Article IT et données personnelles Droit de la propriété intellectuelle, média et art Droit de la concurrence, consommation et distribution Brevets | 14/09/21 | 6 min. | Océane Millon de La Verteville Charles Bouffier
Sous quelles conditions une partie à une action en contrefaçon, qui bénéficie d’une décision de justice favorable à son égard, peut-elle communiquer autour de cette décision ?
Lors d’un précédent flash[1] et d’une étude plus complète sur cette question[2], nous avions commenté un arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 mars 2020 particulièrement clément vis-à-vis d’un titulaire de brevet (la société JCB), qui avait publié un communiqué faisant état d’une décision d’interdiction provisoire prononcée à l’encontre d’un de ses concurrents (la société Manitou). Le communiqué n’était pas dénué d’une certaine virulence[3] et avait été publié à la veille d’un salon international. La cour d’appel avait néanmoins jugé que l'illicéité manifeste du trouble que ce communiqué avait pu causer n'était pas suffisamment caractérisée.
Le 7 juillet 2021, la Cour de cassation a rejeté, dans les termes suivants, le pourvoi formé par la société Manitou à l’encontre de cet arrêt d’appel :
« 5. Ayant, par une appréciation souveraine des éléments de fait qui lui étaient soumis, retenu que le titre et le contenu du communiqué se contentaient, dans des termes dénués de tout caractère excessif, de faire connaître aux internautes l'existence d'une décision de justice rendue au profit de la société JCB quelques jours auparavant et ayant prononcé contre la société Manitou une mesure d'interdiction, l'arrêt relève que ce communiqué rappelle expressément le caractère provisoire de la décision rendue, indique le numéro du brevet concerné ainsi que le système précisément visé par l'interdiction. L'arrêt retient ensuite que la décision étant publique, elle pouvait faire l'objet d'une publicité, quand bien même la mesure d'interdiction comme la décision qui la prononce sont « provisoires ». Il retient encore que le communiqué litigieux est dépourvu de tout caractère trompeur, la mention des voies de recours et du juge qui a rendu la décision n'ayant pas à être précisée dès lors que le caractère provisoire de la décision est indiqué. Il retient enfin que le défaut de référence au rejet des demandes concernant le second brevet est indifférent puisque ce dernier n'est pas évoqué dans le communiqué.
6. En cet état, la cour d'appel, (…) a pu déduire qu'en dépit de la date à laquelle le communiqué avait été publié, quelques jours avant la tenue d'un salon réunissant les professionnels du secteur, qui témoignait d'une stratégie commerciale volontairement offensive de la part de la société JCB, le caractère manifestement illicite du trouble invoqué n'était pas suffisamment établi »[4].
Ce faisant, la Cour de cassation confirme qu’il est possible de communiquer sur une décision rendue alors même :
Dans la lignée d’une jurisprudence particulièrement clémente pour les titulaires de droits[6], cette validation par la Cour de cassation achèvera sans doute d’inciter les titulaires de droits à communiquer dès la première décision favorable obtenue, fût-elle provisoire, voire à tenter d’obtenir le plus rapidement possible une décision tranchant au moins une partie du litige, dans l’unique but de communiquer dessus, quitte à ensuite faire « traîner » le reste de la procédure.
Comme identifié dans nos articles précédents, cela pourrait même conduire des titulaires de droits à utiliser la menace d’une communication autour d’une décision de justice (même provisoire) comme un levier de négociation.
La marge de manœuvre laissé aux titulaires de droits n’est cependant pas sans limite. Comme le relève la Cour de cassation, il reste important notamment, pour échapper à la qualification de trouble manifestement illicite :
[1] https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1431-publicite-autour-dun-jugement-de-contrefacon-vers-une-plus-grande-marge-de-manuvre
[2] T. Lautier et C. Bouffier, « La divulgation d’une action en contrefaçon à l’épreuve du dénigrement » in Propriétés Intellectuelles, juill. 2020, n°76
[3] Nous l’avions reproduit en partie dans notre précédent flash
[4] Cass. Com. 7 juillet 2021, pourvoi 20-16094 disponible sur cette page : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043782055?init=true&page=1&query=20-16.094&searchField=ALL&tab_selection=all
[5] A cet égard, voir également CA Paris, 7 mai 2019, RG n° 17/14854, Estipharm c/ Medi-Vision
[6] Voir notamment : CA Paris, 16 juin 2016, RG n° 15/02014, Mphasis c/ Protegys, (logiciel) ; CA Paris, 7 mai 2019, RG n° 17/14854, Estipharm c/ Medi-Vision, (brevet) ; TJ Paris, 7 févr. 2020, Lekiosque.fr c/ Toutabo (marque).
[7] Cass. com., 18 oct. 2017, pourvoi n° 15-27136, Newmat c/ Normalu, publié au Bulletin.