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La nouvelle taxe sur les transactions financières

Article | 12/04/12 | 13 min. |

La nouvelle taxe sur les transactions financières vient d’être adoptée par le Parlement dans le cadre de la 1ère loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 – article 5). Elle fait suite à toute une série d’initiatives prises à ce sujet au niveau international. La déclaration finale du sommet du G20 à Cannes (novembre 2011) reconnaît «les initiatives prises dans certains pays pour taxer les transactions financières ». Le sommet de l’Eurogroupe du 12 mars 2011 s’était conclu par un accord «sur la nécessité de réfléchir à l’introduction d’une taxe sur les transactions financières». Le Parlement européen avait adopté le 8 mars 2011 une résolution pour «inviter la Commission et le Conseil à œuvrer en faveur de l’adoption d’une telle taxation».

Ces déclarations d’intention se sont traduites par le dépôt par la Commission Européenne, le 28 septembre 2011, d’une proposition de Directive établissant un système commun de taxe sur les transactions financières dans les 27 Etats membres de l’Union (COM (2011)) 594 final). Le texte est actuellement en discussion devant le Parlement européen. Il devrait être examiné à la fin du présent semestre.

Sans attendre, le gouvernement français a décidé de mettre en place, dès cette année, une taxe qui préfigure la future taxe européenne. Il estime en effet qu’il faut, dès à présent, dissuader la spéculation financière qui est à l’origine de la crise financière de 2008 car elle entraîne une prise de risques excessifs, et demander au secteur financier de contribuer davantage à l’effort de redressement de nos finances publiques.

Le texte crée en réalité trois taxes distinctes :
- une taxe sur les acquisitions de titres en capital ;
- une taxe sur les opérations dites à haute fréquence portant sur les titres en capital ;
- une taxe sur les contrats d’échange sur défaut, les CDS, (credit default swaps).


1. Taxe sur les acquisitions de titres en capital

1. 1 Champ d’application

L’assiette choisie pour cette taxe a été volontairement réduite, tant par rapport à la proposition de Directive européenne que par rapport à l’ancien impôt de bourse, afin de limiter les risques de délocalisation des opérations.
Elle ne concerne que les acquisitions à titre onéreux des titres en capital selon la définition de l’article L 212-1-A du Code monétaire et financier, soit « les actions et les autres titres donnant ou pouvant donner accès au capital ou aux droits de vote », remplissant trois conditions :

- acquisition donnant lieu à un transfert de propriété et inscription des actions sur le compte-titres de l’acquéreur (achat, achat à terme, rachat, échange, exercice d’option, attribution en contrepartie d’apports).
Dans l’impôt de bourse ou la proposition de Directive européenne, pour chaque transaction financière, on taxe deux fois, une fois à l’achat et une fois à la vente, l’opération ; dans le cas présent, seul l’achat est taxé.

- l’action concernée doit être admise aux négociations sur un marché réglementé français, européen ou étranger reconnu, même s’il s’agit de transactions effectuées de gré à gré ;

- l’action doit avoir été émise par une entreprise dont le siège social est en France et dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d’euros au 1er janvier de l’année d’imposition.

On estime que seront concernées les actions de 150 sociétés, pour l’essentiel des sociétés françaises relevant du CAC 40 et du SBF 120.

Cette taxe ne s’applique pas aux transactions sur les titres de créances (obligations), ni à celles relatives aux placements collectifs (OPCVM, fonds de titrisation). C’est une différence importante par rapport au projet de Directive qui prévoit de taxer les transactions concernant les obligations (avec exonération cependant pour les titres d’Etat et les émissions primaires) et les parts ou actions des organismes de placement collectif. Par ailleurs, la proposition de Directive prévoit que la taxation est fondée sur le critère de résidence en Europe d’une des parties à la transaction. Si ce critère était transposé de façon littérale en France, cela entraînerait un transfert massif vers l’étranger des transactions réalisées sur les titres français, au détriment de la place de Paris.

La loi prévoit sept cas d’exonération de la taxe :

- les émissions d’actions sur le marché primaire ; les transactions du marché primaire, selon Euronext, représentent 10 milliards d’euros par an ;

- les opérations réalisées par une chambre de compensation ou un dépositaire central.
Ces opérations réalisées en compte propre doivent contribuer à la bonne régulation du marché ;

- les activités de « tenue de marché » réalisées par les entreprises d’investissement et les établissements de crédit, y compris à l’étranger ; ces activités doivent contribuer à la liquidité des échanges, en particulier par la fourniture d’une cotation en continu et par le service d’une quantité minimale de titres au prix de la cotation.
Le projet de Directive ne prévoit pas des exonérations de cette nature et elles sont parfois difficiles à caractériser.

- les activités de tenue de marché réalisées pour le compte d’émetteurs en vue de contribuer à la liquidité de leurs actions, selon les pratiques acceptées par l’AMF ;

- les acquisitions intra-groupe, entre société-mère et filiales contrôlées au sens de l’article L 233-3 du Code du commerce, le contrôle étant réputé exister à compter d’une détention de 40 % des droits de vote.
Le projet de Directive ne prévoit pas une telle exclusion.

