Article Private Equity Gestion patrimoniale Droit fiscal | 02/08/19 | 20 min. | Xavier Rohmer Emilie Lecomte
L’amélioration des relations entre les contribuables et l’administration fiscale est un objectif affiché de longue date et de manière récurrente par l’administration fiscale qui a donné lieu récemment, à l’adoption le 10 août 2018[1] de la loi « pour un Etat au service d’une société de confiance » (loi dite « ESSOC »), entrée en vigueur le 12 août 2018. La volonté du Gouvernement de définir un nouveau cadre régissant les relations entre l’administration fiscale et les contribuables, a été par ailleurs confirmée à l’occasion du colloque intitulé «Pour une nouvelle relation de confiance entre les entreprises et l'administration fiscale » organisé en mars 2019.
Les différents textes introduits récemment, tendent ainsi à inciter davantage le contribuable dans le contrôle en amont de sa situation fiscale, avant tout contrôle de l’administration fiscale, à collaborer avec l’administration via un assouplissement des sanctions (majorations et intérêts de retard). Ce rôle actif du contribuable, encouragé par le législateur, est rendu possible par le développement significatif des moyens préventifs à la disposition du contribuable.
La portée de ces textes pour les contribuables sur leurs relations avec l’administration fiscale, devra être appréciée avec le temps étant précisé que les effets positifs concrets de ces nouvelles mesures sur les contribuables doivent être contrebalancés par un constat d’une application quasi-systématique des pénalités de 40% pour manquement délibéré ou encore par le caractère disproportionné de certaines amendes au regard du manquement sanctionné, et ce dans un contexte général de renforcement des moyens de contrôle et de sanctions de l’administration fiscale.
1/ AMELIORATION DES RELATIONS HORS CONTROLE FISCAL
Aperçu général des principales dispositions
Mesures de tolérance portant réduction des pénalités et intérêts de retard
- Le droit à l’erreur : fin des sanctions dès la première erreur dans les déclarations fiscales
La première mesure-phare de la loi ESSOC introduit dans le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) un droit de régulariser en cas d’erreur, présenté par le Ministère de l’Economie comme étant « la possibilité pour chaque Français de se tromper dans ses déclarations à l’administration sans risquer une sanction dès le premier manquement. Chacun doit pouvoir rectifier – spontanément ou au cours d’un contrôle – lorsque son erreur est commise de bonne foi »[2], le Ministère de préciser qu’il ne s’agit pas toutefois, d’«une licence à l’erreur ». En effet, la limite de ce droit à l’erreur est qu’il ne comprend pas la possibilité de régulariser un défaut ou un retard de déclaration au-delà des délais légaux, un simple retard d’une journée restant assorti des pénalités classiques. De même, l’omission de produire un justificatif ou une annexe avec la déclaration initiale peut encore entraîner la mise en œuvre d’amendes importantes dans certains cas. La création de ce nouveau « droit à l’erreur » peut donc sembler antinomique avec le maintien de certaines amendes ou pénalités, parfois d’un montant très élevé.
- Réduction des intérêts de retard en cas de régularisation des erreurs sur les déclarations
La loi ESSOC[3] introduit une réduction de 50 % des intérêts de retard lorsque le contribuable rectifie spontanément les erreurs, insuffisances ou omissions commises de bonne foi dans les déclarations souscrites dans les délais prescrits. Cette réduction ne s’applique (i) qu’à la condition qu’une déclaration rectificative accompagnée du paiement des droits simples (hors intérêts de retard) soit déposée spontanément par le contribuable de bonne foi (la bonne foi est présumée sauf preuve contraire apportée par l’administration fiscale) et (ii) que la déclaration initiale ait été déposée dans les délais légaux. Cette disposition s’applique aux déclarations rectificatives déposées depuis le 11 août 2018.
