La loi n°2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer (« la loi sur la régulation économique outre-mer ») vient sensiblement renforcer et élargir les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence (« l’Autorité ») en ce qui concerne les DROM et les COM.
Le coût élevé des produits de consommation courante avait été l’élément déclencheur des grèves et incidents intervenus depuis 2009 dans les DROM et les COM. Face à cela, l’Autorité s’était penchée sur la situation de la concurrence dans ces territoires, en particulier dans les secteurs des produits de grande consommation et des carburants. Elle avait préconisé des mesures de nature à renforcer la concurrence, au bénéfice final du consommateur.
La loi sur la régulation économique outre-mer vient mettre en application certaines de ces mesures afin de réduire les écarts de prix entre les produits vendus dans les territoires ultramarins et ceux vendus en métropole en prévenant ou en encadrant les situations de monopole, d’oligopole restreint ou de position dominante. Elle vise ainsi à « mettre en place un jeu normal de la concurrence outre-mer avec des prix soumis à une pression concurrentielle effective et une liberté d’accès pour de nouveaux acteurs économiques ».
Régulation des prix
La loi instaure tout d’abord des mécanismes de régulation des prix. En premier lieu, une régulation en amont des marchés de gros de biens ou de services dans lesquels « les conditions d’approvisionnement ou les structures de marché limitent le libre jeu de la concurrence ». Le secteur du commerce de détail apparaît en première ligne, en raison de l’importance des importations. Cette régulation prend la forme de décrets en Conseil d’État adoptés après avis de l’Autorité. Le gouvernement peut ainsi imposer toutes mesures de nature à faciliter « l’accès à ces marchés, l’absence de discrimination tarifaire, la loyauté des transactions » et à réguler « la marge des opérateurs et la gestion des facilités essentielles, en tenant compte de la protection des intérêts des consommateurs » . En deuxième lieu, le Gouvernement peut réglementer, après avis de l’Autorité et par décret en Conseil d’État, le prix de vente de produits ou de familles de produits de première nécessité. En troisième et dernier lieu, dans certains des territoires ultramarins, un accord annuel de modération du prix global d’une liste limitative de produits de consommation courante sera négocié entre le préfet et les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs (producteurs, grossistes et importateurs).
Interdiction des exclusivités d’importation
La loi interdit ensuite les accords ou pratiques concertées qui octroient des droits exclusifs d’importation. Ces accords conduiraient en effet à une limitation de « la capacité de choix des magasins pour s’approvisionner à moindre frais » et entraîneraient ainsi une hausse des prix des biens de consommation. Les parties à de tels accords ou pratiques concertées en cours ont quatre mois à compter de la promulgation de la loi pour résilier les accords ou cesser les pratiques. Une seule exception est prévue à cette prohibition : si les accords ou pratiques
« sont fondés sur des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique » et « réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte ». Par rapport aux dispositions classiques du droit de la concurrence, il y a donc disparition de l’obligation de caractériser un abus qui pèse traditionnellement sur l’Autorité. Les accords et pratiques sont présumés illicites, sauf si les parties peuvent les justifier dans les conditions prévues par le texte.
Pouvoir d’injonction structurelle dans le commerce de détail
Par ailleurs, la loi facilite l’intervention de l’Autorité sur la structure même des marchés ultra-marins. L’Autorité dispose déjà, depuis la LME, d’un pouvoir d’injonction structurelle en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dé-pendance économique et si les mesures comportementales et sanctions prononcées par l’Autorité dans une première décision de condamnation n’ont pas permis de mettre fin à l’abus constaté. Ce pouvoir permet à l’Autorité d’imposer la modification ou la résiliation des accords ou actes par lesquels s’est constituée la puissance économique, voire la cession de certaines surfaces de vente détenues par l’entreprise contrevenante. À ce jour, ce pouvoir n’a pas été utilisé par l’Autorité en raison de ses conditions d’exercice particulièrement strictes. Dans le cadre d’un avis sur la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris, l’Autorité avait plaidé pour que ces conditions d’exercice soient assou-plies.
Elle a été entendue pour les DROM et les COM. Il n’est désormais plus nécessaire de démontrer un abus mais uniquement des « préoccupations de concurrence » du fait de prix ou de marges élevés en comparaison avec les prix habituellement pratiqués dans le secteur concerné. Pour effectuer cette démonstration, l’Autorité est aidée par la création dans chacun des territoires outre-mer concernés d’un observatoire des prix, des marges et des revenus qui fournit aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution.
En réponse aux préoccupations de concurrence exprimées par l’Autorité, l’entreprise concernée pourra lui transmettre des propositions d’engagements dans un délai de deux mois. Si l’entreprise n’utilise pas cette possibilité ou si les engagements proposés ne sont pas de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence de l’Autorité, celle-ci pourra alors prononcer des injonctions structurelles, sans constatation préalable d’infraction et sans avoir à démontrer que des mesures comportementales n’auraient pas permis de remédier à la situation constatée. L’entreprise qui ne respecterait pas les injonctions structurelles encourt des sanctions pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial du groupe auquel elle appartient.
Il convient de souligner que ce nouveau pouvoir d’injonction structurelle limité aux DROM et aux COM n’est perçu par l’Autorité que comme une première étape, une expérimentation « avant d’envisager, s’il donne satisfaction, qu’il puisse être étendu à d’autres zones géographiques dans lesquelles il pourrait résoudre des problèmes de concurrence ».
Abaissement du seuil de chiffre d’affaires spécifique aux DROM et aux COM pour le contrôle des concentrations
Depuis 2010, toute opération de concentration impliquant au moins deux entreprises réalisant un chiffre d’affaires individuel de plus de 7,5 millions d’euros par an dans au moins un DROM ou COM, devait être notifiée à l’Autorité et autorisée préalablement à sa mise en œuvre. Ce seuil est abaissé à 5 millions d’euros afin de contrôler les opérations d’acquisition de surfaces de vente significatives (supérieures à 600 m², selon le ministère des outre-mer ) qui peuvent avoir pour conséquence de réduire la concurrence dans la grande distribution notamment par la création d’acteurs locaux dominants.
Christophe Clarenc, Associé
Renaud Christol, Counsel