Article Gestion patrimoniale Droit fiscal Private Equity | 22/05/18 | 4 min. | Clara Ferrari Xavier Rohmer
Le Conseil d’Etat, dans une décision rendue en formation plénière (CE, 9 mai 2018, n°387071, affaire Cérès), a jugé que l’opération d’apport de titres à une société à une valeur minorée dissimule en réalité une libéralité imposable au niveau de la société bénéficiaire de l’apport à hauteur de la différence entre la valeur d’inscription à l’actif des titres reçus et leur valeur réelle.
En l’espèce, un contribuable avait donné à son fils des actions d’une société X qu’il dirigeait. Ce dernier avait immédiatement fait apport de ces actions, pour la même valeur unitaire, à une société C constituée avec ses frères et sœurs. Par la suite, ce contribuable avait également apporté des titres en nue-propriété à la société C.
L’administration fiscale a estimé que la valeur d’inscription à l’actif des actions de la société X avait été minorée et a notifié à la société C un rehaussement de son bénéfice imposable correspondant à la différence entre la valeur d’apport et la valeur réelle des actions apportées.
Le Conseil d’Etat rappelle dans un premier temps que l’article 38,2 du CGI prévoit que le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture d’un exercice diminuée notamment des suppléments d'apports effectués par les associés.
Ainsi, les suppléments d'apport effectués par des associés ne sont pas en principe pris en compte pour déterminer le bénéfice net d’une société au titre d’un exercice.
Toutefois, la Haute Juridiction se réfère également à l’article 38 quinquies de l’annexe III au CGI qui prévoit que les immobilisations acquises à titre gratuit sont inscrites au bilan pour leur valeur vénale. Or, selon le Conseil d’Etat, l’apport d’un bien à un prix minoré serait fait pour partie à titre gratuit ; la société bénéficiaire de l’apport devrait donc inscrire à son actif la valeur vénale du bien apporté.
Par une lecture combinée des articles 38,2 du CGI et 38 quinquies de l’annexe III au CGI, le Conseil d’Etat en conclut que « lorsque la valeur d'apport des immobilisations, comptabilisée par l'entreprise bénéficiaire de l'apport, a été volontairement minorée par les parties pour dissimuler une libéralité faite par l'apporteur à l'entreprise bénéficiaire […] l’administration est fondée à corriger la valeur d’origine des immobilisations apportées à l’entreprise pour y substituer leur valeur vénale, augmentant ainsi l’actif net de l’entreprise dans la mesure de l’apport effectué à titre gratuit».
Dans un second temps, le Conseil d’Etat se prononce sur l’existence d’une libéralité et considère que lorsqu’une société bénéficie d'un apport pour une valeur délibérément minorée, sans que cette sous-évaluation ne comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être regardé comme une libéralité consentie à la société bénéficiaire de l’apport.
La Haute Juridiction rappelle à cet égard que « la preuve d'une telle libéralité doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien apporté et, d'autre part, d'une intention, pour l'apporteur d'octroyer, et, pour la société bénéficiaire, de recevoir une libéralité du fait des conditions de l'apport. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts ».
En l’espèce, la preuve d'une telle libéralité a été considérée comme apportée en présence d'un écart significatif (presque 50%) entre la valeur d’apport des titres et leur valeur vénale et compte-tenu de la présomption d’intention libérale (d’origine prétorienne) lorsque les parties sont en relation d’intérêts (les actionnaires des sociétés concernées étant de la même famille).
Sur la base des principes énoncés ci-dessus, le Conseil d’Etat transpose ainsi aux opérations d’apport en société la jurisprudence dégagée pour les opérations de cession d’une immobilisation à prix minoré (CE, 5 janvier 2005, n° 254556, min c/ Société Raffypack).
Il conviendra de s’assurer que l’administration fiscale, en contrepartie de ce rehaussement, permettra à la société bénéficiaire de l’apport d’inscrire à l’actif de son bilan le bien reçu pour sa valeur vénale afin de lui éviter d’être pénalisée par la suite lors de la dotation des amortissements, des provisions ou lors de la cession ultérieure du bien concerné. En effet, l’absence de correction corrélative du bilan de la société bénéficiaire de l’apport aboutirait à une double imposition (d’une part, en tant que libéralité et, d’autre part, en calculant des amortissements, provisions ou plus-value de cession en fonction de la valeur d’apport minorée).