Article IT et données personnelles Droit européen | 25/03/22 | 6 min. | Julien Aucomte Maxime Legourd Eden Gall
Après l’executive order[1] du Président Biden, c’était au tour de l’Union Européenne de s’attaquer à la réglementation des crypto-actifs. La proposition MiCA (Markets in crypto-assets) pour une réglementation européenne des marchés des cryptomonnaies (qui est en réalité bien plus ambitieuse que l’executive order américain) était en effet soumise au vote de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement Européen le 14 mars dernier.
Cette proposition, présentée par les instances de l’UE comme nécessaire afin de créer un cadre juridique pour les crypto-actifs et leurs activités et services connexes, poursuivait plusieurs objectifs : (i) soutenir l’innovation en apportant une certaine sécurité juridique à l’économie des crypto-actifs, (ii) permettre une concurrence loyale entre les acteurs tout en protégeant les consommateurs et les investisseurs, (iii) maintenir la stabilité financière et l’intégrité du marché des crypto-monnaies (ce point concernant particulièrement les « stablecoins », i.e., type de cryptomonnaie dont la valeur est stable, car basée sur celle d’un autre actif, par exemple une monnaie fiduciaire comme le dollar, l’euro ou le yen ou des matières premières) et (iv) s’assurer que la technologie employée soit respectueuse de l'environnement et conforme aux objectifs du « green deal » de l’UE.
Le projet de texte comprenait ainsi des exigences de transparence pour l'émission d'actifs numériques, l’agrément et la supervision des fournisseurs de services de crypto-actifs, des règles de protection des consommateurs et des mesures visant à prévenir les abus de marché.
Le compromis soumis au Parlement européen le 14 mars 2022 entendait par ailleurs limiter fortement l’utilisation de la méthode de « proof-of-work » (ou « preuve de travail ») en tant que mécanisme de consensus pour valider les transactions sur la blockchain, en raison de son fort impact environnemental dû à la nature même de son fonctionnement fondé sur la puissance brute de calcul[2].
Le considérant (5a) indiquait à ce titre que « proof-of-work is often associated with high energy consumption, a material carbon footprint and significant generation of electronic waste. Those characteristics may undermine Union and global efforts to achieve climate and sustainability goals, until other more climate friendly and not energy intensive solutions emerge […] ». Le considérant (5aa) ajoutait que les « crypto-assets relying on the ‘proof of work’ […] indirectly cause considerable carbon emissions and affect the climate and the environment negatively today. This is due to the proof of work method’s currently intensive and inefficient use of electricity, often generated from fossil energy sources outside of the Union […] ».
Aussi, si cette version du texte ne reprenait finalement pas (et c’est heureux) l’interdiction directe et stricte de cette méthode de validation des transactions, l’objectif environnemental affiché par le texte suscitait les inquiétudes les plus vives du côté des acteurs du monde des crypto-actifs.
Son article 2a était par ailleurs perçu par certains comme un moyen détourné de s’y attaquer (et par la même de s’attaquer notamment aux blockchains Bitcoin et Ethereum[3], les deux plus utilisées au niveau mondial) :
“Crypto-assets shall be subject to minimum environmental sustainability standards with respect to their consensus mechanism used for validating transactions, before being issued, offered or admitted to trading in the Union.
Crypto-assets that are issued, offered or admitted to trading in the Union before [please insert the date of entry into force of this Regulation] shall set up and maintain a phased rollout plan to ensure compliance with such requirements, in accordance with the conditions and criteria referred to in paragraph 3.”
L’article 5 1.(bb) imposait par ailleurs d’inclure une évaluation indépendante de la consommation d'énergie probable de la crypto-activité dans le cas où le modèle de "preuve de travail" est utilisé, au sein des « white paper ».
Or, la blockchain Bitcoin étant décentralisée[1] et régie par un consensus formé par des milliers d’opérateurs et mineurs (et donc sans autorité centrale régulatrice), il est hautement improbable de voir la preuve de travail abandonnée, car elle est considérée par la communauté Bitcoin comme sa caractéristique essentielle, qui permet d’assurer la sécurité des transactions sur le réseau.
On pouvait donc craindre que le projet aboutisse dans les faits au bannissement des protocoles Bitcoin et Ethereum au sein de l’UE (en envoyant également un message négatif à l’ensemble de l’écosystème des crypto-actifs - bien que d’autres blockchains utilisent des méthodes de validation moins consommatrices d’énergie que le proof of work, comme le proof of stake (et ses variantes), proof of time-space, etc.), au profit notamment des Etats-Unis, ce qui creuserait encore son retard technologique et à terme mettrait en danger sa souveraineté numérique et financière.
L’amendement controversé a finalement été rejeté par une majorité de parlementaires, avec 32 voix contre la modification, et 24 voix pour. Néanmoins, une majorité a voté pour qu'une proposition législative alternative soit présentée par la Commission d'ici janvier 2025. Le projet de loi se dirige maintenant vers des négociations avec la Commission européenne, le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen, et nul doute que les acteurs de la communauté Bitcoin suivront avec attention son parcours législatif européen…
[1] La décentralisation est une caractéristique essentielle de toute blockchain
[1] Executive Order on Ensuring Responsible Development of Digital Assets, 9 mars 2022.
[2] Le mécanisme de « proof-of-work » consiste en effet à demander aux mineurs du réseau de résoudre un problème mathématique complexe nécessitant une puissance de calcul important.
[3] Même si la blockchain Ethereum est en train d'abandonner la preuve de travail au profit d'un système de preuve d'enjeu (proof of stake) moins énergivore, mais ce changement a été retardé à plusieurs reprises et les progrès ont été plus lents que prévu.