Article Corporate - M&A Immobilier et Construction | 17/04/20 | 12 min. | François Richard
Alors que les dernières annonces du Président de la République ont ciblé le 11 mai prochain comme date possible d’un début de déconfinement progressif, de nombreuses réflexions sont en cours pour discuter le monde d’après, qui pourrait redéfinir le modèle même de notre société.
De manière plus humble et beaucoup moins grandiloquente, il apparaît que de nombreux actionnaires devraient quant à eux réfléchir à redéfinir le modèle organisationnel de leurs propres sociétés et notamment leurs statuts, qui se sont révélés pour certains être largement dépassés par les contraintes imposées par le confinement, plusieurs ayant cependant pu être compensées in extremis par les différentes ordonnances du gouvernement.
En leur qualité de document d’organisation des sociétés, les statuts doivent ainsi prendre en compte les évolutions notamment techniques afin d’offrir un cadre précis et surtout adapté à ses actionnaires. Or, sans doute en raison des difficultés, pourtant mineures, liées à la modification des statuts (assemblée générale extraordinaire avec majorité qualifiée, coût d’intervention d’un avocat pour la rédaction, coût des formalités, etc.), de nombreuses sociétés ne font pas l’effort de revoir leurs statuts régulièrement afin de s’assurer qu’ils sont adaptés aux évolutions naturelles de leur organisation mais aussi aux différentes réformes du droit des sociétés, fréquentes ces dernières années.
Sans vouloir dresser un inventaire à la Prévert, deux axes nous semblent dès lors primordiaux et devraient être considérés par les sociétés pour la revue de leurs statuts à la suite du confinement : (i) « digitaliser » ses statuts et (ii) prendre en compte les dernières actualités du droit des sociétés (réformes, évolutions de la pratique et précédents).
Pour rappel, le législateur a offert la possibilité pour les actionnaires de sociétés avec les formes sociales les plus courantes (SA, SAS, SARL, SCA, SCI, etc.) de recourir à des moyens de visioconférence et/ou de téléconférence pour les assemblées générales[1]. Sauf pour la période actuelle limitée de la crise du Covid-19, cette faculté doit être prévue par les statuts et il revient alors aux sociétés existantes de modifier leurs statuts pour offrir cette possibilité. Ce travail de révision des statuts doit bien évidemment porter également sur les documents qui leur sont liés, comme le règlement intérieur du conseil d’administration.
A défaut d’avoir modifié les statuts en ce sens, de nombreuses sociétés se sont retrouvées, en raison des contraintes imposées par le confinement, sans solutions pour tenir une assemblée générale par téléconférence ou visioconférence à défaut de statuts précisant cette faculté. C’est la raison pour laquelle le gouvernement, par l’ordonnance n°2020-321 du 25 mars 2020[2], a dû prévoir pour toutes les « entités de droit privé avec ou sans personnalité morale » des dérogations le temps du confinement permettant notamment la tenue d’assemblées à « huis clos », c’est-à-dire sans réunion physique. Cette ordonnance a été très récemment complétée par le décret n°2020-418 du 10 avril 2020[3].
Ces dispositions n’étant pas appelées à se maintenir au-delà de la période de pandémie[4], une refonte de certains articles des statuts des sociétés pourrait dès lors être envisagée par de nombreux actionnaires pour éviter tout problème à l’avenir et en profiter pour intégrer des pratiques plus flexibles répondant correctement aux nouvelles pratiques professionnelles. A ce titre, les éléments suivants pourraient être pris en compte :
b. sous réserve des dispositions légales applicables à la forme sociale[6], afin d’éviter les blocages, il peut toujours être utile d’offrir le pouvoir de convocation à plusieurs personnes, soit le ou les mandataires sociales mais également à un associé représentant un certain pourcentage des droits de vote : ceci évite, si le représentant légal ne souhaite pas convoquer une assemblée générale dont la teneur pourrait lui être défavorable, de prévenir la nomination d’un mandataire ad hoc chargé de convoquer une telle assemblée, imposant coûts et délais ;
c. il ne faut pas oublier de préciser que le ou les commissaires aux comptes, s’il en existe, sont informés de l’assemblée ou la réunion dans les mêmes conditions que les associés, afin de rappeler aux dirigeants de convoquer le ou les commissaires aux comptes, tout manquement constituant un délit[7] ; et
d. il convient également de vérifier le délai légal s’il en existe et à défaut, notamment pour les SAS, prévoir un délai raisonnable[8].
a. il conviendrait idéalement de prévoir un nouveau sous-article dans les statuts indiquant les modalités de tenue des réunions par voie de téléconférence téléphonique ou audiovisuelle[9] étant précisé que les moyens de visioconférence ou de télécommunication doivent permettre l’identification des participants, la transmission d’au moins leur voix et satisfaire à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations ;
b. pour rappel, le recours à ces assemblées dématérialisées peut faire l’objet d’une contestation par un ou plusieurs actionnaires minoritaires pour certaines formes sociales[10].
