retour

Commerce en ligne : l’autorité de la concurrence rappelle les limites à ne pas franchir

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 01/10/12 | 6 min. | Renaud Christol

Après une enquête sectorielle de plus d’un an, l’Autorité de la concurrence (« l’Autorité ») vient de rendre public son avis sur la situation concurrentielle dans le secteur du commerce électronique. Afin d’analyser le fonctionnement de la concurrence dans le secteur du commerce électronique et de détecter les éventuels dysfonctionnements au regard de sa pratique décisionnelle et des règles énoncées par la Commission européenne, l’ Autorité a lancé une enquête sectorielle le 4 juillet 2011.

Le 18 septembre 2012, l’Autorité a rendu public l’avis issu de cette enquête. Il en ressort que l’enquête était centrée sur trois secteurs du commerce électronique : les produits électrodomestiques, les produits de parapharmacie et les parfums et produits cosmétiques de luxe. Pour chacun de ces secteurs, l’ Autorité a procédé à des relevés de prix pratiqués dans les points de vente physique (« hors ligne ») et par les sites de commerce électronique (« en ligne »). L’Autorité a ensuite effectué une analyse comparative de ces différents prix, en tenant compte notamment des coûts de livraison associés à l’achat d’un produit en ligne.
 

Il en ressort que les prix pratiqués en ligne sont quasi-systématiquement inférieurs à ceux pratiqués hors ligne. Ainsi, pour les produits électrodomestiques, l’avantage de prix du canal internet est compris entre 5 et 10 %. Pour la parapharmacie, cet avantage est de l’ordre de 8 à 10 % et peut même aller jusqu’à 30 %. En revanche, l’Autorité ne constate pas de différence de prix notable entre les prix hors ligne et en ligne en matière de parfums et produits cosmétiques.

 

Pour l’Autorité, cette pression à la baisse sur les prix s’explique par les composantes du secteur du commerce en ligne. Les comparateurs de prix permettent aux consommateurs de comparer aisément les prix avant l’achat ; les places de marché offrent de la visibilité à un nombre considérable de marchandises et augmentent ainsi le choix offert aux consommateurs et les distributeurs uniquement présents en ligne (les « pure players ») dont
les coûts moindres par rapport aux magasins physiques (notamment personnel limité, absence de charges immobilières) leur permettent de proposer des prix inférieurs à ceux pratiqués par les distributeurs hors ligne (les « brick & mortar ») ou par les distributeurs présents sur les deux canaux (les « click & mortar »).

 

Il est dans ces conditions primordial pour l’Autorité que l’activité et le déploiement des pure players ne fassent l’objet d’aucune limitation, restriction ou entrave. Or, elle a identifié dans le cadre de son enquête un certain nombre d’obstacles au développement des pure players, obstacles issus de la politique de distribution de certains fabricants ou contenus dans les dispositions contractuelles qui régissent les relations entre les fabricants et les pure players.

 

1. Différenciation des conditions selon les canaux de distribution


Au premier rang des obstacles rencontrés par les pure players, l’Autorité relève les pratiques de différenciation des conditions selon les canaux de distribution.

 

Certains fabricants souhaitent proposer des gammes de produits différents à leur clientèle dont les préférences sont différentes selon qu’elle achète en ligne ou hors ligne. Ces fabricants peuvent également souhaiter que les prix de leurs produits soient différenciés selon le canal de distribution afin de prendre en considération les variations de disposition à payer de leur clientèle. Ces fabricants peuvent enfin souhaiter privilégier les distributeurs hors ligne lors du lancement de certains produits ou en cas d’insuffisance de stock.

 

L’Autorité rappelle que de telles pratiques ne sont pas en soi anticoncurrentielles. Elle ajoute que « la liberté de négociation des conditions commerciales et tarifaires, dont jouissent les fabricants, est généralement pro-concurrentielle et procure des gains d’efficience pour les consommateurs ».

 

Cela étant, elle souligne que le fabricant ne peut jouir de cette liberté « que sous la réserve du respect des règles de concurrence internes et de l’Union ».