- les cessions temporaires de titres, à savoir les prêts ou emprunts d’actions qui ne se traduisent pas par une acquisition définitive.

- les achats d’actions effectués en vue de leur affectation à l’épargne salariale.

1. 2 Assiette et taux de la taxe

Le fait générateur de la taxe est constitué par l’achat des titres au comptant ou à terme, au jour de l’acquisition et sur la valeur de celle-ci.
Le taux de la taxe est fixé à 0,1 %, taux minimal retenu par la proposition de Directive sauf s’il s’agit de contrats dérivés auquel cas le taux est de 0,01 %. Dans le projet de Directive, le taux s’applique 2 fois, à l’achat et à la vente.

Le rendement envisagé par cette taxe est de 1,1 milliard d’euros en année pleine, ce qui est beaucoup plus que le produit de l’ancien impôt de bourse (250 millions d’euros en 2007) mais nettement moins que le Stamp Duty Reserve Tax (SDRT), impôt de bourse instauré en 1986 en Grande-Bretagne pour les achats d’actions cotées de sociétés établies outre-manche ou de sociétés étrangères cotées à la bourse de Londres, lequel rapporte de 3,3 à 5,4 milliards d’euros par an selon les années sur la base d’un taux de 0,5 %.

1. 3 Modalités de recouvrement

Le redevable de la taxe est toujours l’acquéreur des actions. Le mode de prélèvement de la taxe repose sur l’établissement financier qui réalise la transaction, qu’il soit ou non situé en France. Dans ces conditions, les intermédiaires financiers de la place de Paris ne sont pas désavantagés, le critère de la nationalité s’appliquant à l’émetteur de l’action, non à l’acquéreur.

La taxe est due soit par le Prestataire de Service d’Investissement qui a exécuté l’ordre d’achat, soit par l’établissement qui assure la fonction de tenue du compte-conservation.

Lorsque la transaction est réalisée de gré à gré ou sur un marché réglementé à l’étranger, le reversement de la taxe au Trésor doit être effectué par le dépositaire central teneur du compte d’émission du titre en cause, en l’occurrence Euroclear en France, qui tient le compte de toutes les sociétés françaises relevant du compartiment A.

1. 4 Obligations déclaratives

Pour garantir le paiement de la taxe, dès lors qu’elle peut être due par des intermédiaires financiers non établis en France, la loi prévoit un certain nombre d’obligations déclaratives.

Certaines informations jugées nécessaires pour garantir un bon recouvrement de la taxe doivent être fournies dans des conditions qui seront précisées par Décret : montant de la taxe due, numéros d’ordre et dates des opérations concernées, désignation des titres acquis avec indication du nombre de titres et de leur valeur, mention des opérations exonérées.

Ces informations seront normalement détenues par le PSI ayant exécuté l’ordre d’achat ou l’acquéreur lui-même. Elles doivent être communiquées à l’établissement assurant la fonction de teneur du compte-conservation, puis transmises au dépositaire central teneur du compte d’émission du titre acquis, lequel sera l’interlocuteur de l’administration fiscale. Ce dernier devra fournir chaque mois une déclaration, selon un modèle prédéfini, qui détaillera le montant de la taxe due pour chaque redevable.

1. 5 Contrôle et sanctions

Le contrôle et le contentieux de la taxe sur les transactions financières suivent le régime applicable aux taxes sur le chiffre d’affaires.

Le dépositaire central teneur du compte d’émission devra séparer comptablement les fonds qu’il sera amené à centraliser au titre du recouvrement de la taxe, de ses autres activités.

Les obligations déclaratives et de paiement de la taxe seront assorties de sanctions fiscales dissuasives, compte-tenu de leur montant, au regard du montant de la taxe qui pourrait être dû.

1. 6 Date d’entrée en application

La date d’entrée en application de cette taxe est fixée au 1er août 2012, sous réserve que les textes d’application, Décret et Instruction, soient parus à cette date.

La date envisagée pour l’application de la taxe européenne serait le 1er janvier 2014. Mais, il faut que la Directive européenne soit approuvée à l’unanimité des 27 Etats membres, ce qui paraît peu probable, compte-tenu en particulier de l’opposition très ferme de la Grande-Bretagne et de la Suède. Cependant, il est envisagé que cette taxe soit appliquée au sein de l’Eurogroupe (17 Etats membres), voire même dans un nombre plus restreint d’Etats-membres. Le 6 février dernier, neuf Etats membres dont l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la France ont demandé à la présidence du Conseil de l’Union européenne d’accélérer l’examen de la proposition de Directive par le Conseil et le Parlement.


2. Taxe sur le trading à haute fréquence

C’est la première fois, dans notre droit financier, que l’on est amené à définir cette notion de «  trading à haute fréquence ».

Les établissements financiers peuvent être amenés à effectuer sur des plateformes de négociation de très nombreuses transactions portant sur des volumes considérables mais avec une faible marge. Pour cela, ils utilisent des algorithmes mathématiques et des ordinateurs très puissants leur permettant de tirer profit d’infimes écarts entre ordres d’achat et ordres de vente sur les marchés. Cette technique multiplie le volume des transactions dans un but spéculatif, ce qui peut contribuer à déstabiliser les marchés financiers eux-mêmes. En taxant spécifiquement cette activité, on peut la rendre non rentable et donc la faire cesser.