- Suppression des amendes fiscales en cas de régularisation du dépôt de certaines déclarations
La loi ESSOC[4] a également introduit une mesure de tolérance portant suppression des amendes en cas de défaut de dépôt de deux sortes de déclarations :
- l’amende de 50 %[5] en cas de défaut de déclaration des commissions, courtages et honoraires au titre des trois années précédentes, ne sera pas appliquée, y compris au cours d’un contrôle fiscal si (i) l’entreprise présente une demande de régularisation pour la première fois et (ii) le contribuable justifie que le bénéficiaire des rémunérations a lui-même déclaré dans les délais légaux les rémunérations perçues[6] ;
- l’amende de 5%[7] encourue du fait du défaut de production ou du caractère inexact ou incomplet de certains documents tels que le tableau des provisions, les relevés des frais généraux, l’état et le registre des plus-values en sursis d’imposition ne sera pas appliquée (i) s’il s’agit de la première infraction commise au cours de l’année civile et des trois années précédentes et (ii) lorsque les intéressés ont réparé leur omission spontanément ou à la première demande de l’administration avant la fin de l’année qui suit celle au cours de laquelle le document devait être présenté[8]. En pratique, cette disposition s’applique aux déclarations déposées depuis le 11 août 2018 et est susceptible de s’appliquer aux documents qui auraient dû être transmis en 2018, la régularisation étant possible jusqu’au 31 décembre 2019.
Renforcement du partenariat entre le contribuable avec l’administration fiscale
- Le service de mise en conformité fiscale des entreprises (SMEC)
En parallèle avec la loi ESSOC, la circulaire du 28 janvier 2019[9] du Ministre de l’Action et des Comptes publics a prévu la création du SMEC[10] rattaché à la Direction des grandes entreprises (DGE), permettant aux entreprises et à leurs dirigeants de régulariser spontanément (hors situation de contrôle fiscal en cours, réception d’un avis de vérification ou de procédure d’enquête administrative ou judiciaire) leur situation en contrepartie d’une atténuation des intérêts de retard mais aussi des majorations.
La compétence de ce service est limitée aux situations suivantes :
- anomalies fiscales découvertes avant ou après la reprise d’une entreprise ;
- certaines situations en matière de fiscalité internationale (activité en France non déclarée constitutive d’un établissement stable, déduction de charges d’intérêts d’un prêt consenti par une société étrangère en méconnaissance des règles prévues par l’article 212 du CGI, montages illicites ou abusifs) ;
- fiscalité des dirigeants (régime fiscal des impatriés, non-respect des conditions du pacte « Dutreil-Transmission », non assujettissement à tort d’une plus-value de cession de titres, montages publiés sur le site économie.gouv.fr) ;
- infractions passibles des majorations de 80% (toute opération susceptible de relever des sanctions prévues en cas d’activité occulte ou d’abus de droit ou de manœuvres frauduleuses).
Afin de prendre en compte le caractère spontané de la demande, cette procédure de régularisation pourra donner lieu à une réduction (significative) des pénalités et intérêts de retard de la façon suivante :
Taux de droit commun |
Taux en cas de mise en conformité |
Intérêts de retard |
80 % (manœuvres frauduleuses ou abus de droit) |
30 % |
Réduits de 40 % |
40 % (manquement délibéré) |
15 % |
Réduits de 40 % |
10 % (défaut ou retard de déclaration) |
0 |
Réduits de 50 % |
Ces dispositions sont applicables depuis le 27 mai 2019.
- Le partenariat fiscal avec les grands groupes et les ETI et l’accompagnement fiscal personnalisé des PME : « une révolution de la contemporanéité »
Annoncés par Gérald DARMANIN dans le cadre de la présentation de la nouvelle relation de confiance le 14 mars dernier, ce nouvel accompagnement des entreprises, inspiré des Pays-Bas et du Royaume-Uni, a pour objectif de rationaliser les ressources (très importantes en pratique) mobilisées par l’administration dans le cadre des contrôles fiscaux et d’apporter aux entreprises une « aide au diagnostic, conseils et prises de position opposables »[11]de manière contemporaine aux problématiques auxquelles elles sont confrontées.
L’objectif commun de ces deux dispositifs, est d’examiner en collaboration avec un interlocuteur déterminé au sein de l’administration fiscale, le traitement fiscal de certaines opérations ponctuelles à risque en vue de l’obtention d’un rescrit opposable à l’administration.
Fin juin, un communiqué de presse[12] de Gérald DARMANIN annonçait que 21 partenariats fiscaux avaient été conclus avec des grands groupes et ETI couvrant près de 2000 entreprises et que 550 PME avaient été « approchées » pour bénéficier d’un accompagnement fiscal. Cependant, à ce stade, si l’objectif de ce dispositif est attrayant, reste à savoir comment il s’articulera en pratique avec le principe de non-immixtion de l’administration dans les décisions de gestion.
