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Guerre en Ukraine et sanctions économiques : le droit de la concurrence s’adapte mais continue à s’appliquer

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution | 23/03/22 | 8 min. | Renaud Christol Paul Vialard

Le 21 mars 2022, le Réseau Européen de Concurrence (ci-après le « REC »), qui regroupe la Commission européenne, l'Autorité européenne de surveillance et les autorités nationales de concurrence de l'UE / EEE, dont l’Autorité de la concurrence française, a publié une déclaration commune au sujet de l’application du droit de la concurrence dans le contexte de la guerre en Ukraine (« ci-après la « Déclaration »)[1].

La Déclaration rappelle que les règles et mécanismes du droit de la concurrence permettent de prendre en compte les évolutions du marché et de l’économie en général, notamment en situation de crise. Elle réaffirme que le droit de la concurrence garantit « des conditions de concurrence équitables entre les entreprises » et qu’il doit continuer à s’appliquer même dans un contexte aussi perturbé.

En revanche, le REC admet que les conséquences du conflit peuvent conduire les entreprises à adapter leurs comportements sur le marché. Elles sont ainsi susceptibles de mettre en place des mesures de coopération, en réaction aux perturbations causées par les difficultés d’approvisionnement et aux sanctions contre les entreprises et actifs russes imposées par l’Union européenne.

La coopération entre entreprises concurrentes ou situées à des niveaux différents de la chaîne de distribution peut être qualifiée d’entente anticoncurrentielle lorsqu’elle conduit à fausser le libre jeu de la concurrence sur le marché[2]. Pour les autorités de concurrence, l’existence d’un contexte économique dégradé ne permet en principe pas de justifier une telle atteinte au droit de la concurrence[3].

Par exception, et pour tenir compte de la situation entraînée par la guerre en Ukraine, le REC indique que « les mesures de coopération visant à atténuer l'effet des graves perturbations ne constitueraient probablement pas une restriction de la concurrence au sens de l'article 101 du TFUE/53 de l'EEE ou généreraient des gains d'efficacité qui compenseraient très probablement une telle restriction ».

Par conséquent, « le REC n'interviendra pas activement contre des mesures strictement nécessaires et temporaires visant spécifiquement à éviter les graves perturbations susmentionnées causées par l'impact de la guerre et/ou des sanctions sur le marché intérieur ».

Les autorités de concurrence octroient donc une marge de manœuvre aux entreprises pour s’adapter à la conjoncture actuelle, et apprécieront de manière plus souple les éventuelles atteintes au droit de la concurrence.

Cette tolérance ne constitue toutefois pas un blanc-seing : la Déclaration souligne qu’il reste crucial que les produits essentiels « restent disponibles à des prix compétitifs et que la crise actuelle ne soit pas utilisée pour compromettre l'égalité des conditions de concurrence entre les entreprises ».

Les opérateurs « qui profitent de la situation actuelle en concluant des ententes ou en abusant de leur position dominante » s’exposeront donc à des sanctions.

Cette prise de position du REC est très similaire à celle adoptée dans le contexte de la crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19 en 2020[4]. La Commission européenne était ensuite allée plus loin en publiant une communication du 8 avril 2020 relative à l’appréciation des mesures mises en place pour répondre à la crise[5]. Dans ce cadre, elle avait notamment délivré des lettres de confort afin de valider les coopérations mises en œuvre entre producteurs pharmaceutiques pour répondre à la pénurie de médicaments[6]. En France, l’Autorité de la concurrence avait également pris des mesures spécifiques : elle avait notamment adapté les délais des procédures contentieuses et de contrôle des concentrations et mis en place un réseau dédié afin de répondre aux préoccupations des entreprises, par exemple au sujet de la révision des loyers commerciaux[7].

La Commission n’a pour l’instant pas communiqué sur la mise en place d’outils similaires dans le contexte actuel.

Les entreprises qui envisageraient de mettre en place une coopération temporaire peuvent toutefois s’adresser aux autorités membres du REC, en France à l’Autorité de la concurrence, pour obtenir des « conseils informels ».

La Déclaration insiste sur les coopérations entre entreprises et reste relativement silencieuse sur un autre risque causé par la crise actuelle, notamment en raison des sanctions contre les entreprises russes, c’est-à-dire l’abus de position dominante.

En effet, l’interdiction de traiter avec ces entreprises peut conduire leurs concurrents à récupérer leurs parts de marché et aboutir à des positions dominantes sur le marché, voire à des situations de monopole.

Si la détention d’une position dominante n’est pas illicite en soi, les comportements qui consistent à exploiter cette position pour écarter les concurrents du marché ou imposer des conditions commerciales abusives à ses partenaires, sont rigoureusement interdits.

Il existe donc un risque que certaines entreprises deviennent dominantes et que leurs pratiques ou leurs contrats, admis auparavant, puissent être désormais qualifiées d’abus de position dominante.

Dans le contexte du Covid-19, la Commission européenne avait notamment indiqué qu’elle ne tolèrerait pas les pratiques qui consistent à exploiter la crise pour dissimuler un abus de position dominante, « y compris une position dominante conférée par les circonstances particulières de la crise »[8].

Il y a donc ici un point de vigilance tout particulier, qui pourrait justifier la mise en place de mesures proactives.


 

[2] Articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[3] Décision n° 15-D-19 du 15 décembre 2015 de l’Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de la messagerie et de la messagerie express, paragraphe 672.

[7] https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/lautorite-eclaire-une-association-professionnelle-sur-ses-possibilites

[8] Communication de la Commission européenne du 8 avril 2020 : « Cadre temporaire pour l’appréciation des pratiques anticoncurrentielles dans les coopérations mises en place entre des entreprises pour réagir aux situations d’urgence découlant de la pandémie actuelle de COVID-19 », paragraphe 20.

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