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Sanctions économiques internationales adoptées en réaction à la situation en Ukraine au 28 février 2022 et possible invocation de la force majeure dans le cadre des contrats en cours d’exécution

Article | 28/02/22 | 14 min. | Olivier Attias Manon Krouti

Le 21 février 2022, le Président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté des deux républiques ukrainiennes séparatistes de la région du Donbass, les républiques de Donetsk et de Louhansk ; et a décidé d’envoyer des forces armées en Ukraine. L’Occident a immédiatement réagi à ces violations manifestes du droit international et de nombreux accords multilatéraux en adoptant une série de sanctions économiques.

D’abord par l’Union européenne qui, par la voix du haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a annoncé dès le 22 février l’adoption à l’unanimité des 27 de deux paquets de sanctions successifs.

Le premier paquet de sanctions visant près de 400 personnes physiques et morales et instituant des mesures restrictives applicables directement aux activités commerciales dans la région du Donbass a été précisé par cinq règlements d’exécution publiés par le Conseil de l’Union européenne le 23 février[1].

Des sanctions supplémentaires venant limiter drastiquement les opérations commerciales entre l’Union européenne et la Russie entière et s’ajoutant à celles adoptées dès 2014 en réaction à l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol, sont entrées en vigueur le 26 février[2].

À ce jour, plus de 600 personnes physiques et 50 entités font l’objet de mesures d’interdiction d’entrer sur le territoire européen et de gel des avoirs et des ressources, parmi lesquelles :

- le président russe Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov ;

- les 351 membres de la Douma d’État russe ayant voté le 15 février en faveur de la demande du Président Poutine de reconnaitre l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk ;

- des personnes physiques (responsables militaires, oligarques, hommes/femmes d’affaires, dirigeants d’entreprises publiques) ;

- des personnes morales de premier plan ayant apporté un soutien aux décideurs russes telles que les banques Promsvyazbank, Vnesheconombank VEB.RF et Bank Rossiya ou encore la société d’influence Internet Research Agency.


Des désignations supplémentaires affectant les membres du Conseil de sécurité nationale de Russie et les membres de la Douma non encore sanctionnés sont à prévoir. Le Conseil de l'Union a également décidé de « suspendre » toute participation des diplomates et délégués russes aux principales instances de l'organisation paneuropéenne avec effet immédiat.

Il est donc interdit à l’ensemble des personnes physiques et morales opérant sur le territoire de l’Union européenne de mettre directement ou indirectement des fonds à disposition des personnes désignées par l’Union européenne comme faisant l’objet de sanctions.

Par ailleurs, les sanctions adoptées le 26 février comportent des mesures restrictives touchant directement le commerce avec la Russie toute entière dans divers secteurs tels que la défense, l’énergie, l’aviation et les finances, en interdisant la vente, la fourniture et l’exportation de biens et technologies :

- À double usage ;

- Susceptibles de contribuer au renforcement militaire et technologique de la Russie et listés par catégorie en Annexe VII du règlement (UE) 833/2014 modifié ;

- Destinés à être utilisés dans des raffineries de pétrole et énumérés à l’Annexe X du règlement précité ;

- Propices à une utilisation dans le secteur de l’aviation et de l’industrie spatiale et listés en Annexe XI du règlement précité.

 

À noter que ces interdictions s’étendent pour la plupart à la fourniture de services connexes telles que la fourniture de services d’assurance et de réassurance, d’entretien et d’assistance technique ou encore le financement et l’assistance financière.

Certaines opérations d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières sont également limitées, et la fourniture de financements ou d’aides financières publics en faveur des échanges commerciaux avec la Russie est désormais interdite.

Ces sanctions viennent compléter les mesures sectorielles adoptées le 23 février et ciblant uniquement les opérations entre l’Union européenne et les régions du Donbass en interdisant :

- l’exportation de certains biens et technologies pouvant être utilisés dans les secteurs des transports, des télécommunications, de l’énergie ou de la prospection, l’exploration et la production pétrolière, gazière et minière ;

- l’importation de marchandises (pour les contrats conclus avant le 23 février 2022, cette interdiction prendra effet au 24 mai 2022) ;

- la réalisation de nouveaux investissements financiers ou immobiliers et

- les prestations de services touristiques.