 

Ainsi, la différenciation des produits offerts ou le choix de réserver certains produits à la distribution hors ligne, qui dans les faits s’apparentent à des refus de fourniture de certains produits, pourraient, selon l’Autorité, être constitutives d’une entente anticoncurrentielle si elles résultent d’un accord de volontés entre des opérateurs visant à refuser d’approvisionner un ou plusieurs distributeurs tiers afin d’évincer ces distributeurs ou de freiner sensiblement leur développement. Si ces pratiques sont mises en oeuvre par une entreprise en position dominante, elles pourraient être constitutives d’un abus si (i) le fournisseur est également concurrent des distributeurs sur le marché aval, (ii) le produit ou le service concerné est objectivement nécessaire pour pouvoir exercer une concurrence efficace sur le marché aval, (iii) la pratique est susceptible de conduire à l’élimination d’une concurrence effective sur ce marché aval et (iv) cette pratique est susceptible de léser les consommateurs intermédiaires ou finals.

 

De même, l’Autorité indique que la différenciation tarifaire pourrait être illicite si de telles conditions discriminatoires ne sont pas justifiées par des contreparties proportionnées ; si elles sont susceptibles de conduire à l’éviction de concurrents sur un marché donné, de les discipliner ou de retarderleur entrée; si ces conditions procurent aux distributeurs qui en bénéficient un avantage injustifié dans la concurrence ou si elles ne profitent pas aux consommateurs.

 


2. Développement des réseaux de distribution sélective encadrant les conditions de vente en ligne


Pour l’Autorité, le développement des réseaux de distribution sélective dans les secteurs où ce type de réseau n’était pas prédominant précédemment, comme par exemple les produits électrodomestiques, pourrait également constituer un obstacle au développement des pure players.

 

Un fabricant est libre d’organiser le mode de distribution de ses produits. Il peut ainsi choisir de réserver la commercialisation de ses produits à des distributeurs qu’il a sélectionnés. Cette sélection peut être justifiée par les services rendus par les distributeurs aux consommateurs, par la technicité des produits ou par leur caractère haut de gamme, voire par le souci de préservation de l’image de marque et de la notoriété du fabricant.

 

Cela étant, cette liberté est là encore limitée par les règles de concurrence. Le choix de la distribution sélective ne doit pas avoir pour objet et/ou pour effet de porter atteinte à la concurrence en restreignant la possibilité de vendre en ligne.

 

L’Autorité rappelle ainsi que le fabricant ne peut pas énoncer une interdiction absolue de vente de ses produits sur internet, une telle interdiction ayant « nécessairement un objet restrictif de concurrence qui vient s’ajouter à la limitation de concurrence inhérente au choix même d’un système de distribution sélective par le fabricant ». Elle rappelle également que le fabricant peut exiger que son distributeur détienne un point de vente physique (ce qui exclut les pure players) mais qu’une telle exigence doit être justifiée par les caractéristiques du produit et proportionnée à l’objectif poursuivi. Elle rappelle enfin que les critères qualitatifs, ou les normes de qualité, relatifs à la présentation du site ou à son référencement sur les places de marchés et les comparateurs de prix, imposés aux distributeurs en ligne, doivent être « globalement équivalents à ceux imposés aux points de vente physique ».

 

Bien que l’Autorité souligne, comme dans tous les avis qu’elle rend, qu’il ne lui appartient pas dans ce cadre d’apprécier ni à plus forte raison de qualifier des comportements individuels sur le marché au regard des dispositions applicables en matière de pratiques anticoncurrentielles, les termes de l’avis ainsi que ceux du communiqué de presse incitent tout de même très fortement les opérateurs, en particulier ceux actifs dans les secteurs n’ayant pas fait l’objet de l’enquête, à ne pas outrepasser les limites issues de la pratique décisionnelle et rappelées dans l’avis.

 

Christophe Clarenc - Associé

Renaud Christol - Counsel

 

Explorez notre collection de documents PDF et enrichissez vos connaissances dès maintenant !
[[ typeof errors.company === 'string' ? errors.company : errors.company[0] ]]
[[ typeof errors.email === 'string' ? errors.email : errors.email[0] ]]
L'email a été ajouté correctement