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Droit des sociétés : des changements imminents impulsés par le Gouvernement

Article Corporate - M&A Droit de l’environnement Private Equity | 03/02/14 | 13 min. | Pierre Descheemaeker Julien Aucomte

La loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises a été publiée au Journal Officiel[1].

S’inscrivant dans le cadre du « choc de simplification » annoncé par Monsieur le Président de la République au mois de mars dernier, ce texte permet notamment au Gouvernement d’intervenir, par voie d'ordonnances, dans des domaines phares du Droit des sociétés.

En la matière, le champ d’application de cette habilitation est détaillé dans l’Article 3 de cette loi, rédigé comme suit :

« Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin de :

1° Simplifier et clarifier la législation applicable aux conventions régies par les articles L.225-38 et L.225-86 du code de commerce :

  1. En excluant de leur champ d’application les conventions conclues entre une société et une filiale détenue, directement ou indirectement, à 100% ;
  2. En incluant dans le rapport du conseil d’administration ou du directoire à l’assemblée générale des actionnaires une information sur les conventions conclues par un dirigeant, un administrateur ou un actionnaire détenant plus de 10% de la société mère avec une filiale détenue directement ou indirectement ;
  3. En rendant obligatoire la motivation des décisions du conseil d’administration ou de surveillance autorisant ces convention ;
  4. En soumettant chaque année au conseil d’administration ou de surveillance les conventions déjà autorisées dont l’effet dure dans le temps ;

2° Sécuriser le régime du rachat des actions de préférence, s’agissant des conditions de ce rachat et du sort des actions rachetées ;

3° Simplifier et clarifier la législation applicable aux valeurs mobilières donnant accès au capital ou donnant droit à l’attribution de titres de créance ainsi qu’à certains titres de créance, s’agissant de leur émission et de la protection de leurs porteurs, faciliter l’identification des détenteurs de titres au porteur et adapter le régime des opérations sur titres et droits de souscription ;

4° Permettre la prolongation du délai de tenue de l’assemblée des associés appelée à statuer sur les comptes annuels dans les sociétés à responsabilité limitée ;

5° Permettre à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée d’être associée d’une autre entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ;

6° Simplifier les formalités relatives à la cession des parts sociales de société en nom collectif et de société à responsabilité limitée tout en maintenant sa publicité ;

7° Renforcer la base juridique permettant au Haut Conseil du commissariat aux comptes de conclure des accords de coopération avec ses homologues étrangers en prévoyant l’organisation de contrôles conjoints auxquels participent des agents de ces derniers ;

8° Modifier l’article 1843-4 du code civil pour assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties ;

9° Modifier les dispositions du code de commerce applicables, y compris en outre-mer, aux ventes en liquidation et déterminant l’autorité administrative auprès de laquelle doit être effectuée la déclaration préalable. »

Parmi les mesures précédemment exposées, deux sont plus particulièrement développées dans le présent Flash, à savoir, d’une part, la procédure dite des « conventions réglementées » (I) et d’autre part, la valorisation des droits sociaux par l’expert de l’article 1843-4 du Code civil (II).

  1. Les nouveautés annoncées en matière de conventions réglementées

Pour reprendre les termes de la Commission juridique de l’IFA, il faut entendre, par convention réglementée, « toute convention conclue par la société avec l’un de ses dirigeants ou avec un actionnaire significatif, ainsi que les conventions conclues entre deux sociétés liées (ayant un dirigeant commun notamment), à l’exclusion des conventions conclues à des conditions normales. » [2]

Il convient d’ores et déjà de noter que la procédure de contrôle visée par cette loi est celle applicable aux sociétés anonymes, au sein desquelles les conventions dites « réglementées » doivent être autorisées par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance avant leur signature, puis faire l’objet d’un rapport spécial du commissaire aux comptes et, enfin, être approuvées par l’assemblée générale des actionnaires.[3]

Ces dernières années, de nombreux travaux se sont intéressés au régime des conventions réglementées. C’est notamment le cas du Groupe de travail de l’AMF présidé par Olivier Poupart Lafarge[4] dont les conclusions ont largement inspiré les dispositions de l’article 3 de cette loi et devraient continuer d’inspirer les travaux des rédacteurs des ordonnances à intervenir sur ce sujet.

La loi préconise expressément quatre modifications du régime des conventions réglementées propre aux sociétés anonymes. Tandis que certaines ont trait au périmètre de la procédure de contrôle (i), d’autres ont vocation à réaffirmer le rôle du conseil d’administration dans l’énonciation de l’intérêt qui s’attache à la convention (ii).

