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L’arbitre, les parties et l’exécution de l’obligation de révélation

Article Résolution des litiges | 27/07/17 | 4 min. | Marie Valentini Marie Danis

Par un arrêt du 17 juin 2017[1], la Cour de cassation a précisé le régime de l’obligation de révélation des arbitres et a considéré que son défaut d’exécution par l’arbitre n’entraîne pas nécessairement l’annulation de la sentence si la partie a été informée par son contradicteur des faits qui auraient pu fonder la récusation.

Cette partie n’ayant pas formé de demande en récusation en temps utile sur le fondement des faits révélés par son contradicteur, elle est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ; la sentence ne peut pas être annulée au titre d’une irrégularité dans la constitution du tribunal arbitral.

Dans cette affaire, le président du tribunal arbitral, qui avait été désigné par la Chambre de Commerce Internationale (« CCI »), avait indiqué dans sa déclaration d’indépendance et d’impartialité n’avoir à révéler aucun fait ou circonstance de nature à mettre en cause son indépendance ou à susciter un doute raisonnable dans l’esprit des parties relativement à son impartialité. Un mois plus tard, le conseil d’une des parties a adressé un courrier au tribunal arbitral et au conseil de la partie adverse, révélant que le président avait déjà siégé dans le cadre d’un arbitrage impliquant sa société mère qui s’était conclu plus de quatre ans auparavant. Il précisait également que, déjà à l’époque, le président n’avait pas fait l’objet d’une désignation par les parties mais qu’il avait été nommé par la CCI et que les marchés, les types de contrats et les questions de fond qui faisaient l’objet des deux affaires étaient très différents.

La partie adverse ainsi informée disposait d’un délai de 30 jours, selon le règlement d’arbitrage de la CCI, pour former une demande en récusation de l’arbitre. Il n’en a rien été et, bien au contraire, les parties et les membres du tribunal arbitral ont signé deux mois plus tard un acte de mission aux termes duquel « les parties [ont reconnu] que le tribunal arbitral [avait] été régulièrement constitué et qu’elles n’[avaient], à la date de signature, aucune objection à l’encontre des arbitres ».

Ce n’est que cinq mois après la révélation opérée par le conseil de son adversaire qu’une demande en récusation a été formée auprès de la CCI : la partie requérante soutenait que ce n’est qu’au cours de l’arbitrage, à la reddition d’une ordonnance de procédure qui lui avait semblé partiale, qu’elle avait découvert les circonstances précises du premier arbitrage et pas à la réception du courrier du conseil de son adversaire. Cette demande de récusation a été rejetée par la CCI et un recours en annulation a été formé contre la sentence au titre, notamment, de l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel qui a rejeté ce moyen en retenant :

  • que les éléments factuels invoqués au soutien de la demande de récusation de l’arbitre et d’annulation de la sentence, à ne pas les supposer notoires, étaient aisément accessibles dans le délai de 30 jours suivant la révélation opérée par le conseil adverse imparti par le Règlement d’arbitrage de la CCI pour former une demande en récusation, et
  • que la partie avait renoncé à se prévaloir du moyen pris du défaut d’indépendance et d’impartialité du président du tribunal arbitral en s’abstenant, d’une part, de solliciter sa récusation dans le délai requis, et en reconnaissant expressément d’autre part, par la signature de l’acte de mission, n’avoir aucune objection à l’encontre des arbitres.

D’abord, la Cour de cassation fait une application directe de l’article 1466 du Code de procédure civile qui prévoit que « La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ».

Ensuite, cette exigence que la renonciation ait été opérée « en connaissance de cause » fait l’objet d’une appréciation large, la Cour retenant une lecture étendue de l’article 1456 alinéa 2 du même Code qui prévoit que « Il appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité […] ». En retenant que cette obligation de révélation peut être remplie non seulement par la déclaration de l’arbitre (en application de la lettre du texte) mais également par celle des parties, il apparaît qu’elle serait respectée dès lors que les faits susceptibles d’entraîner des doutes quant à l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre sont connus des parties : l’origine de la révélation de ces faits est ainsi indifférente. Une solution proche avait déjà été retenue concernant les circonstances considérées comme « notoires », c’est-à-dire publiques ou très facilement accessibles par les parties, dont la jurisprudence avait déjà retenu qu’elles ne devaient pas nécessairement faire l’objet d’une révélation de la part des arbitres[2].

Cet arrêt témoigne de l’enjeu stratégique qui réside dans le fait, pour une partie, de révéler des faits et circonstances tus par l’arbitre et invite à faire preuve de prudence quant à la réaction à adopter face à la révélation d’informations, notoires ou pas, qui serait opérée par l’arbitre ou par une autre partie.

 

 

[1] Cass. civ. 1ere, 15 juin 2017, n°16/17108

[2] CA Paris, 16 décembre 2010, n°09/18535

 

 

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