La taxe sur le trading à haute fréquence ne concerne que les opérations portant sur des actions. Il n’y a pas de limitation selon la nationalité du siège social de l’émetteur de l’action ou sa capitalisation boursière. En revanche, seules les entreprises établies en France et pratiquant le trading à haute fréquence y sont assujetties. En réalité, très peu d’établissements pratiquent ce type d’opération sur la Place de Paris. L’effet de cette taxe sera donc purement dissuasif.

Comme pour la taxe sur les achats d’actions, ces opérations seront exonérées, dès lors qu’elles sont réalisées en vue de contribuer au bon fonctionnement du marché et à assurer sa liquidité. La taxe sera exigible dès le franchissement d’un seuil correspondant à un pourcentage d’ordres d’achat d’actions annulés ou modifiés au cours d’une journée de bourse. Ce seuil sera défini par Décret en fonction de la taille de bilan des opérateurs concernés, avec un

plancher fixé à 66,67 % des ordres passés.

Le taux de la taxe est fixé à 0,01 %. L’assiette de la taxe est constituée par le montant des ordres d’achat annulés ou modifiés au cours d’une journée de bourse pour la part excédant le seuil de déclenchement de la taxe. Puisque cette taxe ne porte que sur les ordres d’achat annulés ou modifiés, il n’y a pas double emploi avec la taxe sur les acquisitions d’actions. Le montant de la taxe due devra être versé au Trésor par l’établissement financier concerné, concomitamment à la transmission à l’administration fiscale d’une déclaration récapitulant l’ensemble des ordres d’achat concernés.

S’agissant d’une taxe à objectif dissuasif, son rendement sera très faible.


3. Taxe sur les CDS souverains nus
 
La 3ème taxe créée porte sur les contrats d’échange sur défaut (credit default swaps-CDS) d’un Etat.

C’est un segment particulier des produits dérivés qui a contribué à l’amplification de la crise des dettes souveraines des Etats de la zone euro en 2011.

L’objectif de cette taxation est très clairement de limiter la spéculation sur les titres de dette des Etats.

La proposition de Directive européenne prévoit, elle, de taxer spécifiquement les transactions financières portant sur tous les contrats dérivés, à un taux minimal de 0,01 %.

Ces contrats ont pour objectif de protéger le détenteur d’une obligation d’Etat du risque de défaut de paiement de cet Etat. Mais, comme il n’est pas acceptable de pouvoir spéculer sur le risque de défaut d’un Etat sans détenir des titres de dette de cet Etat, la taxe française ne sera due que si l’acheteur d’un tel contrat d’échange ne détient pas lui-même, une position longue sur la dette de l’Etat concerné, ou s’il n’a pas contracté des engagements dont la valeur est corrélée  à la valeur de la dette de cet Etat.

Seules, les entreprises établies en France ainsi que les particuliers fiscalement domiciliés en France seront assujettis à cette taxe. Les opérations réalisées dans le cadre d’une activité de tenue du marché seront exonérées, dès lors qu’elles contribuent au bon fonctionnement du marché en assurant sa liquidité.

Le taux de la taxe est fixé à 0,01 %. L’assiette est constituée par le montant notionnel du contrat, c’est-à-dire le montant nominal utilisé pour le calcul des paiements liés au contrat. La taxe est due par l’acheteur du contrat, à la date de conclusion de celui-ci.

Il s’agit d’une taxe dont l’objectif est dissuasif. Son rendement sera faible, voire nul. Elle ne devrait pas avoir un impact significatif, dès lors que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relative à la vente à découvert et à certains aspects des contrats d’échange sur risque de crédit, déjà adoptée en 1ère lecture par le Parlement européen, entrera en vigueur, en principe le 1er novembre 2012.
A cette date, une personne physique ou morale n’aura plus le droit de conclure des contrats d’échange sur risques de crédit se rapportant à une obligation d’un émetteur souverain, dès lors que cette opération se traduit par une prise de position non couverte.
En définitive, la nouvelle taxe sur les transactions financières adoptée en France consiste, pour l’essentiel, en une taxe sur les acquisitions d’actions françaises, que celles-ci soient acquises en France ou à l’étranger.

Le champ de la future taxe européenne est plus large en ce qui concerne les acquisitions visées et les exemptions plus limitées, notamment en ce qui concerne les produits dérivés. Mais compte-tenu de la difficulté de recueillir l’unanimité sur cette taxe, il est probable que celle-ci ne sera pas adoptée, comme prévu, pour être appliquée le 1er janvier 2014.

Dès lors, les modalités d’application de la taxe française, qui sera applicable au 1er août 2012, doivent retenir toute l’attention des praticiens. Beaucoup de précisions devront être apportées par les textes d’application, y compris pour la mise en place des process exigés pour le reversement de cette taxe. Dès que ces textes seront connus, une présentation globale de ses dispositions pourra être envisagée.
 


Philippe Auberger - Counsel
 

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