Article Droit européen | 04/10/23 | 14 min. |
Depuis 2011, la Commission européenne publie une liste de matières premières critiques, qu’elle revoit tous les trois ans. Sont considérées comme matières premières critiques, celles « qui sont les plus importantes sur le plan économique et qui présentent un risque élevé de pénurie d’approvisionnement ».[1]
Le 16 mars 2023, à la suite de la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, la Commission a publié une proposition de règlement sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act). La proposition de règlement sur les matières premières critiques fut annoncée en même temps que la proposition de règlement pour une industrie « zéro net ». Ces deux textes constituent les fers de lance du plan industriel du pacte vert (« Green Deal Industry ») et expriment la volonté d’autonomie stratégique de l’UE ainsi que le désir du renforcement de sa compétitivité dans le cadre des transitions écologique et numérique.
A l’occasion de cette double transition, la demande de matières premières critiques va augmenter de manière exponentielle. En effet, on retrouve, par exemple, du tungstène dans les technologies de vibration des smartphones, du lithium, cobalt et nickel dans les véhicules électriques, du bore dans les éoliennes, du sicilium métallique dans les semi-conducteurs, du borate dans la fabrication de verre et production d’engrais pour la croissance des végétaux, ou encore du magnésium et du scandium dans les avions[2].
La proposition de règlement sur les matières premières critiques entend répondre à ce besoin d’approvisionnement par une plus grande diversification, car l’UE ne sera pas autosuffisante à cet égard.
Les positions actuelles des différentes institutions sont résumées ci-après.
La Commission européenne
La proposition de la Commission repose sur quatre piliers essentiels.
Premièrement, elle codifie la liste des matières premières critiques et des matières premières stratégiques, laquelle serait revue tous les quatre ans.
Les matières premières « critiques » sont qualifiées comme telles en fonction de leur importance économique et de leurs conditions d’approvisionnement. Les matières premières « stratégiques » sont celles qui sont utilisées dans les secteurs stratégiques (comme les énergies renouvelables, le numérique, l’espace ou la défense) et pour lesquelles des difficultés d’approvisionnement risquent de se présenter.
La Commission fixe aussi des valeurs de référence non contraignantes pour les besoins intérieurs de l’Union tout au long de la chaîne d’approvisionnement, valables pour toutes les matières concernées :
Consommation annuelle de l’UE provenant de : |
Valeurs de référence |
L’extraction dans l’UE |
10% |
La transformation dans l’UE |
40% |
Le recyclage dans l’UE |
15% |
Pour chaque matière première stratégique, peu importe le stade de transformation, au départ d’un seul pays tiers |
65% |
Deuxièmement, le Projet de Règlement propose un certain nombre de concepts nouveaux pour renforcer les capacités de l’Union tout au long de la chaine de valeurs dont :
Une attention particulière est aussi mise sur la récupération des matières premières critiques dans les déchets miniers et sur la circularité des aimants permanents. Dans ce cadre, les exploitants de mines devront évaluer les possibilités d’une telle récupération et recueillir des informations sur la teneur en matières premières critiques des déchets produits et stockés. Concernant les aimants permanents, présents dans de nombreux projets stratégiques, mais recyclés à concurrence de moins de 1% de la consommation européenne, la législation veillera à faciliter le travail des installations de recyclage.
Troisièmement, pour garantir la résilience des chaînes d’approvisionnement, un suivi de celles-ci sera mis en place. Les Etats membres seront tenus de se coordonner et s’informer sur l’état des stocks. Certaines grandes entreprises devront réaliser un audit, lequel comprendra un test de résistance.
Enfin, un comité composé de représentants des Etats membres et de la Commission sera mis en place. Cette structure de gouvernance aura pour mission de conseiller et coordonner la mise en œuvre du règlement et de discuter des partenariats stratégiques entre l’UE et les pays tiers.
Le Conseil de l’Union européenne
Le Conseil a adopté sa position le 30 juin dernier. Il propose notamment que les Etats membres portent l'objectif de transformation des matières premières critiques de 40% à 50 % et l'objectif de recyclage de 15 à 20 %. Ils demandent aussi que l'aluminium, l’alumine et les bauxites soient inclus dans la liste des matières premières critiques et stratégiques. La liste serait revue tous les trois ans, au lieu de tous les quatre ans.
Le Conseil souhaite renforcer les mesures nationales en matière de durabilité et de circularité de la manière suivante : augmenter le réemploi des matières premières pouvant être récupérées, favoriser la récupération des matières critiques secondaires dans les déchets, recenser les installations de gestion de déchets d’extraction où des matières premières peuvent être récupérées, promouvoir la récupération des aimants dans les produits en fin de vie.
Le Conseil souhaite encore faciliter les procédures d’autorisation des projets stratégiques.
Enfin, il propose la création de sous-groupes au sein du comité des matières premières critiques. Un premier sous-groupe aurait pour mission d’évaluer les questions relatives à la connaissance et à l’acceptation du public des projets en lien avec les matières premières critiques. Un second sous-groupe serait chargé d’examiner les mesures relatives à l’utilisation efficace et le remplacement des matières concernées.
Le Parlement européen
Le 14 septembre 2023, les eurodéputés ont adopté en plénière leur position sur le Projet de Règlement. Ce vote fait suite à l’adoption du projet de rapport en commission de l’énergie le 7 septembre dernier.
Le Parlement insiste sur l’importance d’établir des partenariats stratégiques avec les pays tiers dans un souci de diversification de l’approvisionnement. L’extraction et la transformation des matières premières critiques devront respecter les normes écologiques en la matière dans les pays partenaires.
Tout comme le Conseil, le Parlement souhaite que la moitié des matières premières critiques consommées dans l’Union européenne provienne de la transformation dans l’UE (à la place des 40% proposés par la Commission).
Il préconise des garanties environnementales et sociales plus strictes, notamment pour les projets miniers.
Le Parlement a rejeté l’uranium, mais a inclus l’aluminium dans la liste des matières premières critiques.
Le Parlement met aussi l’accent sur la recherche et l’innovation concernant les matériaux de substitution et les alternatives de production permettant le remplacement des matières premières stratégiques ou critiques dans les chaînes de valeur.
Les eurodéputés proposent la création d’une liste de « matières premières secondaires » stratégiques qui désignent, par opposition aux « matières premières », les matières issues du recyclage ou des processus de production.
Enfin, les députés souhaitent réduire encore davantage la charge administrative pour les entreprises concernées, y compris les PME.
Prochaines étapes
Les trilogues ont débuté le 20 septembre 2023 et il y a une volonté politique certaine de faire aboutir ce texte avant la fin de la présidence espagnole, soit avant la fin de l’année 2023.
https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20230911IPR04927/matieres-premieres-critiques-assurer-l-approvisionnement-de-l-ue[1] Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions, « Résilience des matières premières critiques : la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité », COM(2020) 474 final, 3 septembre 2020, p. 1.