Article Droit européen | 17/03/22 | 29 min. | Olivier Attias Manon Krouti
Un premier paquet de sanctions entériné par le Conseil de l’UE le 23 février via 4 décisions[1] et 5 règlements[2] a institué des mesures ciblées de gel des avoirs et des ressources économiques à l’encontre de près de 400 personnes physiques et morales et des mesures restreignant considérablement les activités commerciales entre l’UE et les régions du Donbass.
Une deuxième série de sanctions adoptée le 25 février[3] a complété la liste des personnes faisant l’objet de mesures ciblées et est, surtout, venue limiter drastiquement les opérations commerciales entre l’Union européenne et la Russie entière et s’ajoutant à celles adoptées dès 2014 en réaction à l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol.
Le 28 février, un troisième paquet de sanctions a été publié par le Conseil de l’UE afin d’inscrire une vingtaine de personnes supplémentaires sur la liste des mesures ciblées[4] et, notamment, d’interdire le survol de l’espace aérien par les avions détenus par des personnes russes[5].
Une liste supplémentaire de 22 personnes physiques a été publiée le 2 mars pour être ajoutée aux personnes visées par des mesures ciblées. Le même jour, le Conseil de l’UE a également décidé d’étendre les sanctions à certaines activités avec la Biélorussie à la suite de son implication dans l’agression militaire russe contre l’Ukraine[6].
Le 9 mars, le Conseil de l'UE a ajouté 14 oligarques de l’entourage influent du gouvernement russe, mais surtout actifs dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe, ainsi que 146 membres du Conseil de la Fédération de Russie, à la liste des personnes faisant l'objet de mesures de gel de leurs fonds et ressources économiques.
Le même jour, les sanctions sectorielles contre la Russie et la Biélorussie ont été étendues. Pour la première, il s'agit d'étendre les contrôles à l'exportation aux biens et technologies de navigation maritime ; pour la seconde, de renforcer, de manière similaire à celles adoptées la semaine précédente contre la Russie, les restrictions financières existantes, en ciblant la Banque centrale de Biélorussie.
Le 15 mars, le Conseil de l’UE a conduit a ajouté 24 personnes supplémentaires à la liste des personnes faisant l’objet de mesures ciblées et a, surtout, renforcé de manière substantielle les sanctions affectant le secteur de l’énergie, tout en imposant de nouvelles restrictions concernant les produits sidérurgiques et les articles de luxe[7]. La Commission européenne a publié un Questions-Réponses permettant de décrypter le contenu de ce quatrième paquet de sanctions.
Par ailleurs, l'UE, ainsi que d'autres membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), ont décidé de refuser aux produits et services russes le traitement de la nation la plus favorisée sur les marchés européens.
À ce jour, les sanctions adoptées par l’Union européenne peuvent être résumées de la façon suivante :
L’UE a imposé de nombreuses mesures de gel des fonds et ressources économiques et, par voie de conséquence, interdit de mettre directement ou indirectement des fonds ou ressources à disposition de de plus de 958 personnes physiques et morales russes[8] :
La liste consolidée des personnes désignées figure au Registre national des gels, tenu et actualisé par la direction générale du Trésor, accessible ici.
Par conséquent, le gel des avoirs signifie qu’il est interdit pour toute personne européenne de rendre disponible des fonds ou ressources économiques, directement ou indirectement, au bénéfice des individus ou entités figurant dans la liste, ou tout individu ou entité y étant associé.
Cette interdiction concerne la vente, la fourniture et l’exportation directe ou indirecte des biens et technologies ci-dessous à toute personne physique ou morale, indépendamment de sa nationalité, qui se trouve en Russie ou aux fins d’une utilisation en Russie, y compris dans sa zone économique exclusive et sur son plateau continental :
À noter qu’à l’exception de la dernière catégorie, ces interdictions s’étendent pour la plupart à la fourniture de services connexes tels que la fourniture de services d’assurance et de réassurance, d’entretien et d’assistance technique ou encore le financement et l’assistance financière.
Outre l’embargo touchant la région du Donbass décrété depuis le 23 février dernier, depuis le 16 mars, l’UE interdit d’importer, directement ou indirectement, sur le territoire d’un État membre, certains produits sidérurgiques originaires de Russie ou exportés depuis la Russie, dont la liste est annexée au Règlement (UE) 2022/428.
Cette mesure ne se limite pas à l’import des produits sur le territoire de l’UE mais couvre également leur achat. Autrement dit, il est interdit à toute personne relevant du droit de l’UE d’acheter, directement ou indirectement, les produits sidérurgiques concernés, même si la livraison ou l’utilisation est réalisée dans un État tiers.
