
Article IT et données personnelles Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux Droit de la propriété intellectuelle, média et art | 06/07/11 | 5 min. | Mahasti Razavi
La loi du 17 mai 2011 dite de « simplification et d’amélioration de la qualité du droit » a modifié le droit de la consommation français afin de le mettre en conformité avec le droit communautaire (1.), entérinant ainsi la récente jurisprudence mettant fin à l’interdiction de principe des ventes avec primes, ventes subordonnées et loteries promotionnelles avec obligation d’achat (2.).
1. Les nouvelles dispositions du code de la consommation
Le droit français interdisait par principe les ventes avec primes, les loteries promotionnelles avec obligation d’achat et les ventes subordonnées sauf exception définie de manière restrictive. La réforme du 17 mai 2011 est venue modifier les dispositions du code de la consommation relatives à ces pratiques commerciales afin de les rendre au contraire licites par principe.
En ce qui concerne les ventes avec primes, le premier alinéa de l’article L.121-35 du code de la consommation dispose désormais qu’ « est interdite toute vente ou offre de vente de produits ou de biens ou toute prestation ou offre de prestation de services faite aux consommateurs et donnant droit, à titre gratuit, immédiatement ou à terme, à une prime consistant en produits, biens ou services sauf s'ils sont identiques à ceux qui font l'objet de la vente ou de la prestation dès lors que la pratique en cause revêt un caractère déloyal au sens de l'article L.120-1. »
En ce qui concerne les loteries promotionnelles avec obligation d’achat, le premier alinéa de l’article L.121-36 du code de la consommation dispose désormais que « les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit. Lorsque la participation à cette opération est conditionnée à une obligation d'achat, la pratique n'est illicite que dans la mesure où elle revêt un caractère déloyal au sens de l'article L.120-1. »
En ce qui concerne les ventes subordonnées, le premier alinéa de l’article L.122-1 du code de la consommation dispose désormais qu’ « il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale au sens de L.120-1. »
Ces pratiques commerciales sont donc désormais licites, sous réserve de ne pas être déloyales au sens de l’article L.120-1 du code de la consommation. Une pratique commerciale est déloyale au sens de cet article « lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service ». Par principe constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L.121-1 et L.121-1-1 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L.122-11 et L.122-11-1 du code de la consommation.
Ces nouvelles dispositions viennent confirmer la jurisprudence récente faisant application du droit communautaire.
2. Une mise en conformité avec le droit communautaire déjà effectuée par la jurisprudence
Le droit antérieur français était en contradiction avec la directive communautaire 2005/29 CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales puisqu’il interdisait par principe les ventes avec primes, ventes subordonnées et loteries promotionnelles avec obligation d’achat alors que ces pratiques ne faisaient pas partie des pratiques interdites par principe par la directive (considérées comme « déloyales en toutes circonstances »).
C’est en partant de ce constat que la jurisprudence communautaire avait ouvert une brèche dans le droit français de la consommation, que ce soit pour les ventes avec primes et les ventes subordonnées (CJUE 23 avril 2009, aff. C-261/07 et C-299/07) ou pour les loteries (CJUE 14 janvier 2010, aff. C-304-08 et 9 novembre 2010, aff. C-540-08) et avait été suivie par les juridictions nationales (par ex. CA Paris, 5ème ch, 14 mai 2009, n°09/03660 ; confirmé par Cass. Com., 13 juillet 2010, Jurisdata n° 2010-011628 ; ou encore Cass. Com., 15 nov. 2010, Jurisdata n° 2010-021425). Au terme de ces décisions, dans la mesure où ces pratiques ne sont pas interdites par principe par la directive, elles ne peuvent être sanctionnées que si elles sont réalisées de manière déloyale au sens donné à ce terme par la directive. Toute législation visant à interdire ce type de pratique de manière générale est considérée par les tribunaux comme non conforme au droit communautaire.
C’est précisément parce que le droit français contenait de telles interdictions de principe que l’Etat français avait été mis en demeure par la Commission Européenne de modifier sa législation afin d’assurer une transposition correcte de la directive précitée. Le Gouvernement avait difficilement admis cette position, envisageant même de demander une révision de la directive (rép. Tardy n° 63029, JO 4 mai 2010, AN p. 4996). Il a finalement proposé le 13 décembre 2010 un amendement à la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, afin d'écarter le risque d'une condamnation européenne.
La réforme est donc venue mettre en conformité le droit français avec le droit communautaire, ce dont on peut se féliciter. Cependant en substituant à une règlementation claire (l’interdiction de principe), une analyse au cas par cas du caractère déloyal ou non d’une pratique commerciale, la réforme risque d’engendrer une certaine insécurité juridique, déjà perceptible dans la jurisprudence récente.
C’est la raison pour laquelle certaines voix (la France et l’Allemagne en particulier) s’élèvent déjà pour demander à la Commission Européenne de réviser le texte de la directive. En effet dans le cadre de la discussion de l’amendement présenté au Sénat le 13 décembre 2010, le Gouvernement français a annoncé que la « France entend fermement demander » une révision de la directive sur les pratiques commerciales déloyales « afin de sortir de l’impasse actuelle et de garantir le maintien d’un niveau élevé de protection des intérêts des consommateurs ».
Pour l’heure en tous cas, ces pratiques sont licites par principe. Les opérateurs économiques sont donc libres de les mettre en œuvre, mais à leurs risques et périls puisqu’il est pour le moment difficile d’avoir la certitude qu’une pratique ne pourra pas être considérée déloyale devant les tribunaux français.
Mahasti Razavi - Associée
Anne-Laure Falkman - Counsel