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La CJUE lève le voile

Article Droit du travail et de la protection sociale | 17/03/17 | 5 min. | Marie-Hélène Bensadoun Eric Manca

Aux termes de deux décisions rendues le 14 mars 2016[1], la CJUE qui statuait sur deux licenciements liés au port du voile islamique dans deux entreprises, respectivement belge et française, a livré un mode d’emploi à l’usage de l’entreprise sur cette question très polémique, devenue véritable question de Société.

L’anxiété était à son comble à la lecture, l’été dernier, des conclusions de l’Avocat général (anglais) dans le volet français, pour qui il ne devrait y avoir, hors le cas des exceptions liées à l’hygiène ou à la sécurité, aucune entrave à la liberté religieuse en entreprise.

En compétition avec son homologue allemand qui défendait quant à lui une vision diamétralement opposée dans le volet belge, c’est ce dernier qui a remporté les suffrages de la CJUE, laissant ainsi l’entreprise libre de choisir le traitement du fait religieux.

L’entreprise peut donc interdire et sanctionner, le cas échéant, le port du voile en son sein. Sous certaines conditions toutefois.

En substance, on retiendra que pour la CJUE, ne serait pas discriminatoire, que ce soit directement ou indirectement, le licenciement d’une salariée portant le voile, dès lors qu’il est satisfait à 3 conditions posées comme cumulatives (décision belge) :

1/ L’existence d’une interdiction du port visible de tous signes politiques, philosophiques ou religieux en entreprise, prévue par une règle interne (règlement intérieur notamment)

Cette règle interne qui traiterait donc tous les salariés à l’identique au niveau des libertés fondamentales indissociables que sont la liberté de convictions politiques, philosophiques, religieuses, par l’interdiction du port de tout signe visible s’y rapportant, instituerait une apparence de neutralité, dans laquelle l’ensemble des salariés serait traité à l’identique par effet de la neutralité instaurée. Il ne pourra, en principe, dans ces conditions, être fait grief à l’entreprise de quelque discrimination directe que ce soit.

Pour autant, l‘absence de discrimination directe n’empêche pas l’existence d’une discrimination indirecte, lorsqu’un « critère ou une pratique apparemment neutre [la règle interne], est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions données, par rapport à d’autres personnes », comme le rappelle la CJUE.

Dans l’hypothèse où aucune règle interne n’aura été posée au sein de l’entreprise (affaire française), il conviendra de déterminer s’il existe « une exigence professionnelle essentielle et déterminante », répondant à un objectif légitime et proportionné pour valider cette interdiction. Autrement dit et en l’état du droit applicable, sauf à ce que l’entreprise soit éligible à la qualification d’entreprise de tendance, seules des exigences, limitées et très rigoureusement appréciée tenant à l’hygiène et à la sécurité, pourront justifier l’interdiction d’un signe religieux. Ainsi, dans pareille hypothèse et comme l’illustre l’affaire française soumise à la CJUE, l’argument tiré du fait qu’un client ait souhaité ne plus avoir à faire à une salariée portant le voile devrait être dit inopérant.

En revanche, cet argument tiré du rapport client se trouve parfaitement recevable, lorsqu’il existe une règle interne de neutralité au sein de l’entreprise, qui vise le motif tiré de la relation client. Celui-ci se trouve alors élevé au rang de justification légitime.

2/ L’existence d’une justification / objectif légitime

À ce titre « l’affichage d’une image de neutralité à l’égard des clients » constitue une justification suffisante à l’interdiction du port visible de tout signe religieux aux salariés d’une entreprise privée », ainsi donc se trouve en quelque sorte sanctuarisé, et l’on ne peut que s’en féliciter, la liberté d’entreprendre, retenue telle quelle par la CJUE comme justification suffisante lorsqu’elle se rapporte à la relation client. Cette relation, raison d’être de toute entreprise, touche au sacré. Elle ne peut être mise à mal par le fait religieux.

Celui ou celle qui s’y frotte devra, selon l’expression consacrée, en supporter les conséquences (rupture du contrat de travail pouvant aller jusqu’à la faute grave). À condition toutefois qu’une troisième et dernière condition soit respectée :

3/ Recherche de reclassement préalable à une mesure de licenciement

La CJUE pose ici une condition inédite. L’employeur devra préalablement à toute mesure de licenciement de sa salariée, s'attacher à tenter de la reclasser à un poste lui évitant tout contact avec la clientèle, sans qu’elle ait à supporter de charges supplémentaires de travail. On en comprend donc que ce n'est qu'en l'absence de solution de reclassement ou en cas de refus par la salariée de la solution proposée, que l'employeur pourra envisager le licenciement de cette dernière.

La liberté d’entreprendre est donc bien à l’épreuve du fait religieux

Pour ce faire, il conviendra pour les entreprises qui le souhaitent de se diriger vers la loi El Khomri qui permet, depuis le mois d’août 2016, d’intégrer dans le règlement intérieur le principe de neutralité philosophique, politique et religieux (ce qui suppose donc au préalable l’accord des institutions représentatives du personnel, sans oublier le contrôle de l’inspection du travail).

En revanche, cette règle devra être appliquée à une situation / un champ professionnel déterminé. Autrement dit, appliqué de façon pertinente et cohérente, une interdiction générale et absolue étant par nature illicite. En cela, le champ de la relation clientèle constitue le modèle idoine.

Dès lors, le salarié qui dérogera à la règle, s’exposera à un licenciement, à défaut d’autres postes susceptibles de lui être proposés en interne.

La liberté des entreprises face au fait religieux : nous l’avions dit, préconisé : la CJUE l’a fait.

[1] Affaires C 157-1515 Achbita c/ G4S Secure Solutions et C 188 115 Bougnaoui c/ Micropole Univers



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