Par une déclaration conjointe du 26 février, la Commission européenne, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis, ont annoncé s’engager à :

- exclure certaines banques russes déjà visées par les différentes sanctions du système de messagerie SWIFT afin de les déconnecter du système financier international[3], l’un des plus importants réseaux de messagerie bancaire et financière ;

- imposer des mesures restrictives qui empêcheront la Banque centrale russe de déployer ses réserves internationales.


Pour rappel, en France, le fait de contrevenir ou de tenter de contrevenir aux sanctions européennes est passible de sanctions pénales encourues par les personnes physiques et morales (art. 459-1 bis du code des douanes). Ces sanctions peuvent aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et une amende égale au minimum au montant et au maximum au double (décuple pour les personnes morales) de la somme sur laquelle a porté l’infraction ; et peuvent être assorties de peines complémentaires telles que l’exclusion des marchés publics, l’interdiction d’exercer, etc.


Les États-Unis ont également adopté très rapidement un certain nombre de mesures restrictives économiques visant à sanctionner les agissements du Président russe.

Dès le 21 février, le Président américain Joe Biden a signé un décret[4] visant à interdire le commerce et les investissements entre les États-Unis et les deux régions séparatistes de l'est de l'Ukraine. Ce décret interdit notamment :

- tout nouvel investissement dans cette région par une personne assujettie au droit américain, indépendamment du lieu où elle se trouve, et

- l’importation aux États-Unis, directement ou indirectement, de tout bien, service ou technologie provenant des régions visées.


Par ailleurs, le 24 février, le Président Biden a annoncé une nouvelle série de sanctions économiques en réaction à l’invasion des forces armées russes, traduites dans une « Final rule » publiée par le Bureau of Industry and Security et par une mise à jour des personnes désignées par l’Office of Foreign Asset Control (OFAC) comprenant :

- des contrôles à l’exportation ciblant particulièrement les secteurs de la défense, des télécommunications, de l’énergie, de l’aérospatiale et de la marine russes et interdisant d’exporter certains biens et technologies électroniques et de télécommunication sous réserve d’obtenir une licence ;

- des sanctions ciblées visant les principales banques et institutions financières russes et leurs filiales (Sberbank, VTB Bank, Oktritie, Sovcombank, Novikombank) et 11 entreprises publiques majeures telles que Gazprom, Rostelecom, RusHydro ou encore Transneft ;

- la désignation sur les listes de sanctions de nombreuses personnes physiques de l’entourage du Président russe. 

 

Le 25 février, le président russe, le ministre des Affaires étrangères et les membres du Conseil de sécurité de la Russie ont été ajoutés à la liste des personnes faisant l’objet de mesures ciblées.

En conséquence, tous les biens des personnes visées qui se trouvent aux États-Unis ou en possession ou sous le contrôle de personnes américaines sont bloqués et doivent être signalés à l'OFAC. En outre, toutes les entités qui sont détenues, directement ou indirectement, à 50 % ou plus par une ou plusieurs personnes bloquées sont également bloquées. Toutes les transactions effectuées par des ressortissants américains ou à l'intérieur (ou en transit) des États-Unis qui impliquent des biens ou des intérêts dans des biens de personnes désignées ou autrement bloquées sont interdites, sauf si elles sont autorisées par une licence générale ou spécifique délivrée par l'OFAC, ou si elles sont exemptées d'une autre manière.

Pour mémoire, les sanctions américaines s’appliquent directement aux activités pour lesquelles l’OFAC peut exercer sa compétence :

- Les transactions réalisées par des « US Person » (personnes physiques de nationalité américaine ou résident aux États-Unis, personnes morales immatriculées aux États-Unis, le cas échéant, filiales étrangères de sociétés américaines) ;

- Les opérations réalisées depuis le territoire américain ou transitant par le système financier américain (par exemple la compensation, par des établissements financiers américains, de transactions libellées en dollars américain).