a. Clause d’exclusion : ces clauses sont toujours délicates à négocier entre actionnaires puisqu’elles prévoient le cas où l’un d’entre eux pourrait se voir évincer de la société mais elles se révèlent en pratiquent souvent bien utiles. Or, les praticiens constatent souvent que ces clauses sont parfois dépourvues de tout effet dans la mesure où ces clauses prévoient que l’associé dont l’exclusion est envisagée ne peut prendre part au vote. Or, la Cour de cassation a rappelé qu’à défaut de disposition légale particulière, tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter[11], de sorte que toute clause d’exclusion prévoyant que l’associé dont l’exclusion est envisagée ne pourra prendre part au vote est nulle et ne peut être purgée par la participation dans les faits de l’associé concerné et doit dès lors faire l’objet d’une modification statutaire dans les conditions de majorités prévues par les statuts[12] ;
b. la loi Pacte ayant modifié le régime du recours à un commissaire aux comptes dans les sociétés par actions, certains statuts de SAS reproduisant mot à mot les dispositions antérieures du Code de commerce (et notamment le critère du contrôle par une autre société) ne sont plus à jour. Du fait de la grande liberté statutaire des SAS, si par exemple une SAS sans commissaire aux comptes passe sous le contrôle d’une autre société alors qu’elle est en-dessous des seuils du nouveau régime, des statuts reproduisant le régime antérieur pourrait lui imposer de désigner un commissaire aux comptes alors que la loi ne lui impose plus cette obligation : un simple renvoi aux « dispositions légales applicables » est donc amplement suffisant et préférable pour l’avenir ;
c. afin d’assouplir les prises de décisions par les actionnaires, il est possible de recourir à un acte unanime sous seing privé pour constater des décisions d’associés plutôt que de prévoir une assemblée générale et son organisation plus lourde : cette possibilité doit cependant être prévu dans les statuts et ceci est également vrai pour le vote par correspondance[13] ; et
d. modification du siège social : il est enfin possible de prévoir que le transfert de siège social dans le même département puisse être décidé par le mandataire social plutôt qu’en assemblée générale, ce qui permet également une prise de décision plus rapide et moins coûteuse.
Ainsi les statuts, en définissant l’organisation quotidienne de la société, mais aussi le traitement des situations de crise (conflit avec la direction, conflit entre associé, décisions d’urgences en assemblée générales, etc.), doivent impérativement faire l’objet d’une revue régulière par les associés afin d’y faire refléter l’organisation la plus souple et éviter les blocages pour les crises (délais allongés, blocage dans la convocation ou l’assemblée par un gérant ou un actionnaire, etc.). Beaucoup de tâches attendent les entreprises à l’issue du confinement, et refondre ses anciens statuts peut dès lors s’avérer une démarche efficace pour préparer l’avenir.
[1] A titre d’exemple, l’article Art. L. 225-103-1 du Code de commerce, complété par les articles Art. R. 225-61-1 et s. du même code.
[2] Ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19
[3] Décret n° 2020-418 du 10 avril 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19
[4] L’article 11 de l’ordonnance n°2020-321 précitée est applicable à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 31 juillet 2020, sauf prorogation de ce délai jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 30 novembre 2020.
[5] Il existe certains cas imposant une forme particulière de convocation, comme pour les sociétés cotées, mais la législation récente a ouvert cette possibilité à de nombreuses formes sociales sous réserve d’une modification statutaire et/ou d’un accord des parties (cas pour les SARL et les syndics par exemple). Dans certains cas, notamment en cas de conflit entre associés où il est nécessaire de se ménager certaines preuves, un recours à un envoi postal avec accusé de réception reste préférable.
[6] Pour les SAS, la liberté statutaire est de mise. Pour les SA, la convocation a l’assemblée générale relève des prérogatives du conseil d’administration pour les SA moniste et du directoire pour les SA dualiste, avec faculté pour le conseil de surveillance (art. L 225-103 du Code de commerce). Pour les SARL, le gérant a le pouvoir de convoquer mais les associés peuvent prévoir plusieurs gérants avec chacun un pouvoir de convocation pour éviter le blocage de l’un. Pour les sociétés civiles, il est possible d’aménager les statuts pour que les associés puissent convoquer en cas de carence du gérant, qui dispose du pouvoir de convocation en principe.
[7] Tout entrave comme un défaut de communication est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 75 000 euros (art. L 820-4 du Code de commerce).
[8] En pratique, nous recommandons 8 jours calendaires.
[9] Ces clauses étant standards, de nombreux juristes peuvent proposer une refonte à un coût très limité. En ce qui nous concerne, nous ne manquons jamais dans le cadre d’opération de M&A de « toiletter » des vieux statuts en sus des autres modifications statutaires apportées par l’opération.
[10] Les statuts de SAS peuvent prévoir cette possibilité. Dans les SA dont toutes les actions sont nominatives et dont les statuts prévoient la possibilité de tenir des assemblées générales dématérialisées, un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social peuvent s'opposer à ce mode de consultation pour la tenue des assemblées générales extraordinaires (art. L 225-103-1, al. 2 du Code de commerce).
[11] Cass. com. 23 octobre 2007 n° 06-16.537
[12] Pour rappel, la loi du 19 juillet 2019 a modifié l’article L.227-19-1 afin de prévoir que les clauses d’exclusion dans les SAS [L.227-16] – comme les clauses d’agrément [L.227-14]– peuvent être adoptées ou modifiées selon la majorité prévues par les statuts (et non obligatoirement à l’unanimité).
[13] Comme indiqué en 6 ci-dessus, ces modifications peuvent être intégrées dans le cadre d’une opération nécessitant une refonte des statuts ou par le recours à un juriste pour un prix raisonnable.