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L’Autorité de la concurrence recommande notamment la concentration des producteurs de fruits et légumes frais afin de contrebalancer la puissance d’achat des acteurs de la grande distribution

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 20/02/14 | 5 min. | Renaud Christol

Après un 1er avis rendu en 2008[1], l’Autorité de la concurrence (« l’ADLC ») s’est à nouveau penchée sur la situation de la concurrence dans le secteur des fruits et légumes frais dans un avis du 14 février 2014[2].

 

En juin 2012, la fédération de syndicats agricoles Les Producteurs de Légumes de France a saisi l’ADLC. Elle estimait principalement que le secteur des fruits et légumes frais se trouve dans une situation manifestement anormale de marché[3] qui devrait justifier l’adoption par le Gouvernement de mesures exceptionnelles telles qu’un encadrement temporaire des prix des fruits et légumes frais.

 

Un déséquilibre structurel entre offre et demande

Dans son avis, l’ADLC ne considère pas que la situation du secteur justifie de telles mesures. Elle estime que les difficultés rencontrées par les producteurs de fruits et légumes frais ne sont pas d’ordre conjoncturel et ne peuvent donc pas être résolues par l’adoption de mesures temporaires évoquées par la fédération de syndicats agricoles Les Producteurs de Légumes de France.

Pour l’ADLC, ces difficultés sont d’ordre structurel. En conséquence, elle préconise des modifications de fond du secteur qui reprennent, en les développant et en les complétant, les principales recommandations de 2008.

En premier lieu, elle encourage la généralisation de l’utilisation des contrats-cadres entre les distributeurs et les fournisseurs afin d’introduire de la visibilité et de la pérennité pour ces derniers.

En deuxième lieu, elle propose d’accroitre la transparence du marché, notamment par l’instauration d’indicateurs de prix qui permettraient aux fournisseurs lors de négociations commerciales de disposer d’informations objectives pour la négociation et la détermination des prix.

 

Une offre plus concentrée donc plus forte

En troisième et dernier lieu, l’ADLC rappelle que la demande dans ce secteur est particulièrement concentrée. Les 6 premiers groupes de la grande distribution représentent plus de 85% du marché et disposent donc d’une puissance d’achat certaine.

Pour la contrebalancer, l’ADLC recommande la concentration des producteurs de fruits et légumes frais au sein d’organisations de producteurs (« OP »). Les OP ont été mises en place par une organisation commune de marché (« OCM ») au niveau européen depuis 1996[4] et sont des personnes morales reconnues par les États membres constituées à l’initiative des producteurs afin « d’assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande notamment en quantité et en qualité ; de promouvoir la concentration de l’offre et la mise en marché de la production des membres ; de réduire les coûts de production et de régulariser les prix à la production ». Les OP peuvent elles-mêmes se regrouper au sein d’associations d’OP (les AOP).

L’ADLC relève qu’une quantité non négligeable d’OP ont été constituées depuis la mise en place de ces structures. Cela étant, leur pouvoir de marché reste marginal. D’une part, elles ne représentent que 50% de la production de fruits et légumes frais en raison de l’attachement des producteurs à leur indépendance. D’autre part, elles sont de taille modeste et sont éclatées sur tout le territoire.

L’ADLC recommande par conséquent de poursuivre et de renforcer le mouvement de concentration de l’offre au sein d’OP de taille plus significative, voire d’AOP. Les OP de taille importante permettraient de commercialiser la production de leurs membres directement auprès des centrales d’achat de la grande distribution, ce qui supprimerait les nombreuses marges causées par la multiplication des intermédiaires dans le secteur. Au surplus, dès lors que ces regroupements atteindraient une taille significative, ils seraient susceptibles de disposer d’un pouvoir de négociation face aux centrales d’achat.

À cet égard, l’ADLC souligne que les regroupements pourraient être facilités par la modification récente du règlement OCM[5] qui a supprimé le critère d’absence de position dominante pour la reconnaissance des OP.

À supposer que les opérateurs parviennent à mettre en place de tels regroupements, ils devraient tout de même veiller d’une part à ce que leur constitution, si elle devait être soumise au contrôle des concentrations, satisfasse le test de validité prévu par ce contrôle (absence d’atteinte à la concurrence sur le marché notamment par la création ou le renforcement d’une position dominante), d’autre part, en toute hypothèse, à ce que ces regroupements ne soient pas l’outil de mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles.

 

Renaud Christol, Counsel

Elsa Pinon, Avocat

 

[1] Avis n° 08-A-07 du 7 mai 2008 relatif à l’organisation économique de la filière fruits et légumes.

[2] Avis n° 14-A-03 du 14 février 2014 relatif à une saisine de la fédération Les Producteurs de Légumes de France.

[3] Ces situations sont visées par l’alinéa 3 de l’article L. 410-2 du code de commerce qui dispose : « Les dispositions des deux premiers alinéas [émettant le principe de liberté des prix, sauf dans les zones de concurrence limitée pour lesquelles un décret en Conseil d’Etat peut prévoir une réglementation des prix] ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d'Etat, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par (…) une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. (…) Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois ».

[4] Voir le règlement (CE) n°2200/96 du Conseil du 28 octobre 1996 modifié, le 11 août 2003, par le règlement (CE) n°1433/2003 de la Commission, puis par le règlement n°1182/2007 du Conseil.

[5] Règlement (UE) n°1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n°922/72, n°234/79, n°234/79, n°1037/2001 et (CE) n°1234/007 du Conseil entré en vigueur le 1er janvier 2014.

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