 


Que peut faire le cocontractant français qui est confronté à ces sanctions internationales rendant impossible la poursuite d’un contrat avec une contrepartie russe ?

Au regard de ce qui précède et, en l’absence de véritable période transitoire dans la mise en œuvre des sanctions évoquées ci-dessus, beaucoup d’entreprises françaises ayant des relations contractuelles avec des contreparties russes peuvent se retrouver dans l’impossibilité d’exécuter leurs obligations contractuelles et voir potentiellement leur responsabilité engagée.

La première défense qui vient ici à l’esprit – et à juste titre – est l’invocation de la force majeure par le cocontractant français.

Sans qu’il soit utile de développer plus avant la notion de force majeure, il suffit juste de rappeler qu’en application de l’article 1218 du code civil[5], celle-ci suppose que trois conditions soient réunies (i) l’imprévisibilité (l’évènement « ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat »), l’extériorité (l’exécution de l’obligation est empêchée par « un évènement échappant au contrôle du débiteur ») et (iii) l’irrésistibilité (« les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées »).

Du côté de l’entreprise visée par les sanctions, la Cour de cassation a jugé en 2020 que ne constituait pas un cas de force majeure pour celle qui le subit, faute d’extériorité, le gel des avoirs d’une personne ou d’une entité qui est frappée par cette mesure en raison de ses activités[6].

Ainsi, l’entreprise française se retrouvant dans l’impossibilité d’exécuter son contrat compte-tenu des sanctions prononcées ces derniers jours, pourra utilement invoquer la force majeure pour suspendre l’exécution de son contrat.

On rappellera en outre qu’il est tout à fait possible et même recommandé d’aménager contractuellement le régime de la force majeure.

Selon le niveau de risque identifié pour les activités objet du contrat (par exemple lorsqu’elles sont en lien avec un pays où la situation diplomatique est instable ou une zone de conflit), il peut être utile d’anticiper la possibilité que les opérations commerciales puissent faire l’objet de restrictions en cours d’exécution du contrat.

En effet, la référence aux évènements classiques définissant la force majeure peut être insuffisante si la poursuite du contrat n’est pas stricto sensu empêchée par l’évolution des sanctions internationales.

Tel pourrait être le cas dans l’hypothèse où la contrepartie aura été désignée sur une liste de sanctions américaine à laquelle l’entreprise française n’est en principe pas directement soumise ou encore parce que l’adoption de mesures restrictives sectorielles ou locales rendraient les banques peu enclines à opérer des transactions en lien avec la région concernée.

Nous recommandons donc d’inclure une référence spécifique aux sanctions internationales dans la définition contractuelle de la force majeure afin d’éviter tout débat stérile sur la poursuite du contrat et se ménager la possibilité de suspendre son exécution.

On notera enfin que la partie française devra veiller à notifier sans délai l’évènement de force majeure à son cocontractant, tel qu’il est le plus souvent prévu par le contrat, sans quoi elle risquerait de perdre le bénéfice de cette possibilité de suspendre le contrat sans risque de voir sa responsabilité engagée.





[1] Règlements (UE) 2022/259, 2022/260, 2022/261, 2022/262 et 2022/263 du Conseil du 23 février 2022 modifiant le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine

[2] Règlement (UE) 2022/328 du Conseil de 25 février 2022 modifiant le règlement (UE) n° 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine

[3]  European Commission – Statement, Joint Statement on further restrictive economic measures, Brussels, 26 February 2022

[4] Executive Order on Blocking Property of Certain Persons and Prohibiting Certain Transactions With Respect to Continued Russian Efforts to Undermine the Sovereignty and Territorial Integrity of Ukraine, February 21, 2022

[5] Applicable si le contrat est soumis au droit français, étant précisé que la plupart des droits ont la même appréciation de la notion de force majeure

[6] Cass., ass. plén., 10 juill. 2020, P+B+R+I, n° 18-18.542 et 18-21.814


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