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Prix de transfert : portée et enjeux de la nouvelle obligation déclarative

Article Private Equity Gestion patrimoniale Droit fiscal | 29/01/16 | 7 min. | Xavier Rohmer Emilie Lecomte

La loi n° 2015-1785 de finances pour 2016 en date du 29 décembre 2015, constitue une étape décisive pour le renforcement de l’efficacité des contrôles prix de transfert, en prévoyant un durcissement de l’obligation documentaire en la matière. L’article 121 de la loi de finances pour 2016 complète en effet la documentation prix de transfert en créant un nouvel article 223 quinquies C du CGI qui impose à certaines personnes morales de souscrire, dans les douze mois suivant la clôture de l’exercice, une « déclaration comportant la répartition pays par pays des bénéfices du groupe et des agrégats économiques, comptables et fiscaux, ainsi que des informations sur la localisation et l’activité des entités le constituant ». Cette nouvelle obligation constitue la transposition en droit interne, du reporting pays par pays - mesure phare du plan Base, Erosion and Profit Shifting de l’OCDE (plan « BEPS » - Action 13 « Country-by-country reporting implementation package »).

Environ 200 groupes établis en France, sans compter les groupes étrangers y disposant de filiales, seraient concernés par cette nouvelle obligation déclarative, le dépôt de la déclaration étant par ailleurs obligatoire, même en l’absence de flux financier intragroupe avec la société déclarante.

I. Champ d’application de la nouvelle obligation déclarative pays par pays

1. Les entreprises assujetties

Sont soumis à cette obligation les groupes d’entreprises multinationales, établis en France qui satisfont aux conditions cumulatives suivantes : (i) réaliser un chiffre d’affaires annuel hors taxes consolidé supérieur ou égal à 750 MEUR, (ii) établir des comptes consolidés (critères financiers), (iii) disposer de sucursales à l'étranger ou détenir ou contrôler, directement ou indirectement, des entités hors de France (critère de contrôle), (iv) sans être détenus par des entités établies en France ou hors de France, elles-mêmes déjà soumises à l’obligation de dépôt de cette déclaration pays par pays (critère d’indépendance).

Pour l’appréciation de la condition (iii), ce sont les critères retenus pour l’établissement des comptes consolidés qui devraient être pris en compte, conformément aux instructions OCDE relatives à l’Action 13 du plan BEPS. Pour l’appréciation de la condition (iv), il faudra s’en référer à la liste des États qui participent à l’échange automatique des déclarations pays par pays avec la France et qui sera fixée par arrêté. En effet, cette liste indiquera les Etats qui ont adopté une règlementation rendant obligatoire le reporting pays par pays (à ce jour, il s’agit de la Pologne, du Royaume-Uni, de l’Irlande et des Pays-Bas notamment), qui ont conclu un accord avec la France afin d’échanger ces déclarations et qui respectent les obligations de cet accord.

Enfin, sont également concernées les personnes morales établies en France, détenues directement ou indirectement par une personne morale établie dans un État qui n’aurait pas mis en place le reporting pays par pays et qui serait tenue au dépôt de la déclaration si elle était en France,sous réserve (i) d’avoir été désignée par le groupe auquel elle appartient pour déposer la déclaration à l’administration fiscale ou (ii) de l’existence d’une autre filiale du groupe, établie en France ou dans un pays qui met en oeuvre le reporting pays par pays et qui aurait été désignée pour transmettre les informations du groupe. Dans ce cas, l’administration fiscale française obtiendra les informations relatives à ce groupe par l’intermédiaire de l’administration fiscale étrangère dont dépend cette autre filiale.

2. Le contenu du reporting pays par pays

La liste précise des informations sera fournie par un décret prévu en principe dans le courant du premier trimestre de l’année 2016. Cependant, les informations en cause devraient reprendre les travaux de l’OCDE et donc être les suivantes, pour chaque pays dans lequel le groupe d’entreprises multinationales exerce des activités : (i) nom des implantations et nature d’activité, (ii) chiffre d’affaires (en distinguant le chiffre d’affaires intragroupe du chiffre d’affaires réalisé avec des tiers), (iii) effectifs, (iv) bénéfice ou perte avant impôt, (v) montant des impôts sur les bénéfices, dus et effectivement payés par les entités étrangères, (vi) subventions publiques reçues, (vii)bénéfices non distribués (réserves, report à nouveau), (viii) capital social, (ix) éléments d’actifs corporels. L’administration fiscale devrait fournir un modèle de formulaire normalisé, comme elle l’avait fait avec le formulaire 2257-SD prévu pour la déclaration annuelle des prix de transfert. Par ailleurs, le reporting devra être produit par voie dématérialisée.

