Article Droit du travail et de la protection sociale | 27/10/17 | 13 min. | Isabelle Hadoux-Vallier
Suite aux modifications apportées par les ordonnances Macron, différents débats (que certains qualifieront de « grands ») se sont ouverts en protection sociale complémentaire.
L’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective vient, en effet, entre autres, modifier les articles L. 2253-1 et L. 2253-3 du code du travail (CT) et bouleverse quelque peu l’articulation des différentes normes en droit social lorsqu’elles sont en concurrence.
Désormais, lorsque la convention de branche définit « les garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale », ses « stipulations prévalent sur la convention d'entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la convention de branche, sauf lorsque la convention d'entreprise assure des garanties au moins équivalentes » (nouvel article L. 2253-1 CT).
En revanche, selon le nouvel article L. 2253-3 CT, pour les garanties autres que celles mentionnées à l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale (CSS), une convention d’entreprise prévaut sur les stipulations de la convention de branche ayant le même objet – et ce, quel que soit le contenu et le sens de la convention d’entreprise.
Plusieurs questions se posent ainsi :
Autant de sujets déterminant ce que l’entreprise peut mettre en œuvre et selon quels moyens.
A titre liminaire, nous avons noté que certains commentateurs s’interrogent sur les termes utilisés dans la rédaction de l’ordonnance (maladresse ? erreur ? ou volonté délibérée ?) : l’article L. 912-1 CSS ne serait-il pas l’article L. 911-2 du même code (qui lui liste précisément toutes les garanties collectives en protection sociale) ; le qualificatif« complémentaires » n’aurait-il pas été repris de manière désuète ?
A notre sens, au lieu d’émettre de telles hypothèses impliquant des arbitrages entre ce qui relève de l’erreur ou non, il convient de considérer que les rédacteurs ont bien eu la volonté de rédiger l’ordonnance telle quelle et de se concentrer plutôt sur une interprétation du texte en l’état.
1. Qu’est-ce que l’entreprise peut prévoir, par voie de convention, en présence d’une convention de branche ?Selon la volonté des négociateurs au niveau de la branche, deux hypothèses sont possibles :
> La convention de branche prévoit des garanties présentant un haut degré de solidarité
Premier constat : la branche s’inscrit ici dans le cadre de l’article L. 912-1 CSS.
Pour mémoire, cet article fut totalement revu fin 2013 après la déclaration d’inconstitutionnalité et la disparition des clauses de désignation par une branche des organismes assureurs, chargés de gérer ces garanties et auprès desquels les entreprises devaient souscrire leurs contrats d’assurance.
Il s’agit par conséquent d’un certain type d’accords de branche et ne sont donc pas visées toutes les conventions de branche. En effet, rappelons que l’article L. 912-1 CSS permet aux accords professionnels ou interprofessionnels d’instituer des « garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et comprenant à ce titre des prestations à caractère non directement contributif ».
Les accords peuvent alors, après une procédure de mise en concurrence encadrée, recommander un ou plusieurs assureurs pour couvrir les risques concernés.
L’objet principal d’un tel accord porte sur l’institution au bénéfice des salariés de garanties collectives gérées par des organismes assureurs habilités (soit ceux recommandés soit d’autres, au choix de l’entreprise) : autrement dit, des garanties d’assurance ou couvertures de risques d’assurance tels que le décès, l’incapacité de travail, l’invalidité, la maladie, ainsi que les avantages liés à la fin de carrière ou la retraite (avantages négociés moins fréquemment au niveau d’une branche), venant en principe en complément de celles issues de l’organisation de la sécurité sociale. Ces garanties forment pour les salariés avec les autres dispositions que comporte l’accord (les cotisations, les bénéficiaires,…), un dispositif social collectif.
La caractéristique supplémentaire du dispositif visé par l’ordonnance est de présenter un degré élevé de solidarité, c’est-à-dire qu’il doit, depuis la réécriture de l’article L. 912-1 CSS, proposer notamment des prestations non directement contributives, des actions de prévention, des mesures d’action sociale (qui elles ne sont pas gérées nécessairement par des organismes assureurs).
« Notamment » venons-nous d’écrire… alors que nous pourrions écrire « en outre ».
