Article | 03/04/20 | 7 min. | Marie Danis
Les mesures de confinement et de distanciation sociale imposées par le gouvernement en vue de lutter contre la propagation du covid-19 ne sont pas sans effet sur le système judiciaire français. Le 15 mars 2020, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, avait annoncé la fermeture de tous les tribunaux, reportant ainsi la tenue des audiences programmées, à l’exception des « contentieux essentiels ».
L’état d’urgence sanitaire déclaré pour une période de deux mois par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 permet au gouvernement de fixer les mesures d’adaptation par voie d’ordonnance. A ce jour, vingt-neuf ordonnances ont déjà été publiées, dont l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures (ci-après l’Ordonnance).
En substance, l’Ordonnance prévoit de nouveaux délais applicables à la procédure civile dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ; une ordonnance spécifique (n°2020-303 du 25 mars 2020) existant en matière de délais applicables à la procédure pénale.
L’Ordonnance instaure une période de protection juridique (i) et prévoit à la fois, la prorogation des délais de prescription et de forclusion de certains actes (ii), ainsi qu’un moratoire applicable à certaines clauses contractuelles (iii). Sa lecture est facilitée par une circulaire du 26 mars 2020 du Ministère de la Justice (ci-après la Circulaire).
INSTAURATION D’UNE PERIODE DE PROTECTION JURIDIQUE
Seuls les délais devant arriver à échéance « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » bénéficient de la prorogation (article 1 de l’Ordonnance).
Pour rappel, l’état d’urgence sanitaire est déclaré « pour une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi » (article 4 de la loi n°2020-290). Cette loi étant d’application immédiate, la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire est fixée au 24 mai 2020, sous réserve d’éventuelles prolongations légales ou d’une cessation prématurée prononcée par décret.
En bref, la période de protection juridique serait comprise entre le 12 mars et le 24 juin 2020 (date de cessation de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois) (ci-après la Période de Protection).
Sont exclus les délais dont le terme est échu en dehors de la Période de Protection, c’est-à-dire soit avant le 12 mars 2020, soit au-delà du mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
PROROGATION DES DELAIS DE PROCEDURE
Le champ d’application matériel est très large. La prorogation des délais concerne tous les actes, recours, actions en justice, formalités, déclarations, notifications ou publications « prescrits par la loi ou le règlement » (article 2 de l’Ordonnance) excluant ainsi les actes affectés par des délais fixés contractuellement.
Attention toutefois, les actes devront être effectués à l’issue de cette période dans « le délai légalement imparti pour agir » mais « dans la limite de deux mois ».
L’ordonnance a-t-elle un effet suspensif ou interruptif ? Pour rappel, la suspension arrête le cours du délai de prescription ou de forclusion de manière temporaire, sans toutefois anéantir le délai déjà couru avant la suspension. Au contraire, l’interruption du délai fait repartir le point de départ d’un nouveau délai.
La Circulaire semble apporter des éléments de réponse en faveur d’une interruption des délais, sans toutefois se référer explicitement à cette notion :
« L’ordonnance ne prévoit ni une suspension générale ni une interruption générale des délais arrivés à terme pendant la période juridiquement protégée définie à l’article 1er, ni une suppression de l’obligation de réaliser tous les actes ou formalités dont le terme échoit dans la période visée. (…) »
La même circulaire précise que : « le délai légalement imparti pour agir court de nouveau à compter de la fin de cette période, dans la limite de deux mois ».
Ainsi, l’on comprend qu’il y a une interruption des délais en cours, créant un nouveau délai commençant à courir à la fin de la Période de Protection, ce que semble confirmer la Circulaire.
Dès lors, tout délai prorogé selon les dispositions de l’Ordonnance et commençant à courir à compter du 24 juin 2020, devrait prendre fin au plus tard le 24 août 2020.
Par ailleurs, les mesures administratives ou juridictionnelles suivantes bénéficient ainsi d’une prorogation de plein droit (article 3 de l’Ordonnance) :
« 1° Mesures conservatoires, d'enquête, d'instruction, de conciliation ou de médiation ;
2° Mesures d'interdiction ou de suspension qui n'ont pas été prononcées à titre de sanction ;
3° Autorisations, permis et agréments ;
4° Mesures d'aide, d'accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ;
5° Les mesures d'aide à la gestion du budget familial. »
MORATOIRE APPLICABLE AUX ASTREINTES ET A CERTAINES CLAUSES CONTRACTUELLES
L’Ordonnance vise également à tenir compte des difficultés d’exécution résultant de l’état d’urgence sanitaire en paralysant les astreintes prononcées par les juridictions ou les autorités administratives ainsi que les clauses contractuelles ayant pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé (clauses pénales, résolutoires et de déchéance) (ci-après les Clauses Contractuelles) (article 4 de l’Ordonnance).
Ainsi, les astreintes et les Clauses Contractuelles sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la Période Protégée. Elles prendront effet un mois après cette période, si le débiteur n’a pas exécuté son obligation d’ici là.
Les astreintes et clauses pénales, qui avaient commencé à courir avant le début de la Période Protégée, voient leur cours suspendu pendant cette période ; elles reprendront effet dès le lendemain de la fin de la Période Protégée.
La Circulaire prévoit également que lorsque les astreintes auront pris cours ou les clauses produit leur effet avant le début de la Période Protégée, le juge ou l’autorité administrative pourra y mettre fin s’il est saisi, sans que cela ne soit indiqué dans l’Ordonnance.
L’Ordonnance prévoit également des dispositions sur la résiliation ou dénonciation des conventions (article 5 de l’Ordonnance).
La partie qui n'aurait pas pu résilier un contrat renouvelable par tacite reconduction ou s’opposer à son renouvellement dans le délai imparti en raison de l’épidémie de covid-19, pourra bénéficier d'un délai supplémentaire pour le faire. Le texte prévoit ainsi une prolongation des délais de deux mois après la fin de la Période de Protection (soit jusqu’au 24 aout 2020) pour résilier ou dénoncer une convention lorsque sa résiliation ou l’opposition à son renouvellement devait avoir lieu dans une période ou un délai qui expire durant la Période de Protection.
En accordant ces délais supplémentaires, le gouvernement souhaite assurer une protection renforcée des intérêts des justiciables mais aussi des parties à certaines clauses contractuelles dans le cadre des circonstances exceptionnelles imposées par le covid-19. Il faut toutefois prévoir que des questions risquent encore de se poser quant à l’application des dispositions de l’Ordonnance.