II. Un impact immédiat pour les groupes multinationaux français et étrangers établis en France

1. Au regard des informations exigées dans le reporting pays par pays

L’enjeu est majeur pour les entreprises, puisque la seule analyse de cette nouvelle déclaration permettra un meilleur contrôle de la politique de prix de transfert appliquée par l’entité française, mais aussi un potentiel accroissement d’autres contrôles aux enjeux tout aussi significatifs, concernant par exemple les conditions d’application du régime mère-fille par les multinationales, en particulier au regard de l’analyse de la « substance » des filiales étrangères.

Par ailleurs, la mise en oeuvre du reporting pays par pays pourrait donner lieu à un certain nombre de difficultés pratiques, telle que celle, pour les sociétés françaises contrôlées par une société ayant son siège à l’étranger, de collecter des données sensibles auprès de leur société mère étrangère, ces dernières pouvant être légitimement réticentes à fournir des données hautement sensibles, a fortiori lorsque ces sociétés mères sont établies dans un État qui ne participe pas à l’échange automatique et qui n’a pas adopté une obligation déclarative similaire. En pratique, ces filiales ne devraient ainsi fournir que les informations relatives à leurs activités et à celles de leurs propres filiales, à l’exclusion de celles relatives aux sociétés qui les contrôlent. À cet égard, il peut être rappelé que le Conseil constitutionnel, à propos de l’article 98 de la loi de finances pour 2014 instituant l’obligation de fournir à l’administration fiscale les « rulings » étrangers, a jugé que cette mesure n’a ni pour objet, ni pour effet d’imposer aux entreprises la présentation de documents qu’elles n’auraient pas en leur possession (Décision n°2013-685 DC du 29 décembre 2013).

D’autres difficultés pratiques pourront se poser aux sociétés françaises de groupes multinationaux, comme par exemple, les coûts de mise en conformité (frais de gestion et de suivi de la collecte des données auprès des filiales ou des sociétés mères ou encore frais de traduction des documents reçus des filiales ou des sociétés mères étrangères).

2. Au regard de l’échange automatique d'information entre juridictions fiscales étrangères

Le reporting pays par pays fera l’objet d’un échange automatique sur la base de l’Accord multilatéral de coopération signé le 21 janvier dernier par 31 pays, dont la France. Les États parties à cet accord s’engageront ainsi à transmettre de façon automatique à chaque Etat dans lequel la société déclarante dispose d’une entité résidente ou d’un établissement stable, les informations contenues dans le reporting pays par pays. Ces informations étant particulièrement sensibles pour les entreprises françaises, elles ne pourront faire l’objet d’un échange automatique avec des administrations étrangères que sous réserve du respect de deux conditions cumulatives : sous condition de réciprocité et de confidentialité de ces informations, dans des conditions équivalentes à la législation française.

Cet échange automatique augmentera ainsi considérablement la portée du reporting pays par pays puisque l’administration fiscale n’aura plus besoin de recourir obligatoirement à l’assistance administrative sur demande prévue par les conventions fiscales ou dans le cadre communautaire, par la directive 2011/16 relative à la coopération administrative en matière fiscale, pour obtenir des informations sur les implantations à l’étranger.

Conclusion

Cette nouvelle déclaration pays par pays a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et s’applique aux exercices ouverts depuis le 1er janvier 2016. Concrètement, elle devra être déposée au plus tard le 31 décembre 2017 pour les entreprises dont l’exercice coïncide avec l’année civile, le défaut de production étant sanctionné par une amende ne pouvant excéder 100 KEUR. Du fait de ce volume conséquent d’informations supplémentaires fournies à l’administration fiscale, les groupes internationaux doivent anticiper un risque de contrôles fiscaux internationalisés, voire coordonnés et simultanés, portant sur un même groupe.

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