Par conséquent, les garanties mentionnées à l’article L. 912-1 CSS comprennent les garanties de prévoyance (principalement) complémentaire et les prestations non directement contributives et non pas seulement ces dernières.
Limiter le champ d’application visé par l’article L. 2253-1 CT aux seules prestations non directement contributives reviendrait pour les entreprises à ouvrir sûrement un nombre bien plus infini de possibilités :
C’est ici que l’on pourrait s’interroger sur la réelle volonté des rédacteurs ! Si une telle interprétation était retenue, ne viderait-elle pas totalement de sens la négociation de branche en matière de protection sociale complémentaire ?
De même, limiter le champ d’application de l’article L. 2253-1 CT aux seules garanties collectives complémentaires (correspondant à des couvertures de risques d’assurance susvisés) serait méconnaître les évolutions apportées depuis 2013 à l’article L. 912-1 CSS et l’introduction de ces prestations non directement contributives.
Enfin, et à l’inverse, considérer que le champ d’application du 6ème alinéa de l’article L. 2253-1 CT correspondrait à toutes les garanties collectives instituées par convention de branche, qu’elles présentent ou non un degré élevé de solidarité serait l’élargir et sanctuariser outre mesure le domaine de la protection sociale de branche. Un tel élargissement serait en outre une méconnaissance du texte qui renvoie expressément à l’article L. 912-1 CSS.
Se pose ensuite la question de ce qu’il convient d’entendre par « garanties au moins équivalentes ». A quelle démonstration l’entreprise va devoir procéder par rapport à la convention de branche - et ce, qu'elle dispose déjà de garanties collectives lors de l'entrée en vigueur de l'accord de branche ou qu'elle envisage d'instituer de telles garanties postérieurement ?Ce sujet ressemble aux débats qui ont déjà existé sur les garanties au moins aussi favorables (lorsque les dispositions prévues par la branche étaient le socle minimal à respecter) ou encore sur les garanties identiques ou non à maintenir dans le cadre de l’article 4 de la loi Evin (couverture des anciens salariés en complémentaire santé).
Si pour l’instant, il est difficile d’apporter des éléments de réponse précis sur le caractère équivalent ou non des garanties (égal ? supérieur ? tout sera une question de mesure), il convient de noter que le sens du mot « garanties » dans le dernier alinéa de l’article L. 2253-1 CT n’est pas nécessairement le même que celui des « garanties collectives complémentaires » visé au 6ème alinéa de cet article. Il est fort à parier que les « garanties » offertes aux salariés par les conventions de branche ou d’entreprise ne se limiteront pas à une comparaison (déjà complexe) du contenu de contrats d’assurance.
En effet, les dispositifs de protection sociale complémentaire peuvent garantir les salariés comme leurs familles, couvrir différents risques, prévoir différentes prestations, divers niveaux et formes de prestations, mais aussi prévoir des financements spécifiques, des dispenses d’affiliation etc : les comparaisons vont alors être difficiles et déterminer les garanties équivalentes également.
> La convention de branche prévoit des garanties ne présentant pas un haut degré de solidaritéDans ce cas, la branche a choisi de mettre en place un dispositif collectif en protection sociale complémentaire, sur le fondement du « simple » article L. 911-1 CSS (qui indique tous les modes de mise en place d’un régime de protection sociale complémentaire : loi, décret, convention de branche, accord collectif d’entreprise, référendum ou décision unilatérale écrite de l’employeur) ne comportant aucune prestation non directement contributive.
Si les garanties collectives présentant un haut degré de solidarité entrent dans le champ de l’article L. 2253-1 CT, tel n’est pas le cas de celles qui ne présentent pas ces caractéristiques.
S’appliquera alors la hiérarchie des normes dans le sens de l’autre article modifié par l’ordonnance Macron, à savoir l’article L.2253-3 CT.
D’où l’importance du premier débat évoqué ci-dessus car selon l’interprétation que l’on adopte, le champ de la prévalence de la convention de branche est sensiblement différent.
L’entreprise aura, dans cette seconde hypothèse, toute liberté (sous réserve du bon respect des dispositions légales et d’ordre public), pour négocier, par voie de convention, d’autres dispositions que celles de la convention de branche voire même des garanties moins-disantes (étant ici exemptée de toute obligation liée au caractère au moins équivalent de garanties).
