
Article Droit de l’environnement Corporate - M&A | 17/01/11 | 6 min. | Pierre Descheemaeker
Dans son discours de clôture du Grenelle de l’environnement le 25 octobre 2007, le Président de la République laissait poindre une révolution en matière de gouvernance de groupes d’entreprises : « il n’est pas admissible qu’une maison mère ne soit pas tenue pour responsable des atteintes portées à l’environnement par ses filiales. Il n’est pas acceptable que le principe de la responsabilité limitée devienne un prétexte à une irresponsabilité illimitée. Quand on contrôle une filiale, on doit se sentir responsable des catastrophes écologiques qu’elle peut causer (…) ».
L’intention était louable mais ce discours portait en germe la remise en cause d’un principe fondamental du droit des sociétés : l’autonomie juridique de la personne morale, qui demeure dans les groupes de sociétés. Ainsi, pour les sociétés dont la forme implique une limitation de la responsabilité juridique des associés à leur investissement dans la société, il est de principe qu’une procédure collective ouverte à l’encontre d’une filiale ne concerne pas la société mère, excepté en cas de faute dans la gestion, de confusion des patrimoines ou de fictivité des entreprises.
La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, dite Loi Grenelle II, prétend ouvrir une brèche dans ce principe. Elle prévoit que lorsqu’une filiale exploitant une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) est mise en liquidation judiciaire, le liquidateur, le ministère public ou le préfet peuvent « saisir le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire pour faire établir l'existence d'une faute caractérisée commise par la société mère qui a contribué à une insuffisance d'actif de la filiale et pour lui demander, lorsqu'une telle faute est établie, de mettre à la charge de la société mère tout ou partie du financement des mesures de remise en état du ou des sites en fin d'activité. »
Le dispositif est présenté comme devant permettre d’éviter que ne se développent les phénomènes de sites pollués orphelins, illustrés par l’affaire Metaleurop. Mais il n’est pas sûr que le texte aura l’impact recherché, pour deux raisons.
La responsabilité des sociétés-mères du fait de leur filiale, une nouveauté dont la portée est réduite autant qu’incertaine
En premier lieu, les conditions d’exercice de l’action sont relativement restrictives. L’action n’est possible qu’à l’encontre des maisons-mères détenant une filiale au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce, c’est-à-dire à plus de 50%. De plus, son exercice, discrétionnaire, ne peut être envisagé qu’en cas de liquidation judiciaire, ce qui exclut les situations de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation amiable. Enfin, il ne concerne que les filiales exploitant une installation classée en fin d’activité, excluant ainsi les autres passifs environnementaux, liés par exemple aux activités autorisées dans le domaine de l’eau ou des déchets.
En second lieu, la condamnation de la maison-mère suppose désormais la preuve d’une « faute caractérisée » de sa part. Or cette notion floue, qui semble se situer entre la faute d’imprudence simple et la faute délibérée, ne concerne que « les faits les plus graves » selon les termes du Gouvernement dans les débats parlementaires. Elle risque donc de s’avérer excessivement restrictive. De nouvelles difficultés d’interprétation sont ainsi créées alors que le mécanisme préexistant et plus général de l’action en comblement de passif n’exige quant à lui qu’une « faute de gestion » de la part d’un dirigeant de droit ou de fait, ce dernier pouvant être un maison-mère.
Le législateur aurait certes pu aller plus loin, mais non sans créer un sérieux risque de distorsion de concurrence au détriment des entreprises basées en France. La loi Grenelle I du 3 août 2008 avait pris cela en considération en prévoyant que « la France proposera l’introduction au niveau communautaire du principe de la reconnaissance de la responsabilité des sociétés mères à l’égard de leurs filiales en cas d’atteinte grave à l’environnement et elle soutiendra cette orientation au niveau international ».
Le meilleur moyen d’éradiquer les sites orphelins en présence d’une société-mère serait d’opter, plus radicalement, pour une responsabilité sans faute de sa part. Mais une telle réforme aurait des conséquences négatives à un moment où la France, vieux pays industriel, tente de conserver une activité industrielle sur son territoire.
La faculté pour la société-mère de s’engager volontairement envers sa filiale
Pour ce qui concerne les passifs environnementaux autres que liés à l’exploitation d’une installation classée, c’est sur une base volontaire qu’une société tête de groupe peut désormais s’engager à prendre à sa charge, « en cas de défaillance de la filiale », les obligations de prévention et de réparation des atteintes graves à l’environnement qui incombent à celle-ci. Cette nouveauté, qui s’inscrit dans le contexte d’une affirmation de la « responsabilité sociale des entreprises », peut correspondre à la volonté d’un groupe d’affirmer un engagement fort en matière d’environnement. Ce soutien apporté par la Loi aux entreprises désireuses de s’engager dans une démarche environnementale forte peut s’avérer utile dans la mesure où la reprise par une société des obligations d’une autre pourrait être considérée comme contraire à son intérêt social, et donc constituer un abus de biens sociaux.
Les nouvelles obligations en matière d’information environnementale
Le second volet des mesures du Grenelle II dans le domaine de la gouvernance d’entreprise concerne l’extension des obligations d’information en matière environnementale. En 2001, la loi NRE avait ouvert la voie pour les seules sociétés cotées. Désormais, cette obligation d’établir un rapport social et environnemental est étendue - dans des conditions qui restent à définir par décret – à d’autres sociétés et à leurs filiales : sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions non cotées ; entreprises et établissements publics. Dans le même sens, les sociétés d’investissement à capital variable (SICAV) et les sociétés de gestion devront mentionner, dans leur rapport annuel et dans les documents destinés à l’information de leurs souscripteurs, les critères sociaux et environnementaux présidant à leurs investissements. La Loi impose par ailleurs aux entreprises de plus de 500 salariés de réaliser, tous les trois ans à compter de fin 2012, un bilan des émissions de gaz à effet de serre. Autre mesure présentée comme emblématique, l’affichage progressif du « prix carbone » des produits et de leur emballage entrera en vigueur à compter de juillet 2011 et à titre expérimental. A partir du 1er janvier 2011, le Gouvernement devra présenter tous les trois ans au Parlement un rapport relatif à l’application de ces dispositions par les entreprises.
Oscillant entre droit dur et droit mou, l’impact du Grenelle de l’environnement dans la gestion interne des entreprises reste donc relativement mesuré, à bon escient dans le monde « ouvert » dans lequel la France évolue.
Plus frappantes et avantageuses pour les entreprises sont les perspectives d’activités nouvelles dans l’économie verte puisque le Grenelle pose des objectifs et des leviers à fort potentiel, notamment en matière de bâtiment, d’énergie, de transport ou de gestion et traitement des déchets. Selon un document de travail publié en décembre 2010 par la Direction du Trésor, la mise en œuvre du Grenelle va générer un surcroit d’investissement d’environ 450 Md€ (porté dans des proportions comparables par les ménages, les entreprises et les administrations publiques) et 200 à 250000 emplois supplémentaires d’ici 2014.
Dominique de Combles de Nayves
Pierre Descheemaeker