(i). Précisions quant au périmètre des conventions réglementées

  • • Exclusion des conventions intra-groupe stricto sensu

Le Gouvernement est invité à exclure purement et simplement les conventions conclues entre une société et ses filiales détenues, directement ou indirectement, à 100% du périmètre des conventions réglementées.

Cette mesure est directement inspirée des travaux du groupe de travail de Monsieur Poupart Lafarge, lequel a dressé le triple constat suivant :

  • - Tout d’abord, ces conventions sont souvent présentées dans le rapport spécial des commissaires aux comptes où ils occupent une place disproportionnée ;
  • - Ensuite, ce type de convention n’est soumis à la procédure de l’article L.225-38 du Code de commerce que si les sociétés parties à une telle convention ont des dirigeants communs ; dans la négative, elles y échappent ;
  • - Enfin, ces conventions présentent rarement de véritables conflits d’intérêts.

Au vu de ce qui précède, le maintien de cette procédure aux conventions conclues entre une société et sa filiale à 100% au sein des conventions réglementées n’est pas apparu pertinent, justifiant dès lors leur exclusion. Cette réduction du périmètre des conventions réglementées devrait permettre un allégement notable, pour les groupes de sociétés, du rapport spécial du commissaire aux comptes, réduisant de fait les coûts d’établissement de ce dernier.

  • • Information relative à des conventions non réglementées

Toute convention passée entre un dirigeant, un administrateur ou un actionnaire à plus de 10% de la société mère et une filiale détenue directement ou indirectement, devrait être mentionnée dans le rapport du conseil d’administration ou du directoire.

Jusqu’alors, de telles conventions n’étaient pas ipso facto comprises dans le périmètre des conventions réglementées. Pourtant, dans certaines situations, de telles conventions sont susceptibles de générer de véritables conflits d’intérêts. En vue de pallier cette absence de contrôle systématique, la loi nouvelle préconise que les conventions concernées soient portées à la connaissance des actionnaires au travers du rapport établi par le conseil d’administration.

 

(ii). Réaffirmation du rôle du conseil d’administration

La décision du conseil d’administration ou du conseil de surveillance autorisant la convention objet de la procédure de contrôle devra être motivée. Cette mesure vise à améliorer la transparence et à favoriser la fiabilité de l’information transmise aux actionnaires.

Les conventions réglementées dont l’exécution se poursuit sur plusieurs exercices seront annuellement passées en revue par le conseil d’administration ou de surveillance. L’occasion sera ainsi donnée de se poser la question du maintien ou non de la qualification de conventions réglementées, au vu de l’évolution de la situation.

Ces deux mesures présentent des objectifs louables mais correspondent cependant à la création d’obligations nouvelles à la charge du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, alors même que la loi s’inscrit dans une logique de simplification. Il est à espérer que cela ne viendra pas alourdir inopportunément le dispositif de contrôle des conventions réglementées.

 

II. La sécurisation espérée de la valorisation des droits sociaux en cas de contestation

 

L’article 1843-4 du Code civil prévoit, dans sa rédaction actuelle, que :

« dans tous les cas où sont prévus la cession de droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. ».

La jurisprudence a reconnu le caractère d’ordre public de cet article[5]. En conséquence, toute contestation sur la valeur des droits sociaux objet d’une cession ou d’un rachat obligatoire nécessite, per se, l’intervention de l’expert de l’article 1843-4 du Code civil, aucune clause contraire ne pouvant y déroger.

S’agissant des hypothèses de cession ou rachat concernées par ce texte, la jurisprudence a eu l’occasion de préciser qu’il s’agissait à la fois, (i) de celles prévues par la loi, (ii) de celles contenues dans les statuts[6] et (iii), plus récemment, de celles envisagées dans le cadre d’un pacte extra-statutaire[7]. Ainsi, le champ d’application de l’article 1843-4 du Code civil est appréhendé largement et rares sont les cas de vente ou rachat obligatoire de droits sociaux dans lesquels ce texte n’a pas vocation à s’appliquer.

Si cette disposition permet indéniablement de parfaire une cession forcée en dépit de l’existence d’une contestation sur le prix, ses incidences pratiques ont fait couler beaucoup d’encre eu égard notamment aux pouvoirs extrêmement larges accordés à l’expert.