2/ AMELIORATION DES RELATIONS PENDANT LE CONTROLE FISCAL
- Elargissement du champ d’application de la régularisation spontanée pendant contrôle
Avant l’entrée en vigueur de la loi ESSOC, la possibilité de régularisation spontanée prévue par l’article L62 du Livre des procédures fiscales (LPF) n’était applicable qu’en cas de vérification de comptabilité ou d’examen de comptabilité. Cette procédure, peu connue mais efficace, permet de mettre fin rapidement à un contrôle fiscal tout en régularisant d’éventuelles erreurs commises de bonne foi. La loi ESSOC a étendu cette procédure aux contrôles sur pièces et examens contradictoires de situation fiscale personnelle (ESFP). Ainsi, en pratique, un contribuable personne physique peut désormais obtenir une réduction des intérêts de retard de 30% s’il régularise sa situation pendant son contrôle fiscal, à condition que sa bonne foi ne soit pas remise en cause par l’administration fiscale et qu’une déclaration complémentaire soit déposée dans les 30 jours de la demande de régularisation spontanée avec le paiement des rappels d’imposition.
Le délai pour effectuer la demande de régularisation dépend du type de contrôle, la demande devant être effectuée dès que possible auprès du service vérificateur[13].
Cette disposition est applicable en cas de vérification de comptabilité et d’ESFP dont les avis ont été adressés depuis le 11 août 2018. Quant aux contrôles sur pièces, cette disposition est applicable aux demandes envoyées et aux propositions de rectification adressées depuis cette même date.
- Amélioration de la sécurité juridique : le « droit au contrôle » et de pouvoir se prévaloir des conclusions de l’administration
L’attractivité fiscale du territoire français pour les investisseurs étrangers ainsi que, partant, la compétitivité des multinationales françaises au plan international, dépendent en grande partie de la sécurité juridique conférée (ou non) à celles-ci sur le plan fiscal. Or, ce point, essentiel voire souvent déterminant dans le cadre d’un arbitrage pour la localisation d’investissements étrangers en France, par exemple, est opposé de manière récurrente à la France.
Plusieurs demandes de rescrits fiscaux, généraux ou spécifiques, existent depuis longtemps en droit fiscal français et sont connus et souvent appréciés des contribuables malgré les délais d’instruction souvent longs et le degré d’information élevé devant être fourni à l’administration[14].
Face à ce constat, la loi ESSOC a renforcé encore la sécurité fiscale des entreprises en introduisant deux nouveaux dispositifs :
- Création d’un « droit au contrôle » et opposabilité des conclusions[15]
La loi ESSOC a introduit[16] dans le Code des relations entre le public et l’administration, un droit au contrôle pour les particuliers et les entreprises et à l’opposabilité du contrôle[17], nouvelle possibilité désormais d’obtenir la validation par l’administration du traitement fiscal mis en œuvre. Ainsi, un particulier peut demander à cette fin un contrôle sur pièces ou un ESFP, une entreprise pouvant demander un contrôle sur pièces, une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité.
A nouveau, plusieurs conditions cumulatives doivent être remplies pour bénéficier de cette possibilité : (i) la bonne foi, (ii) le caractère non abusif de la demande et (iii) le fait que la demande ne doit pas avoir manifestement pour effet de compromettre le bon déroulement des opérations de contrôle.
La loi prévoit que la demande de contrôle devra être traitée dans un délai raisonnable, sans autre précision, de sorte que l’efficacité réelle de ce nouveau dispositif sera conditionnée notamment, en pratique, par la durée d’instruction par les services fiscaux.
Toute personne contrôlée peut opposer les conclusions expresses du contrôle à l’administration, sous réserve des deux exceptions suivantes :
i) changement de circonstances de droit ou de fait postérieur, de nature à affecter leur validité ;
ii) l’administration procède à un nouveau contrôle donnant lieu à de nouvelles conclusions expresses.
L’opposabilité des conclusions du contrôle, est applicable aux contrôles initiés depuis le 11 août 2018.
- Opposabilité lors de contrôles ultérieurs des points de contrôle indiqués dans la proposition de rectification[18]
Nouvelle mesure protectrice des contribuables : désormais, tous les points contrôlés par l’administration devront être indiqués au contribuable sur la proposition de rectification ou sur l’avis d’absence de rectification et pourront être opposés à l’administration même s’ils n’ont pas donné lieu à un rehaussement d’imposition. Sont dès lors opposables, les points de contrôle sur lesquels d’administration a pris position, mais aussi les points de contrôle qui ne font, tacitement, pas l’objet d’une rectification. Cette disposition est applicable aux contrôles dont les avis sont adressés depuis le 1er janvier 2019.
