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Assouplissement des règles de preuve au bénéfice des patients

Article | 03/06/16 | 4 min. |

Sciences de la vie & Santé

Responsabilité liée aux produits de santé : assouplissement des règles de preuve au bénéfice des patients

La détermination de la défectuosité d’un produit au sens de la directive 85/374/CEE reste un exercice malaisé. Il n’est donc pas inutile de souligner l’importance des décisions récentes rendues par les juridictions nationale et européenne en matière de produits de santé défectueux et qui faciliteront surement la mise en cause de la responsabilité des fabricants et des établissements de soins.

1. Présomption de défectuosité touchant « tous les produits issus d’un même groupe »

Par deux arrêts du 5 mars 2015 (C-503/13, C-504/13), la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) affirme que la défectuosité d’un produit peut résulter du simple « constat d’un défaut potentiel des produits appartenant à un même groupe ou relevant de la même série de la production […] sans qu’il soit besoin de constater ce défaut dans ce produit ».

En l’espèce, la CJUE était saisie de litiges portant sur des dispositifs médicaux, plus précisément des « stimulateurs cardiaques » et des « défibrillateurs automatiques implantables ». Les dispositifs avaient été remplacés chez deux patients. La juridiction de renvoi soulignait que ces produits ayant été détruits après leur remplacement, sans avoir fait l’objet d’une expertise, il était donc impossible de prouver la défectuosité les affectant. Elle précisait que seul un risque de défaillance était suspecté, sans qu’un dommage ne se soit réalisé, autre que le remplacement auquel il avait été procédé par précaution.

Pour autant – mais la solution est-elle justifiée par la spécificité des produits de santé, dont le défaut est susceptible d’entrainer des conséquences dramatiques pour le patient ? – la CJUE a jugé que la preuve du défaut était suffisamment rapportée par l’appartenance des dispositifs à un groupe ou à une série de production « présentant un risque de défaillance », le producteur devant alors assumer l’ensemble des conséquences rendues nécessaires pour éliminer le défaut.

Il ne fait donc plus de doute, à présent, que l’analyse des risques à laquelle sont soumis les fabricants de produits[1] et les éventuelles décisions de retrait des produits qui en résulteraient pourront générer l’obligation d’indemniser l’ensemble des acquéreurs dès lors qu’il existe un risque pour la santé et/ou pour la sécurité des personnes.

2. « Le service public hospitalier est responsable, même en l’absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise »

La Cour administrative d’appel (CAA) de Marseille était saisie, pour sa part, d’une action en responsabilité dirigée contre un Centre Hospitalier Universitaire, visant à l’indemnisation des dommages consécutifs à l’impossibilité d’explanter un implant contraceptif posé chez une patiente dans l’établissement.

Par un arrêt du 19 mars 2015 (n°13MA01977), la CAA a confirmé le principe de la condamnation de l’hôpital notamment[2] en raison de la défaillance des produits de santé qu’il utilise, « sans préjudice des actions susceptibles d’être exercées à l’encontre du producteur ». La Cour applique ici une jurisprudence désormais établie consacrant la responsabilité sans faute du service public hospitalier du fait de la défaillance des produits de santé qu’il utilise[3].

Pour condamner le CHU, encore fallait-il que la CAA de Marseille juge l’implant contraceptif défectueux au sens des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

L’implant contraceptif est un dispositif médical, implanté sous la peau, qui diffuse des hormones de manière continue. Il n’est pas rare – c’est donc un phénomène connu – que l’implant migre dans le corps de la patiente.

Dans cette hypothèse, il peut être impossible de localiser le dispositif même par examens radiologiques. Il ne peut alors être explanté : c’est précisément ce qui est arrivé à cette patiente.

C’est en ce sens que l’implant est qualifié de « produit défectueux », alors même que l’expertise judiciaire qui avait été mise en oeuvre avait conclu qu’il n’existait pas « d’éléments indiquant que le dispositif soit défectueux ».

La CAA estime que « la seule circonstance […] d’effets secondaires n’est pas de nature à démontrer que ce matériel présentait le caractère d’un produit défectueux, que toutefois […] le dispositif […] a été désormais remplacé par un dispositif radio-opaque ; que même si des phénomènes tels que celui dont elle a été victime sont relativement rares, l’absence de partie radio-opaque constitue une lacune dans la conception […] et fait courir un risque aux patientes […] le défaut de radio-opacité du produit engage, sans préjudice d’un éventuel recours en garantie contre le fabricant de ce dispositif, la responsabilité du Centre hospitalier universitaire de Nice, même en l’absence de faute de sa part, à réparer le préjudice qui en résulte […] ».

Dans ces trois décisions, la mesure d’instruction soit était impossible, soit concluait à l’absence de défaut du produit, ce qui n’a pas empêché les juridictions de retenir sa défectuosité au sens de la directive 85/374/CEE. Il semble donc établi que – dans le domaine des produits de santé en tous cas – on tend vers un assouplissement des règles de preuve au bénéfice des victimes.

[1] Paquet unique « sécurité des produits et surveillance du marché » adopté par le Commission européenne le 13 février 2013 qui doit entrer en vigueur prochainement.

[2] La condamnation repose également sur le manquement spécifique dans la délivrance de l’information qui pèse sur les établissements de soin.

[3] CE 12 mars 2012 n°327449.

Alexandra Cohen-Jonathan, associé

Morgane Boucher, avocat

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