Ce renversement a priori de paramètres risque bien d’être le bouleversement majeur de cette nouvelle hiérarchie des normes dans le domaine de la protection sociale complémentaire.
Notons enfin que le principe de prévalence des conventions d’entreprise dans le cadre de l’article L.2253-3 CT va pouvoir être mis en œuvre dès le 1er janvier 2018 puisque les clauses des accords de branche, quelle que soit leur date de conclusion, cessent de produire leurs effets vis-à-vis des accords d’entreprise à cette date.
2. A défaut d’utiliser une convention d’entreprise au sens des ordonnances Macron, est-il possible pour l’entreprise de disposer différemment de la convention de branche ?
Ainsi que les lecteurs auront pu le constater, l’ordonnance Macron ne vise que l’articulation entre convention de branche et convention d’entreprise.
L’ordonnance Macron a souhaité développer la négociation collective en créant des outils juridiques supplémentaires donnant accès aux entreprises (quelle que soit leur taille) à la négociation d’accords valant conventions d’entreprise.
Mais a-t-elle envisagé pour autant de supprimer les autres modes ?
Or dans le domaine de la protection sociale complémentaire, l’article L. 911-1 CSS évoqué précédemment permet d’instituer un dispositif de protection sociale de diverses manières. Pour rappel ce dernier dispose que « les garanties collectives dont bénéficient les salariés, anciens salariés et ayants droit en complément de celles qui résultent de l'organisation de la sécurité sociale sont déterminées soit par voie de conventions ou d'accords collectifs, soit à la suite de la ratification à la majorité des intéressés d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise, soit par une décision unilatérale du chef d'entreprise constatée dans un écrit remis par celui-ci à chaque intéressé ».
Sous réserve du bon respect de la hiérarchie des normes, l’entreprise a toujours eu un certain choix quant au mode opératoire.
Même si la convention d’entreprise semble être plus dans l’air du temps, ce phénomène va-t-il entraîner la suppression des autres actes et en particulier la décision unilatérale écrite de l’employeur (DUE)?
Une telle assertion nous semble exagérée. En revanche, faire des prévisions sur la décroissance en pratique de la DUE ou une utilisation plus ciblée de celle-ci semble plus réaliste.
En effet, les conventions de branche peuvent être plus ou moins complètes et contraignantes en protection sociale complémentaire. Ainsi, si certains accords imposent un niveau de garantie, une répartition de cotisation voire également le respect d’un taux de cotisation minimal, d’autres sont plus lacunaires et imposent aux entreprises de la branche uniquement quelques-uns de ces éléments.
La convention de branche ne fixant pas tous les éléments qui permettent la mise en œuvre effective du régime dans l’entreprise, l’employeur doit alors veiller à définir les règles qu’il applique dans un acte juridique qui marque son engagement complet vis-à-vis des salariés et qui est nécessaire sous peine de voir l’Urssaf le lui reprocher lors d’un contrôle. La DUE est alors un moyen pour l’entreprise de formaliser son engagement tout comme l’est la convention d’entreprise ou l’accord référendaire.
La DUE n’est pas en concurrence avec la convention de branche mais vient alors en relais ou la compléter ou s’y ajouter. Il n’est pas question que la DUE se substitue à la convention de branche, ni même de mettre en œuvre des garanties équivalentes par DUE mais bien de prévoir par voie de DUE ce qui n’a pas été mentionné dans la convention de branche.
En ce sens, une DUE ne pourra pas s’inscrire dans l’articulation nouvelle des normes en droit social issue des ordonnances Macron.
Les entreprises ne pourront finalement utiliser une DUE que si :
Toutes ces interrogations ne sont pas neutres dans un domaine qui depuis 2013 a beaucoup agité les branches, les entreprises, les assureurs et les conseils. Domaine qui ressemble encore aujourd’hui à une guerre des tranchées où chacun campe sur ses positions et où les décisions prises dans les très nombreux contentieux générés par ces sujets ont également contribué à brouiller les repères et éviter de définir des lignes claires.
Il conviendra par conséquent d’être très attentifs aux diverses initiatives qu’elles pourraient générer de part et d’autre.