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Déloyauté de la preuve dans les enquêtes : du devoir des enquêteurs

Article | 01/08/17 | 6 min. |

Par un arrêt en date du 11 juillet 2017[1], la Cour de cassation a sanctionné le comportement actif d’un officier de police judiciaire qui avait provoqué un individu à commettre une infraction. Ce faisant, la Cour de Cassation rappelle utilement que si les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et que la liberté probatoire est grande en matière pénale, l’utilisation par les agents de l’autorité publique de procédés déloyaux, de ruses ou de stratagèmes tels que la provocation à la commission d’une infraction ne sauraient être tolérés. Dans un système judiciaire français marqué par une grande asymétrie entre les pouvoirs des enquêteurs et les droits de la personne suspectée, un tel rappel est salutaire.

Sous le contrôle du procureur de la République, les enquêtes policières tendent à constater les infractions, en rassembler les preuves et appréhender les suspects[2]. Par nature, celles-ci sont secrètes et non contradictoires en raison de leur caractère discrétionnaire, confidentiel et de l’absence pour la personne poursuivie de toute possibilité de demander un acte d’enquête. En outre, les OPJ disposent d’un large pouvoir d’enquête octroyé tant par le Code de procédure pénale (garde à vue, perquisition, saisies …) que par des moyens technologiques de plus en plus sophistiqués (écoutes téléphoniques, géolocalisations, sonorisations …). A cet égard, en raison de la dimension très asymétrique entre les pouvoirs de l’autorité publique et les droits de la personne suspectée, la Cour de cassation vient rappeler à bon escient que les OPJ doivent respecter les principes de légalité et de loyauté garantis par le Code de procédure pénale, notamment lorsqu’ils recherchent les preuves d’une responsabilité pénale. De portée générale, ce principe s’applique tant aux infractions de droit commun qu’à la délinquance économique et financière.

En l’espèce, le 3 juin 2015, un joueur de football professionnel recevait l’appel d’un corbeau lui indiquant qu’il détenait un enregistrement vidéo à caractère sexuel le représentant. Le joueur déposait plainte pour tentative de chantage et une enquête était ouverte. Du 20 juin au 12 octobre 2015, sur autorisation du parquet, un OPJ contactait à plusieurs reprises le corbeau en se présentant comme un intermédiaire du joueur. Ainsi, il prenait l’initiative de contacter le corbeau, de diriger la conversation et d’aborder la question financière afin de récupérer l’enregistrement. Le 13 octobre 2015, le corbeau était arrêté et mis en examen pour tentative de chantage.

Au cours de l’instruction, le mis en examen sollicitait l’annulation de pièces de la procédure au motif de sa déloyauté, l’enquêteur ayant mis en place un stratagème en le démarchant activement afin de provoquer de sa part un nouveau chantage.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a donné raison au mis en examen en soulignant que l’intervention d’un OPJ ne peut avoir pour effet que de révéler des infractions déjà commises, en train de se commettre ou d’en arrêter la continuation. Ce faisant, les juges ont souligné que cette provocation au chantage caractérise un stratagème portant atteinte au droit à un procès équitable[3] et au principe de loyauté de la preuve[4] puisque l’enquêteur a lui-même pris contact avec le mis en examen et l’a incité à commettre de nouvelles infractions.

En effet, ce principe de loyauté de la preuve, que l’on retrouve à toutes les étapes procédurales, vient encadrer celui de la liberté de la preuve en matière pénale et s’entend comme « une manière d’être dans la recherche des preuves, conforme au respect des droits de l’individu et à la dignité de la justice[5] ». Dès lors, ce principe de loyauté interdit aux seuls agents de l’autorité publique – et non aux parties privées – l’utilisation de procédés déloyaux, de ruses ou de stratagèmes.

Au rang de ces interdits, la provocation à la commission de l’infraction est le fait, pour les enquêteurs, d’exercer « sur la personne une influence de nature à l’inciter à commettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise, pour en rendre possible la constatation[6] ». Dès lors, la provocation à l’infraction par un agent de l’autorité publique exonère le prévenu de sa responsabilité pénale si elle a déterminé les agissements délictueux[7].

Ainsi, par cette décision conforme à sa jurisprudence antérieure[8], la Cour de cassation énonce une nouvelle fois que provocation policière n’est pas raison judiciaire.



[1] Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 17-80313

[2] Article 14 du Code de procédure pénale

[3] Garanti par l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme

[4] Article 427 du Code de procédure pénale

[5] La loyauté dans la recherche des preuves, P. Bouzat, Mél. L. Hugueney : Sirey, 1964, p. 172

[6] CEDH, Ramanauskas c/ Lituanie, 5 février 2008, n° 74420/01

[7] Cass. crim., 5 mai 1999, n° 97-83117

[8] Cass. crim., 27 février 1996, n° 95-81366, Cass. crim., 11 mai 2006, n° 05-84837 et Cass. crim., 9 août 2006, n° 06-83219



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