Article | 24/12/15 | 5 min. |
L’Assemblée Nationale a définitivement voté le 17 décembre 2015 le projet de loi de modernisation de notre système de santé, en dépit de la forte opposition du Sénat sur certaines de ses dispositions phares.
L’opposition a déjà annoncé qu’elle saisira le Conseil constitutionnel, qui devra rendre sa décision dans un délai d’un mois. L’article 45 du texte prévoit l’introduction d’une action de groupe en matière de produits de santé, dont la mise en œuvre risque d’impacter profondément la situation des acteurs du secteur de la santé. Les principales caractéristiques de l’action de groupe « Santé » sont détaillées ci-après, étant précisé qu’un décret d’application doit encore être publié.
Un monopole confié aux associations d’usagers du système de santé agréées
La procédure d’action de groupe est ouverte aux seules associations d’usagers agréées (sans aucune exigence de représentativité au niveau national). Il existe à ce jour 141 associations d’usagers agréées au niveau national et 345 au niveau régional. 486 associations d’usagers auront donc qualité pour introduire des actions de groupe dans le domaine de la santé, contre seulement 15 associations de consommateurs dans la procédure créée par la Loi Hamon. Le risque d’une instrumentalisation de la procédure est donc accru, d’autant plus que les litiges touchant à la santé publique sont particulièrement sensibles et que leur couverture médiatique est déjà importante.
Un champ d’application large
La procédure d’action de groupe concerne les produits de santé visés à l’article L. 5311-1 du Code de la santé publique, à savoir notamment les médicaments, les dispositifs médicaux, les produits sanguins, mais également les produits cosmétiques et les lentilles de contact, etc.
Phase 1 : un jugement unique sur la responsabilité, la définition du groupe et les mesures de publicité
L’objet de l’action de groupe est la réparation des préjudices individuels résultant de dommages corporels subis par des usagers du système de santé placés dans une « situation similaire ou identique » et ayant pour cause commune les manquements d’un producteur ou d’un fournisseur d’un produit de santé ou ceux d’un prestataire lors de l’utilisation d’un produit de santé.
La procédure d’action de groupe permettra de rechercher la responsabilité de ces professionnels sur le fondement des régimes de responsabilité existant déjà. La responsabilité des producteurs (laboratoires pharmaceutiques, fabricants de dispositifs médicaux) pourra notamment être recherchée au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux. Celle des professionnels de santé pourrait quant-à-elle être notamment engagée pour une faute commise dans l’utilisation d’un produit de santé, notamment en cas d’utilisation d’un dispositif médical sans respecter les conditions d’emploi.
L’action de groupe pourra être introduite devant les juridictions judiciaires ou administratives en fonction du professionnel qui sera assigné (hôpital public ou privé, laboratoire pharmaceutique, etc.).
L’action de groupe devra se fonder sur des « cas individuels » supposément représentatifs du groupe de victimes alléguées. Aucun nombre minimum n’étant requis, une action de groupe pourrait donc être introduite en ne décrivant dans le corps de l’assignation que la situation de quelques personnes physiques (comme cela a été constaté pour les actions de groupe introduites en matière de consommation).
L’ensemble des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant de dommages corporels pourront être réparés (Ex : dépenses de santé, perte de salaire, souffrance endurée, etc.). A cette fin, la nomination par le Tribunal d’un expert chargé de déterminer l’imputabilité des dommages allégués au prétendu défaut du produit de santé sera fréquente (en particulier lorsque des médicaments seront concernés). La première phase de l’action de groupe s’en trouvera allongée d’autant et pourrait donc durer plusieurs années avant qu’un jugement sur la responsabilité soit rendu.
Si elle retient la responsabilité du professionnel, la juridiction (judiciaire ou administrative) identifiera dans le même jugement les critères de rattachement au groupe et les modalités de publicité. Après l’épuisement des voies de recours (appel et cassation), les mesures de publicité seront mises en œuvre (le cas échéant, des publicités à la télévision) et commencera alors la phase d’indemnisation.
Phase 2 : indemnisation par le professionnel ou, à défaut, actions en justice individuelles
Une fois informés du jugement, les usagers concernés pourront choisir d’adhérer au groupe (système d’opt-in tardif). Le délai pour adhérer au groupe sera fixé par le juge ; il ne pourra cependant pas être inférieur à 6 mois ni supérieur à 5 ans. La justification avancée pour ce délai de 5 ans est la prise en compte du délai d’apparition de certains dommages corporels.
La deuxième phase de l’action de groupe « Santé » se distingue de celle instaurée par la loi Hamon dans la mesure où les usagers qui, après avoir rejoint le groupe, sont confrontés au refus du professionnel de les indemniser devront introduire une action en justice individuelle devant le juge ayant statué sur la responsabilité du professionnel. Il pourra donc s’écouler encore plusieurs années avant qu’une décision soit rendue dans ces litiges individuels.
Au vu de la longueur d’une procédure d’action de groupe, la question de l’effectivité d’une telle procédure peut se poser, sauf à considérer que son objectif réel est davantage de faire pression sur le professionnel pour qu’il décide de transiger en raison notamment du risque d’une exposition médiatique prolongée.
Les actions de groupe pourront porter sur des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi
Le texte définitivement voté permet l’introduction d’actions de groupe portant sur des produits de santé qui ne seraient plus sur le marché et/ou pour des manquements ayant cessé à la date d’entrée en vigueur de la loi (sous réserve des règles de prescription). Cette caractéristique de l’action de groupe « Santé » est source d’une grande insécurité juridique pour les professionnels concernés. Il apparaît donc essentiel que ces professionnels s’y préparent en réalisant notamment une « cartographie » des risques liés à leur activité.
Les problématiques assurantielles seront particulièrement présentes dans ces actions de groupe
Le texte prévoit que les actions de groupe pourront être exercées directement contre l’assureur garantissant la responsabilité du professionnel concerné. Il est donc probable que l’assureur sera assigné dès le début de la procédure d’action de groupe. Les spécificités de cette procédure (notamment le préjudice d’image qu’elle génère et l’identification tardive des victimes) aboutiront à apprécier sous un angle différent le rôle respectif des assureurs et de leurs assurés, notamment s’agissant des problématiques de la direction du procès et du plafond de garantie.