Il est, de la même manière, interdit à toute personne soumise au droit de l’UE de transporter les produits concernés et de fournir des services connexes à ces opérations tels qu’une assistance technique ou financière, ou encore des services d’assurance et de réassurance.
À noter que le Conseil de l’UE a prévu une période transitoire jusqu’au 17 juin 2022, au cours de laquelle les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de ces interdictions pourront continuer à être exécutés.
Les transactions concernées par les mesures d’interdiction sont les opérations, directes ou indirectes, d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire émis après le 12 avril 2022 et qui pourraient contribuer à renforcer l’économie russe ou biélorusse.
Le 15 mars, le Conseil a également ajouté l’interdiction, pour tout opérateur européen, d'accorder de nouveaux prêts ou de nouveaux crédits et d'acquérir une nouvelle participation ou d'augmenter une participation existante dans toute personne morale, toute entité ou tout organisme établi ou constitué selon le droit de la Russie ou même de tout autre pays tiers et opérant dans le secteur de l'énergie en Russie, sauf lorsque l’activité considérée est nécessaire pour assurer un approvisionnement énergétique critique dans l’Union[9].
En outre, d'autres mesures ont été adoptées concernant la Biélorussie afin de limiter de manière significative les flux financiers avec l'UE, en interdisant :
À noter qu’un règlement adopté par le Conseil de l’UE le 9 mars est venu préciser le champ de ces interdictions en confirmant qu’elles s’appliquent également aux opérations portant sur des cryptoactifs[10].
Ces interdictions sectorielles sont similaires à celles prononcées par l’UE en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée et concernent :
Ces sanctions, qui lient en premier lieu les autorités nationales chargées de réglementer et de superviser le transport aérien et les activités de l’aviation en général, interdisent l’atterrissage, le décollage et le survol de tout le territoire de l’UE par :
Les sanctions adoptées par l’UE le 2 mars 2022 étendent le champ d’application de certaines mesures restrictives en vigueur depuis juin 2021 et introduisent de nouvelles restrictions. Il est désormais interdit :
Par ailleurs, les interdictions visant la vente et l’exportation de biens utilisés pour la production et la fabrication de produits du tabac, ainsi que l’achat et l’importation de produits minéraux et pétroliers, et de produits à base de chlorure de potassium (« potasse ») ont été étendues conformément aux listes respectivement précisées en Annexes V, VI et VII du Règlement (UE) 2022/355.
La Commission européenne, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis, se sont concertés en vue d'exclure 7 banques russes du système de messagerie SWIFT afin de les déconnecter davantage du système financier international[11] :
À compter du 20 mars, les banques biélorusses suivantes seront également déconnectées du système de messagerie SWIFT :
Pour rappel, les sanctions adoptées par l’UE sont applicables :
En France, le fait de contrevenir ou de tenter de contrevenir aux sanctions européennes est passible de sanctions pénales encourues par les personnes physiques et morales (art. 459-1 bis du code des douanes).
Ces sanctions peuvent aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et une amende égale au minimum au montant et au maximum au double (décuple pour les personnes morales) de la somme sur laquelle a porté l’infraction ; et peuvent être assorties de peines complémentaires telles que l’exclusion des marchés publics, l’interdiction d’exercer, etc.
Focus : conséquences des mesures de gel des fonds et des ressources visant les oligarques sur les activités commerciales des entreprises
À titre liminaire, il faut rappeler que le corollaire des mesures ciblées adoptées par le Conseil de l’UE à l’égard de plus de 900 personnes russes est l’interdiction prévue par l’article 2-2 du Règlement (UE) n° 269/2014 de mettre, directement ou indirectement, des fonds et des ressources économiques à disposition des personnes visées par les mesures de gel.
Lorsque ces mesures affectent des personnes physiques liées à des groupes de sociétés en tant que fondateur, bénéficiaire effectif ou encore dirigeant, le champ d’application de l’interdiction de mettre à leur disposition des fonds et ressources est difficile à délimiter.
Pour clarifier la manière dont les mesures financières imposées dans le cadre des sanctions imposées par le règlement précité doivent être interprétées, la Commission européenne a publié dès le 19 juin 2020 un avis sur la portée de l’interdiction prévue à son article 2[12].