Conclusion : Ces nouvelles dispositions sont en principe de nature à renforcer ou restaurer la confiance des contribuables dans l’administration fiscale afin qu’ils puissent considérer cette dernière comme un partenaire quotidien apte à les accompagner dans l’amélioration de leur gestion fiscale. Nous sommes toutefois encore loin de l’approche anglo-saxonne.
Toutefois ces mesures de tolérance et d’assouplissement des sanctions sont de nature à légitimer auprès des contribuables le maintien de certaines amendes fiscales forfaitaires élevées ayant un caractère quasi pénal et légitimer le durcissement des sanctions prévues en matière de fraude fiscale dans un contexte où l’administration fiscale a perdu son monopole de porter des dossiers devant le Parquet (fin du verrou de Bercy).
Enfin, la recherche plus fréquente d’un règlement d’ensemble avec les contribuables évitant ainsi de porter les litiges devant le juge de l’impôt permet de sécuriser les rentrées de fonds à bref délai pour le Trésor Public, a fortiori dans le cadre de contentieux longs et complexes (notamment en matière d’établissement stable – CA Paris 25 avril 2019 « Google Ireland Ltd »).
[1] LOI n° 2018-727 du 10 août 2018
[2] https://www.economie.gouv.fr/droit-erreur
[3] Article 5
[4] Articles 7 et 8
[5] Article 1736 du CGI
[6] Article 7 de la loi ESSOC
[7] Article 1763 du CGI
[8] Articles 14 et 16 de la loi ESSOC
[9] Circulaire du Ministre de l’Action et des Comptes Publics, 28 janvier 2019, MEFI-D19-00468
[10] L’arrêté CPAE1912312A du 24 mai 2019 et le décret 2019-518 du 24 mai 2019 (JO 26) étendent la mission de la DGE et les compétences de son comptable à l’assiette et au recouvrement de l’ensemble des impositions résultant des déclarations de mise en conformité fiscale déposées par les entreprises et leur dirigeant.
[11] Discours de Gérald DARMANIN, Ministre de l’Action et des Comptes publics – Présentation de la nouvelle relation de confiance – Bercy – 14 mars 2019
[12] Communiqué de presse du 27 juin 2019, n°733 – Gérald DARMANIN - Ministre de l’Action et des Comptes publics
[13] contrôle sur pièces : délai de 30 jours à compter de la réception d'une demande de renseignements, de justifications ou d'éclaircissements ou d'une proposition de rectification en matière d’IR, d’IS ou d’IFI ; vérification de comptabilité ou ESFP : avant toute proposition de rectification ; examen de comptabilité : délai de 30 jours à compter de la réception de la proposition de rectification.
[14] Le rescrit général prévu par l’article L 80 A du Livre des procédures fiscales (« LPF ») aux fins d’obtenir l’interprétation d’une disposition fiscale opposable en cas de contrôle (374 ont été octroyés par l’administration fiscale en 2016); le rescrit prévu par l’article L 80 B du LPF permettant d’obtenir une prise de position formelle de l’administration sur l’application de certaines règles de droit (tous les impôts étant concernés) à une situation de fait (17 917 rescrits en 2016) ; les rescrits fiscaux plus spécifiques, relatifs à la sécurisation de la situation de « résidence fiscale », à l’éligibilité au crédit d’impôt recherche (CIR – 342 octroyés en 2016), le rescrit « abus de droit » prévu par l’article L 64 B du CGI, le rescrit « mécénat » aux fins de s’assurer de l’éligibilité d’une structure au régime fiscal de faveur français (5 750 rescrits en 2016) ; le rescrit « établissement stable » prévu par l’article L 80 B du LPF, disponible pour les sociétés établies dans des états ayant conclu une convention fiscale avec la France aux fins de se voir confirmer l’absence d’établissement stable en France (15 rescrits octroyés en 2016), le rescrit relatif aux réorganisations internationales ou encore les accords préalables en matière de prix en matière de prix de transfert.
[15] Article 2 de la loi ESSOC
[16] Article 2 de la loi ESSOC
[18] Article 9,I,2° de la loi ESSOC