d’accompagner les seniors ?

Alors même qu’une loi dédiée au travail des seniors (et des autres salariés) aurait pu se justifier – la France a en effet une marge importante de progression en la matière - il a été préféré des mesures éparses dont le lien créé de manière artificielle avec le budget de la Sécurité sociale (n’oublions pas qu’il s’agit d’une LFSSR !) risque de ne pas échapper à l’analyse du Conseil constitutionnel. C’est par une sorte de déclaration d’intention que le sujet est abordé : la loi intègre en effet dans le code du travail un nouvel article selon lequel « l’employeur poursuit un objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des seniors ». Sous cette formulation générale, peut-on imaginer des effets normatifs pour les entreprises ? Un juge aura-t-il la possibilité de prononcer la nullité d’une mesure prise par un employeur contrevenant à ce principe ?

Ensuite, la mesure phare du projet de loi en la matière porte sur la création d’un index « Senior » sur le modèle de l’index égalité homme-femme. Les entreprises (au moins celles de plus de 1.000 salariés) devront très vite se pencher sur leur politique d’emploi des seniors afin d’être en mesure à compter du 1er novembre 2023 de publier des indicateurs relatifs à cette politique sous peine d’une sanction pouvant s’élever jusqu’à 1% de leur masse salariale. Le délai paraît très court, a fortiori dans la mesure où les critères de calcul de cet index ne sont pas connus à date. Les entreprises entre 300 salariés et 1.000 salariés disposeront d’un délai supplémentaire jusqu’au 1er juillet 2024.

Si l’on peut se montrer dubitatifs qu’un tel index vienne régler la problématique de l’emploi des seniors en France, le législateur aura voulu quand même explorer d’autres mesures avec la méthode dite :

  • De la carotte : création à titre expérimental (jusqu’en 2026) d’un contrat à durée indéterminée de fin de carrière, ouvert au recrutement de chômeurs de longue durée d’au moins 60 ans, avec une exonération des cotisations d’allocations familiales limitée aux 12 premiers mois du contrat ; et,
     
  • Du bâton : sous couvert d’une harmonisation de taux, institution d’une contribution patronale de 30% sur les indemnités de rupture du contrat de travail versées après le 1er septembre 2023, qu’il s’agisse d’une mise à la retraite ou d’une rupture conventionnelle individuelle (qui jusqu’ici était assujettie au forfait social de 20% lorsque le salarié ne remplissait pas les conditions pour faire valoir ses droits à retraite), l’objectif affiché étant surtout d’éviter les ruptures conventionnelles de seniors approchant de la retraite.


Ensuite, toujours pour les entreprises d’au moins 300 salariés, la négociation sur la gestion des emplois et parcours professionnels intègre un nouveau volet concernant l’emploi des seniors.

Autre aspect susceptible d’être rattaché – au moins indirectement – à l’emploi des seniors : Les employeurs devront intensifier l’effort pour prévenir l’usure professionnelle. Plusieurs dispositions sont prévues à cet effet : cofinancement avec le nouveau fonds d’investissement (Fipu) d’actions de prévention pour les salariés particulièrement exposés aux risques ergonomiques, accompagnement ou orientation de ces mêmes salariés vers un suivi individuel spécifique (suites de la visite médicale de mi-carrière auprès du professionnel de santé au travail ou de celle organisée entre les 60e et 61e anniversaires en vue d’une retraite anticipée), adaptations liées à l’aménagement du compte professionnel de prévention (C2P) ou à sa mobilisation pour les salariés en reconversion, etc.

Les employeurs devront prendre en compte les changements relatifs à la transition entre activité et retraite

Toujours dans le but de favoriser l’emploi des seniors, la loi offre des possibilités plus vastes pour que les salariés puissent opérer, avec l’aide de leur employeur s’appuyant sur l’organisation de leur entreprise, une véritable transition entre activité et retraite.

Par exemple, pour les salariés tentés de cumuler emploi et retraite de manière intégrale, c’est-à-dire pour ceux qui auront pu liquider toutes leurs pensions et disposent de la durée du taux plein (soit à l’âge repoussé soit à l’âge automatique resté à 67 ans), les cotisations d’assurance-vieillesse versées au titre de la reprise d’activité seront désormais génératrices de droits à retraite mais en reprenant de près les dispositions, il est possible de constater que cette nouveauté reste limitée et anecdotique.

Autre exemple sur le dispositif de la retraite progressive : un décret viendra préciser l’âge et la durée d’assurance requis pour en bénéficier mais son accès devrait être facilité : l’activité professionnelle restera à temps partiel (ou à temps réduit pour les salariés relevant du forfait-jours) pour être cumulée avec le bénéfice d’une pension de retraite liquidée provisoirement mais sans que l’employeur ne puisse s’opposer au souhait du salarié - un silence de deux mois ou une absence de réponse motivée et écrite valant acceptation. Le seul motif d’opposition sera l’incompatibilité de la durée de travail demandée avec l’activité économique de l’entreprise sans que l’on ne connaisse exactement le degré de détail de cette motivation.

Quelle suite pour quelle fin ?

Si pour mesurer la portée réelle de cette loi, bien d’autres dispositions mériteraient d’être développées ainsi que d’autres conséquences pour les entreprises et les salariés, nous n’avons d’autre choix aujourd’hui que d’attendre encore un peu… En effet, le Conseil constitutionnel va se prononcer le 14 avril prochain sur :

  • Le texte luimême de la LFSSR – réforme des retraites, avec des options assez variées : censure totale ou censure partielle ou validation totale ; dans les 2 dernières hypothèses, de nombreux décrets devront paraître rapidement, au moins pour les mesures dont l’entrée en vigueur est la plus proche (1er septembre 2023) ;
  • Le texte de la proposition de loi en vue de la mise en œuvre d’un référendum d’initiative partagée (RIP) : cette proposition ne comporte qu’un seul article posant pour principe que l’âge de la retraite (visé par diverses dispositions légales) ne peut être supérieur à 62 ans. Ce n’est pas une « contreproposition » de la LFSSR mais bien un texte qui vise la disposition la plus emblématique (celle de l’âge). Ceci poserait une situation juridique assez inextricable non seulement du fait des calendriers respectifs mais aussi sur la mise en œuvre de la LFSSR qui ne s’appliquerait alors que pour ses dispositions autres que celles portant directement ou indirectement à l’âge de 64 ans.


Il reste à s’armer d’un tout petit peu de patience pour savoir ce qu’il restera de ce texte, dans sa teneur tout du moins car son empreinte économique, sociale ou politique semble marquée à une encre loin d’être sympathique et ce, pour quelque temps.

 

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