Plus précisément, la jurisprudence reconnait à ce dernier une liberté pleine et entière quant à la détermination des méthodes d’évaluation retenues en vue de la fixation de la valeur des droits sociaux. En effet, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que l’expert dispose de « toute latitude pour déterminer la valeur des actions selon les critères qu’il juge opportuns »[8] ou « selon les critères qu’il estime valable »[9].

Dès lors, les méthodes d’évaluation éventuellement précisées par les parties sont à même d’être privées de tout effet, plaçant les rédacteurs d’actes dans une situation délicate et dénaturant de surcroit la force obligatoire des conventions légalement formées affirmée par l’article 1134 du Code civil.

Pareil résultat portant nécessairement atteinte à la sécurité juridique, comme cela a été déploré en doctrine, l’ANSA et l’AFIC ont conjointement sollicité une refonte du dispositif, postulant en faveur d’un plus grand respect des stipulations contractuelles.

Les critiques ayant été entendues et les écueils ayant été identifiés, le Gouvernement a été habilité par cette nouvelle loi à modifier, par voie d’ordonnance, l’article 1843-4 du Code civil en vue « d’assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévus par les parties ».

Cela laisse présager une détermination des pouvoirs de l’expert de l’article 1843-4 du Code civil qui soit désormais en adéquation avec la volonté des parties et c’est en ce sens une mesure dont il faut a priori se réjouir.

Toutefois, reste à savoir si l’expert aura ou non la capacité de retenir des critères d’évaluation additionnels non prévus par les parties car, dans l’affirmative, les conséquences pratiques de la refonte du texte pourraient se voir notablement amoindries.

 

III. Les autres mesures attendues

S’agissant des autres dispositions de l’article 3 de la loi du 2 janvier 2014, elles tendent notamment :

  • • à faciliter le fonctionnement des entreprises au moyen de mesures offrant davantage de flexibilité (prolongation possible du délai de tenue de l’assemblée générale ordinaire dans les SARL, possibilité offerte de constituer des groupes d’EURL et allègement des formalités relatives à la cession des parts sociales de SNC et de SARL, dont on sait combien elles sont inutilement complexes lorsqu’on les compare aux cessions d’actions) ;
  • • à favoriser le développement des financements en private equity (sécurisation du régime des actions de préférence, simplification et clarification de la réglementation applicable aux titres financiers complexes) ;
  • • à permettre au Haut Conseil du commissariat aux comptes de conclure des accords de coopération avec ses homologues étrangers dans le but de permettre l’organisation de contrôles conjoints. On a vu, en effet, ces dernières années, avec la multiplication des déconfitures de groupes financiers (Bear Stearns, Lehman Brothers, Dexia, RBS) ou industriels (Enron, Parmalat), des fraudes internationales (Madoff) ou des enquêtes internationales s’agissant d’acteurs économiques présents dans de nombreuses juridictions, combien l’absence d’autorités compétentes pour mener des enquêtes comptables transnationales restreignait la capacité des Etats à protéger leurs acteurs économiques. Favoriser de tels accords permettrait probablement au HCCC français de travailler avec le Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB) créé aux Etats-Unis d’Amérique par le Sarbanes-Oxley Act of 2002.

*

*  *

 

Si l’objectif annoncé est bien celui d’une simplification et d’une sécurisation de la vie des sociétés, il reste à espérer que les ordonnances du Gouvernement interviendront dans un sens favorable à la vie des affaires. Il est en effet essentiel que les mesures nouvelles soient, en plus d’être en adéquation avec les besoins et clairement définies, exemptes de toute contrainte supplémentaire inopportune.

 

 

Julien Aucomte, Associé
Benoit Robert, Avocat senior

 

 


[1] JOFR n°0002 du 3 janvier 2014 p. 50

[2] Institut Français des Administrateurs, Note de synthèse : Les conventions réglementées, janvier 2012

[3] Articles L.225-38 et s. et L 225-86 et s. du Code de commerce

[4] AMF, Rapport final sur les Assemblées Générales d’actionnaires de sociétés cotées, 2 juillet 2012

[5] Voir notamment : Cass., Civ. 1ère, 25 novembre 2003, n° 00-22089

[6] Voir notamment : Cass., Com., 4 décembre 2007

[7] En ce sens : Cass., Com., 4 décembre 2012

[8] Cass., Com., 19 avril 2005, n° 03-11790

[9] CA Agen, 7 juin 2006, n° 04-01443

 

 

 

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