Selon la Commission, l’interdiction de mettre des fonds et ressources à disposition des personnes faisant l’objet de mesure de gel doit s’étendre également aux entités et personnes morales qu’elles détiennent et/ou contrôlent. En effet, la Commission estime que mettre des fonds ou des ressources à la disposition d’une personne qui ne fait pas l’objet de mesures ciblées mais qui « appartient à une personne, une entité ou un organisme désigné(e) ou se trouve sous son contrôle revenait à mettre ces fonds ou ressources indirectement à la disposition de cette personne »[13].
Cette dernière notion de « contrôle » que la Commission considère également comme le pouvoir « d’exercer effectivement une influence déterminante » doit être entendue comme accordant à la personne désignée les pouvoirs de :
Étant rappelé que la notion de ressources économiques, telle que définie par le Conseil de l’UE, inclut les avoirs de toute nature qui ne sont pas des fonds mais qui peuvent être utilisés pour obtenir des fonds, des biens ou des services, les mesures de gel visant des personnes physiques peuvent donc avoir pour effet de limiter la fourniture de services ou la vente de produits aux entreprises contrôlées par ces personnes.
Compte tenu des conséquences pratiques que les sanctions ciblées imposées par l’UE impliquent, il est indispensable, pour les entreprises européennes, de vérifier qu’aucun de leurs partenaires commerciaux n’est contrôlé ou détenu par une personne visée par les mesures de gel.
Le cas échéant, la Commission précise que la présomption de mise à disposition indirecte ne peut être renversée que si l’on peut déterminer selon les circonstances de l’espèce et sur la base d’une approche fondée sur les risques, que les fonds ou ressources économiques mise à disposition du partenaire commercial ne seront pas utilisés par la personne visée par les mesures de gel.
Dans la mesure où de nombreux oligarques russes font actuellement l’objet de mesures de gel, pour poursuivre leurs activités commerciales avec les entités qui leur sont liées, les personnes soumises au droit de l’UE devront s’assurer que les éventuels fonds ou ressources mis à disposition de ces entités ne pourront pas être utilisés par ces oligarques.
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[1] Décisions (PESC) 2022/264 du Conseil du 23 février 2022 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine ; 2022/265 et 2022/267 du Conseil du 23 février 2022 modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ; 2022/266 du Conseil du 23 février 2022 concernant des mesures restrictives en réponse à la reconnaissance des zones des oblasts ukrainiens de Donetsk et Louhansk non contrôlées par le gouvernement et à l’ordre donné aux forces armées russes dans ces zones
[2] Règlements (UE) 2022/259, 2022/262 et 2022/263 du Conseil du 23 février 2022 modifiant le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ; Règlements d’exécution (UE) 2022/260 et 2022/261 mettant en œuvre le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine
[3] Décisions (PESC) 2022/327 du Conseil du 25 février 2022 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine ; 2022/329 et 2022/331 du Conseil du 25 février 2022 modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ; 2022/333 du Conseil du 25 février 2022 relative à la suspension partielle de l’application de l’accord entre la Communauté européenne et la Fédération de Russie visant à faciliter la délivrance de visas aux citoyens de l’Union européenne et de la Fédération de Russie.
Règlement (UE) 2022/328 du Conseil du 25 février 2022 modifiant le règlement (UE) n° 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine ; Règlement (UE) 2022/330 du Conseil du 25 février 2022 modifiant le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine
[4] Règlement d’exécution (UE) 2022/336 du Conseil du 28 février 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine
[5] Décision (PESC) 2022/335 du Conseil du 28 février 2022 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, article premier
[6] Règlement (UE) 2022/355 du Conseil du 2 mars 2022 modifiant le règlement (CE) n° 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie.
[7] Règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil du 15 mars 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ; Règlement (UE) 2022/428 du Conseil du 15 mars 2022 modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine ; Décision (PESC) 2022/429 du Conseil du 15 mars 2022 modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ; Décision (PESC) 2022/430 du Conseil du 15 mars 2022 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine.
[8] Règlement d’exécution (UE) 2022/408 du Conseil du 10 mars 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ; Décision (PESC) 2022/411 du Conseil du 10 mars 2022 modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ; Règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil du 15 mars 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine .
[9] Règlement (UE) 2022/428 du Conseil du 15 mars 2022 modifiant le règlement (UE) n° 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine
[10] Règlements (UE) 2022/398 et (UE) 2022/394.
[11] European Commission – Statement, Joint Statement on further restrictive economic measures, Brussels, 26 February 2022
[12] Avis de la Commission du 19 juin 2020 sur l’article 2 du règlement (CE) nº 269/2014 du Conseil
[13] FAQ sur les mesures restrictives de l’UE à l’encontre de la Syrie